La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Une absence de silence" La révolte gronde à bas bruit… une reconquête de l'humain

Pour faire résonner en nous l'emprise de "l'habitus" selon Pierre Bourdieu sur nos comportements acquis, le Collectif Rêve Concret et son metteur en scène Mathieu Touzé convoquent avec grâce et (im)pertinence le voguing, cette danse urbaine inspirée des poses stéréotypées des mannequins de mode. Quant au roman d'Olivia Rosenthal, "Que font les rennes après Noël ?", il constitue la trame porteuse de la performance chorégraphiée. En effet, le traitement que les humains font subir aux animaux ne se l'appliquent-ils pas tout autant à eux-mêmes, sujets assujettis à un espace social qui les formate de bout en bout ?



© Roberta Verzella.
© Roberta Verzella.
Des formes humaines se déplaçant à quatre pattes, rampant au sol, émergent peu à peu d'une nuit profonde. Alors qu'une voix envoûtante dévide une longue apostrophe parlant à l'enfant sauvage en nous, les créatures s'adonnent au plaisir premier de se frôler, de s'effleurer, de s'entrelacer afin d'éprouver au plateau la présence de l'autre, si semblable et si différent… avant de partager une rage muette, celle d'être coupées de leur nature animale…

Propriété de votre mère, vous voudriez lui échapper, mais seule une colère rentrée vous est permise. Aussi, vous promettez-vous de vous évader avec les rennes après Noël…

Le tableau augural émergeant des ténèbres pose l'enjeu de cette forme chorégraphiée commentée in vivo par la voix suave de Yuming Hey : faire vivre le processus suivi par le petit d'homme en vue de son intégration - en l'occurrence, sa désintégration - dans le clan des humains, dressage le castrant à tout jamais de ses origines animales. Imprégné de l'odeur du formatage éducatif, le petit d'homme vit dans sa chair la révolte sourde d'être la propriété d'une mère dite bienveillante qui, au nom de sa nécessaire protection, le coupe de son animalité vitale afin de le mieux asservir aux diktats "humains". Ainsi en va-t-il de l'élevage en captivité, une domestication pour oublier sa nature en échange de sucreries doucereuses…

© Roberta Verzella.
© Roberta Verzella.
L'effervescence au plateau de figures de danses trépidantes s'accompagne de la projection d'images de poussins élevés en batteries… Sur fond de chants romantiques alternant avec des musiques rock endiablées, des chorégraphies projetant sur l'avant-scène des créatures immaculées, sorties tout droit d'un catalogue branché - cuissardes, jupettes et port altier - éclaboussent le plateau de leur vitalité étudiée. Sous le vernis de l'artifice promu au rang d'art de vivre - alors qu'il ne s'agit là que d'étais soutenant un mal de vivre récurrent - les sens cherchent frénétiquement dans l'étourdissement un remède anesthésiant la souffrance d'être coupé de toute nature primale.

Quant à l'enchantement des figures chorégraphiées, il est là pour souligner en contrepoint le désenchantement vécu. Il faudra pouvoir se dépouiller de ces costumes d'apparat pour que la peau mise à nu puisse ressentir le dur désir d'être soi en dehors des injonctions parentales et sociétales. Une mue du moi peau visant à reconnecter l'humain avec le vivant en le délivrant des couches de peinture déposées par les injonctions en tout genre, une desquamation débouchant nécessairement sur une mélancolie, "ouvroir de liberté potentielle".

© Roberta Verzella.
© Roberta Verzella.
La saine colère qui lui succède revitalise, reconnecte chacun avec un soi "interdit de cité" en réalisant - toujours la voix de Yuming Hey accompagnant les tableaux vivants - la coupure du cordon ombilical reliant aux figures d'autorité. Trahir sa mère pour ne pas se trahir soi, une émancipation vécue en direct et se concluant par un cri déchirant la chape de plomb "édu-castratrice".

Ainsi, embarqué par la féerie des interprétations, elles-mêmes soutenues par une scénographie à l'esthétique éblouissante et par un univers sonore des plus porteurs, le spectateur se laisse aller à un lâcher prise salutaire. Larguant le poids des amarres sociétales, il se prend à voguer pour rejoindre le pays des rennes, sauvagement vivant lui aussi.

Vu le mercredi 8 mars 2023 dans la Salle Vauthier du TnBA à Bordeaux.

"Une absence de silence"

© Roberta Verzella.
© Roberta Verzella.
Danse/Théâtre
D'après "Que font les rennes après Noël ?" d'Olivia Rosenthal, publié aux Éditions Gallimard.
Mise en scène : Mathieu Touzé.
Assistante à la mise en scène : Hélène Thil.
Avec : Yuming Hey, Jeanne Alechinsky, Laura Desideri, Gianmarco Montesi, Emiliano Perazzini.
Scénographie et costumes : Mathieu Touzé et Estelle Deniaud.
Vidéo : Justine Emard.
Musique : Rebecca Meyer.
Lumière : Renaud Lagier.
Par le Collectif Rêve Concret.
Durée 1 h 15.

A été représenté du mardi 7 au jeudi 9 mars 2023 au TnBA à Bordeaux.

Yves Kafka
Mardi 21 Mars 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024