La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"900 Something Days Spent in the XXth Century"… L'art réincarné

C'est une recréation d'un spectacle in situ qui avait été construit en 2021 par le chorégraphe Némo Flouret. Sa démarche est de faire une immersion dans des espaces physiques qui ne se rattachent pas à des lieux de représentation. Dans des performances disséminées, la scénographie se fait jour au fil de l'eau dans un cadre qui définit progressivement une relation entre l'acte artistique et le regard spectateur.



© Martin Argyroglo.
© Martin Argyroglo.
Nous sommes dans un grand espace, tous debout à déambuler. Il y a par intermittence du silence, des lumières et de la musique. Puis, à tour de rôle, des artistes en solo, duo puis en trio, engagent, de façon séparée, leur partition. Ils apparaissent furtivement dans une foule où les gens marchent, stationnent, attendent. Quand les interprètes s'animent de mouvements et/ou se déplacent, le public se répartit en petits groupes autour de ceux-ci.

Les regards deviennent fixes et focalisés sur chacun d'entre eux. Ils sont dans une performance solitaire, reliés les uns aux autres par une multitude de personnes qui se positionnent par rapport à eux lorsque ceux-là font une gestique. Libre à chacun de les regarder, de les observer, de les ignorer ou de les louper, car non situés au bon endroit et au bon moment. Elle ne dure que quelques instants, juste le temps d'effectuer un déplacement rapide suivi d'une gestuelle, à dessein, peu gracieuse, pour ensuite disparaître ou être suivis par d'autres danseurs ailleurs dans la salle.

Les gens peuvent être perturbés ou dubitatifs par une disposition de l'espace qui leur est imposée… où c'est à eux d'être attentifs à tout déplacement vif qui peut être découvert sur le tard, car disséminé parmi eux. Ils peuvent être pris à rebrousse-poil, l'art étant diffus et non délimité dans une aire bien précise. Ils sont toutefois compris dans cette performance, devenant eux-mêmes spect-acteurs, de gré, mais à leurs dépens, de ce qui se joue autour d'eux.

© Martin Argyroglo.
© Martin Argyroglo.
Les gestuelles peuvent être suspendues, comme pour l'un des danseurs quand il prend sa jambe en hauteur, le genou replié. Elles peuvent être aussi au sol, dans un mouvement rapide et bref. La performance est disséminée aux quatre coins de la salle, reliée toutefois par un même rythme et une même dynamique en tension.

La représentation prend réellement forme avec la délimitation d'une scène faite par les interprètes qui convient le public à prendre place autour d'eux. Le spectacle advient à ce moment-là, dans le sens que nous lui donnons communément, avec ses repères d'un lieu scénique autour d'un public et des artistes repérés comme tels, alors qu'auparavant, tout se jouait dans une affluence où chacun était relié à personne. Le seul lien, entre quelques personnes devenues un instant spectateurs d'une même gestuelle, était effectué par les danseurs qui prenaient en compte, dans leurs trajets, la foule qui déambulait ou stationnait afin de ne pas la bousculer.

À l'entame, la délimitation entre public et artistes n'est pas spatiale, mais d'allures et de formes par les gestiques effectuées par ceux-ci. Ensuite, les gens se considèrent dans ce pour quoi ils sont attendus, à savoir une assistance. Ceci est posé quand les interprètes mettent une distance en disposant en cercle l'affluence autour d'eux.

© Irène Occhiato.
© Irène Occhiato.
Nous sommes dans un schéma inversé avec des artistes qui s'immiscent dans une foule pour faire de celle-ci un public et délimiter une scène, alors que, dans le système de production, l'assistance est déjà définie et située, et sa disposition scénique agencée.

Dans un premier temps, les danseurs existent par leurs gestes et gestiques pour se démarquer de la foule. Dans un deuxième temps, la démarcation est spatiale avec un public installé en cercle et trouvant enfin ses repères. Ainsi, la recherche de balises dans les deux cas, avec les artistes par rapport à l'affluence et les gens en fonction de ce qui se passe autour d'eux, crée un référentiel permettant le spectacle dans l'acceptation commune du monde industriel qui est le nôtre.

Et pourtant, le couple danse et la représentation a toujours eu lieu, dès les premiers instants et la première gestique. Némo Flouret bouscule les codes artistiques en faisant d'un lieu, ressemblant presque à une usine désinfectée, un cadre dans lequel l'art s'impose en intégrant une foule dans son univers. Les interprètes jouent avec les ombres et les lumières, portant parfois les secondes du sol jusqu'à leurs torses. De longs voiles gris-beige sont mis en exergue, sur lesquels des inscriptions au marqueur sont effectuées.

© Martin Argyroglo.
© Martin Argyroglo.
La création est assez déroutante au début, du fait de la diffusion éparse de la chorégraphie dans un public qui peut ne pas avoir encore bien pris ses marques. Dans cette frontière floue entre acteurs et public, Némo Flouret bouscule ce qui fait art comme processus créateur d'un système en le mettant en dehors de tout pré-carré. Se retrouver dans un endroit, sans scène apparente, face à des gens éparpillés autour d'artistes qui interviennent par surprise, c'est déréglé le système de représentativité du 6ᵉ art comme l'avait fait, bien autrement et dans un autre contexte, Peter Brook (1925-2022) dans ses différents voyages en déposant à même le sol, dans n'importe quel endroit, un tapis pour délimiter une scène.
◙ Safidin Alouache

* "900 jours passés au XXe siècle".

"900 Something Days Spent in the XXth Century"

© Martin Argyroglo.
© Martin Argyroglo.
Initié par Némo Flouret.
Créé et interprété par : Régis Badel, Eli Cohen, Synne Elve Enoksen, Némo Flouret, Rafa Galdino, Tessa Hall, Philomène Jander, Zoé Lakhnati, Camille Legrand, Iris Marchand, Jean-Baptiste Portier, Margarida Marques Ramalhete, Solène Wachter, Wan-Lun Yun.
Conception lumières : Max Adam.
Conception sonore : Milan Van Doren.
Conception artistique et scénographie textile : Iris Marchand, assistée par Léa Debeugny.
Scénographie : Kjersti Alm Eriksen.
Implantation scénographie et régie générale : Rémy Ebras.
Costumes : Jean Lemersre.
Recherche et texte : Thomas Bîrzan, Tessa Hall, Camille Legrand, Némo Flouret, Assia Turquier Zauberman.
Conseils artistiques : Keren Kraizer, Solène Wachter
Production : Bleu Printemps.
Durée : entre 45 minutes et 1 heure.

La représentation a eu lieu du 17 au 22 décembre 2024 à la Grande Halle de la Villette, Paris 19ᵉ.

Tournée
Décembre 2025 : La Halle aux grains - Scène nationale, Blois (41).

Safidin Alouache
Jeudi 2 Janvier 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024