La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Pop Corn Protocole" La fabuleuse histoire d'un champ de maïs ordinaire se transformant en champ de bataille apocalyptique…

Comment pouvoir un seul instant imaginer qu'un petit épi de maïs, si innocent avec ses très ordinaires grains orangés parés du si banal feuillage d'un "géant vert", puisse être au cœur de tels enjeux ravageurs ? Coachés par Émilie Houdent, les performeurs hautement aguerris que sont Annabelle Chambon et Cédric Charron, flanqués de leurs deux acolytes délurés aux instruments, Jean-Emmanuel Belot et Mari Lanera, offrent une ode délirante… pour célébrer à leur manière iconoclaste la folle épopée d'une céréale mutée en serial-killer de la biodiversité et, avec elle, l'irrésistible décadence des humains soumis à ses diktats.



© Marc Dommage.
© Marc Dommage.
À l'heure où la manipulation du vivant pose la question essentielle de la survie de l'espèce, le tableau initial surexposant un individu entièrement nu, recroquevillé en position de fœtus, l'échine transpercée par le fleuret de deux escrimeurs triomphants, un pied altier posé sur leur proie terrassée, est "de nature"… à faire passer un frisson dans le dos. L'état cataclysmique du plateau à la fin de la débauche performative donnera quant à lui la mesure de l'énergie développée par les deux danseurs-chorégraphes, galvanisés par les pulsations convulsives des claviers électroniques de leurs deux alliés au plateau.

Comment un modeste épi vivrier, apparu il y a quelques milliers d'années au Mexique et sur les hauts plateaux du Pérou, a pu conquérir le statut quasi religieux de "Mère des Aliments" - chez les peuples amérindiens - avant d'envahir l'espace contemporain pour devenir un enjeu capital(iste) des économies bâtissant sur son dos de gigantesques profits ? Telle est la question posée en filigrane par les deux mousquetaires escrimeurs, coiffés d'une couronne d'épis de maïs en guise de totem afin de porter jusqu'à nous la fantastique épopée d'un "épi… phénomène" carnassier à souhait.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Enchaînant les tableaux comme des saillies décochées savamment, alternant menuets cadencés, galoches aux pieds, sur musique de Lully et dérèglements furieux de rock alternatif, les performeurs irradient d'énergie salvatrice pour brandir avec un humour décapant le flambeau d'une révolte à fleur(et) de peau. Altiers sur les pointes de leurs lourds sabots de bois ou croisant fièrement le fer, dévidant pour mieux la piétiner la ribambelle des drapeaux de la mondialisation du commerce juteux, ils se livrent corps et âme jusqu'à dégurgiter en salves les pop corns dont on gave les innocents consommateurs des temps modernes.

Vient s'ajouter à cette débauche visuelle et sonore, une autre saturation, celle d'informations sur la réalité pharaonique du maïs dans tous ses états. De cette foultitude de données quantifiées défilant en surimpression et surplombant le jeu scénique, on en retiendra une particulièrement édifiante : un dollar investi dans le maïs peut procurer, au bout de la chaîne de transformation, un rendement de 2 500 fois sa valeur initiale ; une manne à cultiver - on l'imagine - pour les magnats de l'industrie céréalière.

Ainsi, de ressource vivrière vitale adulée comme un don du ciel, à l'enjeu actuel que le dieu païen Maïs représente pour les multinationales faisant fi comme de leur première vérole des environnements tant humain que naturel, est revisitée l'incroyable odyssée d'une innocente céréale. Comme des grains de pop-corn implosant sous l'effet de la chaleur, sous l'œil aiguisé de ses deux complices exhibant des masques carnassiers, le couple de performeurs mu par une folie contagieuse parcourt les grandeurs et misères d'un épi aux multiples visages.

© Marc Dommage.
© Marc Dommage.
Pris dans l'œil de la tornade (ré)créative déferlant à la vitesse super sonique, le spectateur ressort étourdi… de bonheur. Et si le lâcher prise (l'erreur serait de vouloir à tout prix rechercher dans chaque saynète de qui elle est le nom) est le précieux sésame permettant de se laisser gagner par le flux dément d'une entreprise toute aussi démente, on ne peut in fine que s'en réjouir… En effet, seule cette effervescence en tous sens était susceptible de projeter au propre comme au figuré les désastres "in-humains" causés par la course aux profits délétères.

Un moment de plaisirs goûteux que cette épopée organique et orgiaque (bien qu'il s'agisse-là de maïs et non d'orge ; "quant au soja, il faudra attendre le prochain épisode", dixit C.C.) à déguster sans réserve… (et sans cornet de pop corn en main).

Vu le vendredi 3 mars 2023 à La Manufacture CDCN de Bordeaux.

"Pop corn Protocole"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Création 2022.
Conception : Annabelle Chambon, Cédric Charron, Jean-Emmanuel Belot, Mari Lanera, Émilie Houdent.
Mise en scène et chorégraphie : Annabelle Chambon, Cédric Charron.
Avec : Annabelle Chambon, Cédric Charron, Jean-Emmanuel Belot, Mari Lanera.
Création son : Jean-Emmanuel Belot, Mari Laenera.
Création lumière et régie générale : Sandie Charron-Pillone, Jean-Yves Pillone.
Regard artistique : Émilie Houdent.
Stagiaire : Alexandrine Philippe.
Remerciements : Max Bruckert, Albane d'Argence.
Production Charchahm.
Coproduction La Manufacture CDCN.
Durée : 1 h 15.

Tournée
30 mars 2023 : Théâtre Vanves - Scène conventionnée d'intérêt national, Vanves (92).

Yves Kafka
Mardi 14 Mars 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024