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Danse

"Narcisse. La beauté de reflets artistiques dans une quête d'absolue plénitude

Pour sa dernière création, la chorégraphe et danseuse française, Marion Motin, invite le théâtre corporel et la musique, moderne et bien rythmée, dans des tableaux dans lesquels la gestuelle de chaque danseur s'articule dans des perceptions variées où les regards à soi et à l'autre entrent autant en résonance qu'en opposition dans l'expressivité de chacun d'eux.



© Quentin Chevrier.
© Quentin Chevrier.
Il fait sombre quand le rideau se lève et pourtant tout est affaire de lumières, celles-ci donnant une atmosphère presque envoûtante à la scène. Dans des clairs-obscurs habillés de douches orangées où Maud Amour se met dans de lentes postures posées, il se devine chez elle une posture ressemblant à celle d’une araignée, avec son tronc et ses membres inférieurs au sol et des mains légèrement fléchies et tendues en appui. Son être bouge en dégageant une expressivité sexuelle, avec des jambes écartées animées de légers tressaillements secoués de nervosité.

Elle est dans un rapport à l’espace et à sa personne où se dégage une sensualité. Elle est seule et se donne en représentation. Son corps devient un étendard, tel un drapeau qu’elle montre à elle-même ou à d'autres, étant à la fois dans une solitude et en public, réellement ou en imagination, dans un jeu de séduction qui laisse voir une femme dans sa plénitude expressive.

Nos cinq danseurs sont dans un périmètre proche, à quelques centimètres les uns des autres, sans se toucher et ont, pour chacun, leur solo avec, un moment, un chant en play-back. Les expressions faciales et gestuelles accompagnent celui-ci. Elle est extérieure, presque caricaturale où, à dessein, aucune émotion n’est réellement incarnée, le visage se faisant loupe grossissante d’une mise en situation où chacun, à tour de rôle, exprime librement et sans entrave, comme absent de tout regard, des émotions refoulées ou éteintes pour être mises en avant.

© Quentin Chevrier.
© Quentin Chevrier.
De quoi s’agit-il après tout ? D’être ensemble sans se perdre pour chacun. À la fois, seuls et entourés, la présence des autres pour chacun d’eux compte à peine. D’où ce sentiment de solitude, presque fantasmatique, où ce qui est exprimé a des contours de sensualité parfois, de discrétion rarement et de narcissisme toujours. Ils se projettent, chacun, à se voir sur scène comme interprètes de leurs propres chairs. Les costumes portent sur eux des dessins représentatifs variés avec des paillettes et des corps nus.

Peu ou pas d’interaction entre les artistes, sauf dans un tableau, qui se répète à trois-quatre reprises, avec une césure chorégraphique où ils dansent ensemble de façon synchronisée. Ils sont sur une même ligne horizontale, l’axe du tronc restant à la verticale, regardant à gauche et à droite, inclinant leur tête avec des mimiques faciales discrètes, mais très présentes dans laquelle la plante des pieds se pose sur les orteils, le talon relevé vers les côtés droit puis gauche avec des bras qui s’élancent de manière légère et aérienne. La danse est composée d’une gestuelle peu étendue, prenant en compte, pour chaque artiste, leur alter ego côté cour ou jardin.

© Quentin Chevrier.
© Quentin Chevrier.
Leur expressivité devient autre, partagée et moins exubérante dans une trame chorégraphique laissant de côté les égos de chacun. C'est le seul moment où le public est pris en compte, à dessein, par les interprètes. Presque un souffle de répit quand ailleurs, les mouvements sont très dynamiques, en tension ou parfois plus aériens et élancés, à l’image des musiques souvent très rythmées ou plus douces et mélodiques. Le 4ᵉ art est le "La" du spectacle, avec les lumières, qui donne une atmosphère mystérieuse et feutrée pour la seconde, et rythmée pour la première.

Nous sommes dans une large gamme de mouvements où les chorégraphies, avec son théâtre associé, car celles-ci sont très jouées, alternent entre gestuelles plus ou moins élancées, aériennes ou en force, avec des membres supérieurs qui s’élancent souvent. Les attitudes au sol sont très présentes au début pour ensuite rester debout jusqu’à la fin du spectacle pour terminer inerte et allongé.

Des coups de feu de pistolet se font entendre, qui entrent dans une dynamique théâtrale puisqu'ils visent, les uns après les autres, chaque interprète qui tombe comme mort sur les planches. Est-ce le crépuscule d'un rêve finissant ou l’expressivité totale de chaque personnage qui peut être source de dérangement ou est-ce le rappel du mythe de Narcisse avec la mort de celui-ci à trop se regarder ? Chacun peut avoir sa grille de lecture.

© Quentin Chevrier.
© Quentin Chevrier.
Les tensions corporelles selon les tableaux alternent entre souplesse et force, avec des ruptures de rythme entre gracieuseté feinte et sensualité éprouvée. Il y a une dimension étrange de perception, car la solitude alterne avec un jeu en direction du public, d’où un sentiment ambivalent avec des artistes enfermés dans leur monde et à la recherche d’une reconnaissance absolue, utilisant leur corps dans leur plénitude pour l’atteindre.
◙ Safidin Alouache

"Narcisse"

© Quentin Chevrier.
© Quentin Chevrier.
Chorégraphie : Marion Motin.
Assistante : Caroline Bouquet.
Avec : Maud Amour, Chris Fargeot, Jocelyn Laurent, Marion Motin, Sulian Rios.
Création Lumière : Marion Motin et Judith Leray.
Régie générale : Gwendolin Boudon.
Set Design : Marion Motin.
Composition musicale : Micka Luna.
Collectif Les Autres.
À partir de 14 ans.

Le spectacle s’est déroulé du 4 au 6 décembre 2024 à l'Espace Chapiteau, La Villette, Paris.

Safidin Alouache
Jeudi 12 Décembre 2024

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© PKL.
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© Pierre Gondard.
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