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Danse

"May B"… sans doute un chef d'œuvre !

Devenu un classique, Maguy Marin avec "May B" a réussi à faire, avec ce théâtre dansé, une des revendications de ses idéaux autant artistiques que politiques. Dans un univers aussi gris que souterrain, cinq femmes et cinq hommes se vivent et se racontent corporellement.



© Hervé Deroo.
© Hervé Deroo.
La rencontre entre Maguy Marin et Samuel Beckett a lieu en 1981. Il avait 75 ans, elle en avait 30. En amoureuse de l'œuvre de Beckett, elle allait composer une œuvre créatrice de premier plan, "May B", qui allait bousculer l'univers de la danse. Ce 4 novembre 1981 au théâtre municipal d'Angers, c'était la première fois qu'une création allait rendre compte des bas-fonds d'une société et de ses relations de sexe, de pouvoir autour de poussières et de saleté. L'accueil et le succès n'allaient pas être immédiats. Aujourd'hui, plus de 750 représentations ont été montées sur toute la planète.

Sa création est de toute beauté, une composition aussi bien théâtrale qu'artistique avec comme cheville ouvrière, la danse. L'humour pointe le bout de son nez, à plusieurs reprises, dans un monde qui semble souterrain, les interprètes étant grimés d'argile sur tout le corps, dans des déplacements où la souplesse et la légèreté sont faussement occultées.

Et pourtant, celles-ci sont en toile de fond dans les marches qui sont, à dessein, assez rugueux et droits, effectués par des êtres qui semblent sortis des bas quartiers. C'est très beau dans la gestique, la scénographie, la composition chorégraphique. On pose, on meugle, on crie, on mange. Cela vit et déborde d'une fausse joie et d'une lourdeur à la fois légères et très marquées. La frontière est ténue entre les deux.

Nous sommes à cheval entre deux mondes, celui du groupe et de la solitude, celui du rire et de la tristesse, celui de l'humour et de la gravité, celui de la massivité et de la légèreté, celui du partage et de l'égoïsme, celui du pouvoir et de la soumission. Une certaine lourdeur accompagne les corps, les pas, les déplacements avec des plantes de pieds qui traînent parfois sur les planches, qui se soulèvent légèrement pour caresser le sol du bout des pointes.

C'est aussi des mouvements de poignets recroquevillés, des jambes qui s'étirent, qui sautent, des membres qui se ragaillardissent parfois après un accoutrement des corps penchés vers le bas, le tout accompagné des musiques de Franz Schubert (1797-1828), Gilles de Binche (1400-1460) et Gavin Bryars (1943-2015).

© Hervé Deroo.
© Hervé Deroo.
Il y a aussi des scènes de vie avec ses entrées et ses sorties. Elles se déroulent avec un échange, entre artistes, tissé aussi bien autour du silence, de la complicité, de la solitude, du geste que de la parole. Les rares répliques prononcées sont celles de Beckett. Le corps devient le support d'un langage, d'une communion ou d'une séparation. Tout est dans la gestique, le rapport à l'autre et à soi-même avec des interprètes qui se retrouvent aussi seuls qu'accompagnés. Ce sont des regards perdus, des visages vers le haut ou vers le bas, des expressions figées ou égarées. Le plateau est parfois découpé en plusieurs plans avec des scénettes qui se déroulent en parallèle.

Les chorégraphies s'enchaînent? avec une synchronisation, même dans des déplacements, qui se veulent des plus "terreux" et des plus rêches, très présentes. Elles sont composées d'un groupe de trois à dix interprètes où le naturel se dégage, les artistes ne s'incarnant pas en tant que danseurs dans leur jeu. Ce sont des personnages avec leurs vécus, leurs émotions, leurs états d'âme.

Il y a ces moments où ils mangent des gâteaux en se le disputant, où ils se portent, où ils disent que c'est fini et que ça ne l'est pourtant pas, où ils se masturbent, où ils meuglent, articulent des onomatopées. Nous sommes comme dans un monde de finitude où les êtres, mi-mineurs, mi-monstres, se retrouvent à la fois épanouis et étouffés, où la mort semble habiter avec eux.

C'est une pièce de toute beauté, de grande importance, qui montre les ressorts de notre société autour d'une gamme d'attitudes et d'émotions que Maguy Marin, chorégraphe "enragée" comme elle se définit, a su montrer avec beaucoup de talent et de finesse, renversant les codes de la danse de l'époque qui étaient encore arc-boutés dans une grille de lecture confinée dans le "propre" sans aspérité.

"May B"

Chorégraphie : Maguy Marin.
Avec : Ulises Alvarez, Kais Chouibi, Laura Frigato, Françoise Leick, Louise Mariotte, Cathy Polo, Agnès Potié, Rolando Rocha, Ennio Sammarco, Marcelo Sepulveda.
Lumières : Alexandre Beneteaud.
Costumes : Louise Marin.
Musique : Franz Schubert, Gilles De Binche, Gavin Bryars.
Cie Maguy Marin.
Durée : 1 h 30.

Du 27 février au 12 mars 2019.
Du 27 février au 11 mars à 20 h, 12 mars à 14 h 30.
Théâtre de la Ville Hors les murs, Espace Pierre Cardin, Paris 8e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Safidin Alouache
Mardi 5 Mars 2019

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© Betül Balkan.
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© Philippe Hanula.
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