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Édito de Jean-Luc Terrade, directeur artistique des 22ᵉ Rencontres de la Forme Courte dans le Spectacle Vivant, Festival Trente Trente de Bordeaux Métropole  08/12/2024

Édito de Jean-Luc Terrade, directeur artistique des 22ᵉ Rencontres de la Forme Courte dans le Spectacle Vivant, Festival Trente Trente de Bordeaux Métropole
"Déranger en beauté…" À une époque où la mode au théâtre est aux spectacles frontaux, donnant à voir une société souvent racontée au premier degré, sans rêve et sans fiction, j'ai souvent en tête cette phrase de Claude Régy : "quand quelque chose est nommé, il perd toute sa force sur un plateau".

Et la forme est sacrifiée sur l'autel du seul fond, aussi louable soit-il.
Où sont donc passés le rêve et la beauté ?

Cette réflexion pourrait paraitre surprenante, quand je prône depuis plus de 20 ans le "dérangement" du public avec Trente Trente, et refuse de limiter l'art à un simple divertissement. Mais qui a dit que l'on ne pouvait pas déranger en beauté ? Doit-on forcément s'affranchir du rêve pour dénoncer la société dans ce qu'elle a de plus cru ?

Trente Trente propose des formats engagés, mais qui ne nomment jamais directement ce qu'ils dénoncent. Et qui proposent toujours un œil artistique et un travail plastique singulier. Je pense que le plateau ne doit pas être le même monde que la réalité : si l'on donne à penser au public sans l'engager dans l'expérience, alors nous restons en surface.

Ainsi les artistes de Trente Trente ne provoquent-ils pas pour provoquer : ils invitent à une réflexion commune, par le biais de nos ressentis personnels. Jamais gratuitement. Avec un message qui peut être violent, mais jamais frontal.

Je pense par exemple à Benjamin Kahn, qui travaillera sur le cri durant cette édition. Par un cri, on peut exprimer bien plus que des mots : le constat de la solitude, la volonté de s'échapper d'une société discriminante, la souffrance. La révolte peut être exprimée par le lâcher prise, sans être nommée.

Et le beau peut s'inviter dans tout cela. Quel que soit le thème abordé dans les spectacles. J'ai notamment en tête le travail d'écriture de Yacine Sif El Islam, qui porte à la scène ce que l'on appelle un "fait divers" – l'agression homophobe dont il a été victime – mais en allant au-delà du simple récit. L'horreur sur un plateau peut être un phénomène de beauté, la beauté n'est pas que solaire, elle peut aussi être crépusculaire.

Et c'est justement par le dérangement qu'elle transcende : pour que le public puisse apprécier le beau, il doit lâcher prise. Le confort n'a jamais été propice au rêve. Si l'on accepte un autre rythme, d'autres critères, on rentre dans un autre monde. Le rêve permet l'engagement, et si la forme est belle, le lâcher prise est plus accessible… "
◙ Jean-Luc Terrade

Trois semaines dédiées aux arts performatifs
Une vingtaine de compagnies et artistes invités
Clara Delorme - Fernando Anuang'a - Yacine Sif El Islam - Cie Dissociée/Marcelo Nunes - Anna-Marija Adomaitytė et Gautier Teuscher - Les Lubies/Vincent Nadal - Renaud Herbin - Gertjan Franciscus - Ève Magot - Nina Santes - Tomas Cali - Thibaut Ras - Baptiste Cazaux - Benjamin Kahn - Coralie Ehinger - Kevin Malfait et Charles Pietri/Autour - Cie Moost/Marc Oosterhoff - Romain Dubois - Kidows Kim - Jean Luc Terrade/Cie Les Marches de l'Été - Jean Genet - Tiziana Bertoncini, Isabelle Jelen et Jérôme Marchand/Cie Sur Mesure.

Lieux
Bordeaux : La Manufacture CDCN - Glob Théâtre - Marché de Lerme - TnBA - Les Avant-Postes.
Le Bouscat : Atelier des Marches.
Mérignac : Salle de la Glacière.
Gradignan : Théâtre des Quatre Saisons.

Billetterie
info@trentetrente.com
Tél. : 05 56 17 03 83.
La Rédaction

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À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
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"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
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Safidin Alouache
17/12/2024
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"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

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© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024