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Théâtre

"Quichotte" Le chevalier à la triste figure, égaré là dans des bouffonneries un tantinet ahanantes

Pourtant, cette forme cochait sur le papier toutes les cases… "Le" roman picaresque par excellence, celui de Cervantes, terreau de l'adaptation ; la fougue généreuse de son metteur en scène, Gwenaël Morin, adepte expert en théâtre de tréteaux (sans tréteaux) ; l'interprète du héroïssime hidalgo Alonso, la truculente Jeanne Balibar ; son écuyer en la personne de Thierry Dupont, musicien entretenant avec son personnage une bonhomie physique de bon aloi ; et enfin, dans le rôle de la récitante décalée et de Rossinante, la monture du chevalier errant, Marie-Noëlle Genod au magnétisme troublant… Cependant, malgré cette distribution à la hauteur de l'"enjeu", on ressort de cette chevauchée ahanante avec un goût d'inachevé…



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Dans le Jardin de la rue de Mons jouxtant la Maison Jean Vilar, chantre du théâtre populaire (TNP), non loin des gradins dressés pour l'occasion, une méchante toile tendue au-dessus d'un clavier électronique, des feuillets imprimés du livre culte de Cervantes tapissant une palissade, quelques cartons entreposés qui serviront à l'accoutrement du chevalier errant, plantent le décor de l'épopée héroïque qui se prépare. Un théâtre épique qui, en accord avec les prescriptions du "théâtre pauvre" de Jerzy Grotowski, reposera entièrement sur la puissance suggestive du corps de l'acteur… sollicitant à son tour les capacités d'imagination du spectateur-regardeur.

Dans une adresse directe au public inscrit ainsi dans l'histoire, lecture est faite du contexte, comme un rappel "pour les nuls" des folles aventures de cet hidalgo de la Manche, féru de romans de chevalerie au point de vendre ses terres pour acheter des livres. Mais "à force de lire beaucoup et de dormir peu", que pensez-vous qu'il arriva ? Son cerveau se dessécha… L'esprit envolé, l'idéal de chevalerie chevillé au corps, il s'intronisa alors chevalier errant afin d'aller combattre par monts et par vaux l'injustice d'ici-bas… Et tandis que la récitante tente de faire entendre les premières pages du roman, les bruits de marteaux de Quichotte (il a déjà perdu sa particule respectueuse), s'échinant à redresser une vieille armure cabossée s'avérant être deux cartons enfilés par la tête, couvrent sa voix. Armure, heaume, bouclier (en carton recyclable) revêtus et lance (en bois) en main, le furieux chevalier grimaçant à se tordre la mâchoire fait son apparition, prêt à en découdre avec l'injustice du monde cruel.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Dès lors, le public est mis à contribution. Les spectatrices du premier rang deviendront des prostituées au cœur noble, des drôlesses croisées se métamorphosant en gentes dames, et la cour (le Jardin de la rue de Mons), celle d'un imposant château où Quichotte passera la nuit après que son fidèle écuyer, le ventru Sancho Panza (panse en espagnol), lui eut préparé sa couche chevaleresque. Quant au chevalier, fidèle à ses vœux, lorsqu'il entendra au loin les cris "d'un nécessiteux ou d'une nécessiteuse nécessitant sa nécessaire intervention", il revêtira son casque et, lance à la main, s'élancera, de ses petits pas précipités, au galop.

Redresseur de torts, réparateur d'iniquités, qualités qu'il s'empresse de déclamer pour réclamer d'un bon bourgeois qu'il verse son dû à un manant… lequel sera payé en retour de coups de bâtons, dès le chevalier les talons tournés. Et lorsque le narrateur sortira de la réserve livresque à laquelle il est astreint pour oser demander au vaillant chevalier de lui montrer sa Dulcinée, "aurait-elle un œil en moins", ce dernier pète grave les plombs en lui faisant payer ce blasphème par un numéro de lance… le précipitant lui à terre, sonné mais chantant.

Suivront encore des "tableaux vivants" comme celui de l'autodafé des livres du chevalier afin de sauver sa raison délirante mise à l'épreuve par le diable qui se cache entre les lignes. Sous les "oh !" admiratifs de la récitante égrenant les titres, les romans seront jetés en tas pour être brûlés vifs. Ou encore, la séquence où Sancho Panza, très en verve, apprendra au public à bouger en rythme cadencé les bras, levés en l'air comme des ailes de moulins (que son maître prend lui – évidemment – pour des géants démesurés) tout en entonnant à l'appui la chansonnette.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Quichotte, apercevant alors ces géants fondre sur lui, n'écoutant que son courage "démentiel", se précipitera sur eux… pour se retrouver face à nous, la lance brisée et renversé sur les genoux de la récitante… Chute (de l'histoire) ponctuée par ses mots du chevalier sonné : "Je me souviens avoir vu ce Seigneur… Il fut un combattant ardent. On le nomma "L'assommoir" tant il renversa de Mahométans".

Si certains tableaux valent par les mimiques furibardes de Jeanne Balibar interprétant un Quichotte déjanté à souhait et mis en valeur par les protagonistes qui l'accompagnent, on reste toutefois un peu sceptique à plusieurs niveaux… D'une part, le rythme vient à manquer et, entre quelques moments forts, des longs temps de latence créent des failles spatio-temporelles (bref, on décroche…) où l'ennui s'invite. La force du "théâtre pauvre" est de maintenir continuellement l'intérêt par l'attraction exercée par le corps de l'acteur qui, ici, disparaît (au sens propre) à plusieurs "reprises" des radars.

Ensuite le parti pris (certes assumé) de transformer l'anti-héros utopiste, âgé de quatre siècles, en bouffon de premier ordre, sans lui accorder le bénéfice d'être – aussi – un idéaliste, rêveur patenté, s'en prenant à l'ordre décrété par un vieux monde conservateur inapte à satisfaire ses désirs d'élévation généreuse, est une option… Une option artistique qui pourrait paraître céder à l'appel du divertissement "quoi qu'il en coûte", promu par les agents culturels du politiquement correct. Bref, quelle que soit la valeur, elle, incontestable, des participant(e)s, ce projet ne nous semble pas de nature à générer une "folle adhésion".
◙ Yves Kafka

Vu le jeudi 18 juillet 2024 dans le Jardin de la rue de Mons, Maison Jean Vilar à Avignon.

"Quichotte"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
France – Création 2024 Festival d'Avignon.
D'après l'œuvre de Miguel de Cervantes.
Adaptation, mise en scène et scénographie : Gwenaël Morin.
Avec : Jeanne Balibar, Thierry Dupont, Marie-Noëlle, Léo Martin.
Lumière : Philippe Gladieux.
Assistant à la mise en scène : Léo Martin.
Travail vocal : Myriam Djemour.
Costumes : Élsa Depardieu.
Régie générale et lumière : Loïc Even.
Régie plateau : Jules Guittier.
Durée : 2 h.

Du 11 au 14 mars 2025.
Mardi, mercredi et vendredi à 19 h 30, jeudi à 20 h 30.
Salle 64 Charles Apothéloz, Théâtre Vidy-Mausanne, Lausanne (Suisse).
Billetterie : +41 (0)21 619 45 45
billetterie@vidy.ch
>> vidy.ch/fr

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Tournée
Mars 2025 : Théâtre Vidy-Lausanne, Lausanne (Suisse).
Du 18 au 22 mars 2025 : Théâtre Sorano - Scène conventionnée, Toulouse (31).
25 et 26 mars 2025 : La Coursive - Scène nationale, La Rochelle (17).
29 et 30 avril 2025 : Théâtre du Bois de l'Aune, Aix-en-Provence (13).

Yves Kafka
Mercredi 5 Mars 2025

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