La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Exploits Mortels" expose et explose sur le mode BD un univers familial déjanté et pourtant si proche de la réalité

François Rancillac est au théâtre ce que les chefs d'orchestres sont à la musique classique. Face à une partition textuelle complexe, il parvient grâce à son expérience, sa sensibilité et son talent de metteur en scène et de directeur d'actrices et d'acteurs à donner le concert, la représentation qui fera briller autant le compositeur que les interprètes du livret… comme on dit dans le musical. La faute à son attachement à parts égales pour les auteurs et pour les interprètes.



© Isabelle Girard.
© Isabelle Girard.
C'est encore le cas avec "Exploits Mortels" qui porte si mal son titre, car aucun exploit véritable ne vient traverser cette histoire. Encore que… Il est vrai que pour Josefine, la soirée d'anniversaire de sa mère est de celles qui comptent puisque ça sera sa dernière soirée. Fin du suspense. L'héroïne décède dès le début du spectacle, fauchée par une voiture à la sortie du restaurant grec où se déroule la fête.

Alors la construction du puzzle imaginé par Rasmus Linberg se met en place, pièce par pièce, témoignage après témoignage, devant ce bureau de l'officier de police qui prend les dépositions de chaque participant à cette soirée d'anniversaire. Des pièces de puzzle qui dépassent très vite le temps de cette soirée d'où Josefine s'est enfuie en courant dans un état si vif qu'elle ne vit pas la voiture qui fonçait sur elle dans la nuit. Une fête d'anniversaire qui remue le passé. Fête de famille. Et quelle famille !

L'auteur suédois s'amuse à tendre et détendre les différents liens familiaux qui unissent ce qu'on appelle une cellule familiale, qui porte si bien ce nom puisque l'on retrouve des cellules dans toutes les prisons du monde. Outre la fille, Josefine, en rupture émotionnelle avec sa mère, il y a le frère dans une continuelle attente de réussite, sa copine superficielle, le père détaché de tout, blasé, la vieille tante atteinte d'un insupportable optimisme rasant, et Maman. Maman et sa carrière débordante, suractive, sur-stressée, sur-ambitieuse et surtout insatisfaite perpétuelle.

© Isabelle Girard.
© Isabelle Girard.
Cette mère est comme le tronc de l'arbre familial qui donne la sève à chaque membre, chaque branche, mais elle est aussi celle qui a fini par inoculer du poison de la déception dans les vies de toute la famille. Mais ce soir, Josefine a décidé de parler, de sortir tout ce qu'elle a sur le cœur, de jeter un grand coup de pied dans la fourmilière et de s'en libérer une bonne fois pour toutes, de commencer sa vraie vie… croit-elle. Elle est venue pour cette raison dans ce restaurant à cette soirée, uniquement pour cela.

Ce sont deux comédiennes qui vont interpréter l'ensemble des personnages. Léna Bokobza-Brunet et Christine Guênon, toutes deux d'une habileté impressionnante pour passer de l'un à l'autre, rôle d'un simple changement d'attitude, d'un maintien différent, d'une manière de proférer les mots personnalisée. Chacune, dans son style de jeu, a réussi à trouver une harmonie, une complémentarité rare. Bref, c'est un duo mortel.

Le décor, qui est modulable à la manière des puzzles en bois découpé pour les bébés, leur permet de faire évoluer la salle de restaurant, de sortir une table du sol ou d'extraire une porte pour la transformer en toilettes. Avec elles, Florian d'Arbaud joue le personnage de l'officier de police qui reçoit les dépositions et intervient par moment en régisseur son, avec des bruitages et des enregistrements qui renforcent le côté BD du décor créé par Raymond Sarti, peint en noir et blanc, à larges traits.

La mise en scène de François Rancillac réussit à rendre visible et le plus souvent risible le texte de Rasmus Linberg qui fait se télescoper les différents dialogues, les multiples et rapides apparitions des personnages. Ses deux comédiennes parviennent à insuffler un rythme intense à leurs rôles. Elles y ajoutent une sorte de distance qui donne des espaces dans lesquels le rire et la drôlerie peuvent s'engouffrer. Une mécanique redoutable qui transforme un drame en vision corrosive et burlesque et présente la famille comme un assemblage terrible de frustrations, de contagions et de crises perpétuelles, dans une belle bonne humeur.
◙ Bruno Fougniès

Vu au Collège H. Barbusse, Bagneux (92).

"Exploits Mortels"

Texte : Rasmus Linberg.
Traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy.
Mise en scène : François Rancillac.
Avec : Léna Bokobza-Brunet, Christine Guênon et Florian d'Arbaud
Scénographie : Raymond Sarti.
Conception son, régie générale et son : Florian d'Arbaud.
Chansons composées par Bernard Cavanna.
Construction décor : Lycée professionnel Jules Verne - DTMS - machine constructeur (Sartrouville).
À partir de 13 ans.
Durée : 1 h.

Tournée
Mercredi 19 février 2025 : MJC Montchapet, Dijon (21).
Du 8 au 10 avril 2025 : Maison des Arts du Léman - Scène Conventionnée, Thonon-les-Bains (74).
Mardi 8 avril 2025 : Théâtre du Casino, Évian-les-Bains (74).
Mercredi 9 avril 2025 : Salle du stade, Perrignier (74).
Jeudi 10 avril 2025 : Maison des Jeunes et de la Culture, Douvaine (74).
Du 14 au 18 avril 2025 : en itinérance avec le Théâtre de L'Union - CDN, Limoges (87).
Du 20 au 22 mai 2025 : Collège Marie Curie, avec le Théâtre du Garde-Chasse, Les Lilas (93).
© Isabelle Girard.
© Isabelle Girard.

Bruno Fougniès
Mardi 11 Février 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024