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Danse

"Ihsane"… Un vaste spectre de passions humaines… pour l'amour et la tolérance… contre la barbarie

Deuxième volet d'un diptyque, le chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui nous entraîne avec "Ihsane" à la fois dans un fait divers effroyable et aussi sur les traces de son père dans les paysages et déserts du Maghreb avec sa musique et ses couleurs, dans un esprit de tolérance et d'ouverture contre l'extrémisme mortifère et assassin.



© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
C'est une œuvre de Sidi Larbi Cherkaoui, à la tête du Ballet du Grand Théâtre de Genève, qui s'inscrit dans un contexte terrifiant, celui du lynchage homophobe d'Ihsane, belge de 32 ans d'origine marocaine en avril 2012 par quatre individus à la sortie d'une boîte gay. Il a été retrouvé mort une semaine après, victime de tortures et de traitements inhumains et dégradants.

"Ihsane" fait partie d'un diptyque composé aussi de "Vlaemsch" (2022) qui était dédié à sa mère. Le thème de cette création est aussi son père qu'il a perdu quand il était adolescent et de son rapport avec lui.

Nourri de ces deux contextes, le spectacle est ainsi une exploration de ce qui se rattache aux origines, à ce qui fait culture et identité. Et aussi à cet autre, la figure de l'étranger, à ce qui peut nous sembler si différent et pourtant si proche, à ce qui peut être aussi rejeté, voire haï, car sur lequel peut se greffer toute sorte de peurs et d'incompréhension.

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
Aussi, c'est par un cours d'arabe que commence la représentation, à destination aussi du public, ouvrant une première porte, celle du langage, si présente dans cette création, afin de se relier à ce qui peut nous être étranger. Le spectacle est une invitation à l'autre, à un rapprochement de lui, comme source de richesses.

L'anglais et le français sont aussi adoptés dans certaines scènes, comme dans ce pas de deux avec une gestuelle tout en équilibre composée de bascules et de rotations amples accompagnées de paroles, comme si la danse devenait théâtre avec son verbe.

Le spectacle est découpé en différentes séquences dans une superbe scénographie. Celle-ci est très riche, et devient parfois un peu trop surchargée par la variété des tableaux. L'immersion est totale avec une géographie des lieux et une échelle du temps qui ne sont pas, à dessein, précisées. C'est un voyage dans lequel nous sommes conviés avec ses ambiances, ses intérieurs, ses paysages, ses chansons en arabe et sa musique.

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
En arrière-scène sont situés les musiciens Jasser Haj Youssef (viole d'amour), Gaël Cadoux (piano Rhodes), Yasamin Shahhosseini (Oud) et Gabriele Miracle Bragantini (percussion), ainsi que les chanteurs Fadia Tomb El-Hage et Mohammed El Arabi-Serghini.

Dans ces différents médias autant vocaux, musicaux, scénographiques que corporels, la grille artistique est plurielle avec un large spectre de tableaux et une construction de l'œuvre qui perd parfois de lisibilité avec quelques longueurs. La violence de certains d'entre eux est très marquée. Le lynchage d'Ihsane est restitué de même que son pendant amical et intime avec son duo composé d'une gestuelle souple, arrondie et aux touchers légers.

Pour le cours d'arabe, la parole fait place aussi à une chorégraphie basée sur une gestuelle des mains simulant presque un langage des signes, avec des figures géométriques angulaires des bras et un mouvement rotatif des coudes. Puis c'est au tour des corps de bouger.

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
Il y a un mélange de catimini, de gravité, de violence, d'intimité, de camaraderie dans la scénographie. C'est un feu d'artifice de couleurs qui s'appuie sur une large gamme d'émotions. L'ensemble est très beau et respire de poésie avec les lumières, les couleurs, la musique et les gestiques. Les premières sont à la fois mates et colorées, avec des moments autant de fête, d'intimité que de violence et de solitude.

C'est un vaste spectre de passions humaines qui est montré avec son échelle de valeurs positives et négatives. La musique et les chants nous mènent vers un ailleurs afin de retrouver Ihsane, qui désigne en arabe un idéal de bonté, de gentillesse et de bienveillance. Bref, une tolérance et une ouverture d'esprit qui font un bien fou dans notre actualité bousculée sur ces sujets.
◙ Safidin Alouache

"Ihsane"

© Thomas Amouroux.
© Thomas Amouroux.
Ballet du Grand Théâtre de Genève/Eastman.
Chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui.
Directeur général : Aviel Cahn.
Directeur du Ballet : Sidi Larbi Cherkaoui.
Scénographie : Amine Amharech.
Lumières : Fabiana Piccioli.
Musique : Jasser Haj Youssef.
Costumes : Amine Bendriouich.
Vidéo : Maxime Guislain.
Chant : Fadia Tomb El-Hage, Mohammed El Arabi-Serghini.
Dramaturge : El Arbi El-Harti.
Sound design : Alexandre Dai Castaing.
Directeur des répétitions : Manuel Renard.
Assistants à la chorégraphie : Pascal Marty, Patrick Williams Seebacher (TwoFace).
Musiciens : Jasser Haj Youssef (viole d'amour), Gaël Cadoux (piano Rhodes), Yasamin Shahhosseini (Oud), Gabriele Miracle Bragantini (percussion).
Durée : 1 h 30.

A eu lieu du 30 mars au 13 avril 2025 au Théâtre du Châtelet, 1, place du Châtelet, Paris 1er.

Programme 1, du 30 mars au 6 avril 2025.
"Ihsane" de Sidi Larbi Cherkaoui.
Programme 2, du 10 au 13 avril 2025.
"Strong" de Sharon Eyal,
"Busk" de Aszure Barton,
"Boléro" de Damien Jalet & Sidi Larbi Cherkaoui.

Safidin Alouache
Lundi 14 Avril 2025

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