La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le ciel, la nuit et la fête"… Molière de toutes les couleurs !

Créée en 2021 au festival d'Avignon par le Nouveau Théâtre Populaire, la trilogie "Le ciel, la nuit et la fête" est une plongée aux multiples facettes de deux grands classiques et d'un ballet-comique de Molière. À la fois moderne, mythologique et un tantinet classique, "Tartuffe ou l'imposteur", "Dom Juan ou le festin de pierre" et "Psyché" nous mènent vers les tréfonds de la psychologie humaine avec ses débordements amoureux et sexuels et son côté caché, plus ou moins retors, où la foi est considérée soit tel un crucifix que l'on respecte, soit tel un pendu que l'on moque, soit telle une mascarade dont on se joue à des fins financières.



© Thierry Cantalupo.
© Thierry Cantalupo.
"Le ciel, la nuit et la fête" est une trilogie de Molière, composée de "Tartuffe ou l'imposteur" (1669), "Dom Juan ou le festin de pierre" (1665) et "Psyché" (1671), complètement revisitée par le Nouveau Théâtre Populaire. Elle traite de l'amour et du sexe, de l'hypocrisie et de la vérité, de l'infidélité et de l'honnêteté, des ambitions et du pouvoir, de la religion et de ses faux prophètes. La pulsion, amoureuse et sexuelle, en est le fil rouge. Le Nouveau Théâtre Populaire a réussi à mettre en miroir, aussi inversé que complémentaire, ces trois pièces en les articulant sur ce même socle commun.

Car c'est avant tout une montée en puissance de la pulsion qui se joue entre la première et la dernière pièce. Entre "Tartuffe" et "Psyché", elle se terre pour se montrer ensuite sans fard. Elle est cachée sous les apparats de Tartuffe (Julien Campani), à découvert pour Dom Juan et étalée dans "Psyché", tragédie-ballet composée avec Quinault et Racine. Pour celle-ci, Lully et Beauchamp ont créé respectivement la musique et la danse. Les fantasmes refoulés percutent des désirs affirmés en face de pratiques sexuelles au grand jour. Tout s'articule autour de ce fil rouge avec le verbe comme élément unique d'un désir soit refoulé, soit assuré quand il s'accompagne du verbe et de touchers, et quasi mutique avec le corps comme seule expressivité quand l'unique pulsion est au rendez-vous, l'acte et le geste étant aux commandes.

© Thierry Cantalupo.
© Thierry Cantalupo.
Le commandeur (Éric Herson-Macarel) est la figure de la Loi quand, symboliquement, Dom Juan (Lazare Herson-Macarel) en serait le fils dévoyé, Psyché (Morgane Nairaud), sa fille et Tartuffe, un renégat. Dans "Tartuffe ou l'imposteur", les protagonistes, tous habillés de noir et blanc, sont dans un rapport frontal, le verbe haut et le geste très marqué. Le corps devient lui-même un dit, l'expression un aveu quand le verbe se déguise souvent. Tout est sous couvert et le jeu des comédiens est très physique.

Molière en a écrit trois versions. Celle qui a été jouée (1667) est la deuxième version et n'a eu qu'une seule représentation avant qu'elle ne soit interdite. Elle fait intervenir la figure du Roi comme exécuteur humain de la justice divine. Dans cette approche, nous sommes au plus près du rôle que Molière pouvait avoir auprès de son protecteur royal, comme un hommage à celui-ci, dans un système politique où le roi était puissance absolue et incarnation divine sur terre.

Le bruitage est un élément très important. Ce sont des portes qui claquent dans "Tartuffe", marquant, au-delà des scènes et des actes, des temps forts et des revirements. Dans "Dom Juan", les bruits de pas sont comme un écoulement accéléré du temps ou de l'arrivée précipitée d'un événement qui donne une dynamique et une tension dans le jeu, même quand les protagonistes sont statiques. Dans "Tartuffe", tout se déroule quasiment dans une seule pièce, délimitée par deux portes, avec l'action incarnée par le jeu tout en tension des comédiens.

© Thierry Cantalupo.
© Thierry Cantalupo.
Dans "Psyché", tout est musique et chants dans un concert où les décibels sont de la partie, le silence n'ayant pas droit de cité, où se découvre une scène de concert intitulée "Olympe" avec deux escaliers, respectivement côté cour et jardin, se rejoignant en hauteur sur une longue bande traversant longitudinalement le plateau. La déclinaison qui en est faite est très moderne avec un personnage en Monsieur Loyal (Clovis Fouin) qui joue le maître de cérémonie. Dans "Dom Juan", les escaliers prennent une large place sur le plateau et le commandeur apparaît grimé, en hauteur et en arrière-scène.

Dans "Le ciel, la nuit et la fête", les trois fables se nourrissent, pour "Tartuffe", de réel pouvant être en écho aux réalités du monde, quand pour "Psyché", les caractères sont, en grande partie, mythologiques. Entre ces deux rives, il y a "Dom Juan" qui mêle autant la vraie vie avec ses débordements, ses infidélités et ses gourmandises que la figure tutélaire mythique du commandeur. L'articulation de cette trilogie monte aussi en puissance dans l'immersion de l'imaginaire au fil des fables pour les baigner dans une cohabitation amour et sexe aux relents cachés dans "Tartuffe", dans une nature fantasmatique et débridée dans "Psyché".

Sur cet entre-deux, "Dom Juan" est dans une posture toute terrienne et gourmande des plaisirs érotiques, en mettant au défi la figure morale du commandeur. Il est à l'intersection de ce qui délimite le transgressif, son Moi ayant pris fait et cause du Ça contre le Surmoi.

Dans "Tartuffe", le jeu est extrêmement physique avec des voix qui portent haut, accompagnées parfois de coups, sans pour autant qu'il y ait algarades, mais plutôt punition physique sur Tartuffe avec des martinets tissés de cordes. L'action est à l'image d'un jeu qui se décharne, à dessein, de toute nuance et légèreté. Pour "Psyché", guitare, basse, batterie et clavier sont présents. La troupe devient chauffeuse de salle avant même que la représentation débute. C'est aussi une progression avec un jeu aux consonances classiques pour "Tartuffe", qui s'habille d'une franche modernité pour "Dom Juan", pour aller vers un timbre décalé et complètement fantasque pour "Psyché".

Le baromètre de cette progression se lit dans les costumes et les attitudes. Les voix, tout au long de la trilogie, sont énergiques, avec une vigueur plus forte dans la première pièce, plus sobre dans "Dom Juan" et, à dessein, plus relâchée, selon les protagonistes, pour "Psyché". Entre les pièces, le jeu continue avec des intermèdes radiophoniques.

Tour à tour, on y voit des embardées sexuelles, comme on y entend des déclarations d'amour. Le tout se mêle. Dans "Psyché", les deux sont étroitement mis en écho, reflet inversé d'une passion amoureuse entre Psyché et l'Amour (Julien Romelard), à l'opposé des débordements sexuels qui les entourent. Côté sexuel, l'approche est directe, sans autre consonance pour "Psyché". Elle aurait pu être plus nuancée avec un apport suggestif, parfois, qui aurait donné au sexe un cachet surprenant et un peu moins automatique.

La trilogie reste toutefois de très belles compositions et toujours dans une approche audacieuse. Elle s'est déroulée le 8 février au théâtre de la Commune.
◙ Safidin Alouache

"Le ciel, la nuit et la fête, Le Tartuffe, Dom Juan, Psyché"

© Thierry Cantalupo.
© Thierry Cantalupo.
"Le ciel, la nuit et la fête, Le Tartuffe, Dom Juan, Psyché"
D'après Molière.
Mise en scène : Léo Cohen-Paperman, Émilien Diard-Detœuf, Julien Romelard.
Conception et mise en scène Grand Siècle (radio) : Frédéric Jessua.
Avec : Camille Bernon, Marco Benigno, Pauline Bolcatto, Valentin Boraud, Julien Campani, Philippe Canales, Léo Cohen-Paperman, Émilien Diard-Detœuf, Clovis Fouin, Joseph Fourez, Elsa Grzeszczak, Éric Herson-Macarel, Lazare Herson-Macarel, Frédéric Jessua, Morgane Nairaud, Julien Romelard, Claire Sermonne, Sacha Todorov.
Conception scénographique : Anne-Sophie Grac.
Collaboration scénographie et accessoires : Pierre Lebon.
Lumière : Thomas Chrétien.
Costumes : Zoé Lenglare et Manon Naudet.
Musique : Baptiste Bravo.
Son : Lucas Lelièvre, assisté de Baudouin Rencurel.
Régie générale : Marco Benigno assisté de Thomas Mousseau-Fernandez.
Maquillage et coiffure : Pauline Bry.
Collaboration artistique : Lola Lucas.
Régie son : Lucas Soudi et Alex Wallet.
Habillage : Pauline Bry et Zoé Lenglare.
Par le Nouveau Théâtre Populaire.
Durée : 6 h 45.

A été représenté les 5 et 8 février 2025 au Théâtre La Commune - CDN, Aubervilliers (93).

Safidin Alouache
Lundi 3 Mars 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024