La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Tetris"… géométrie corporelle temporelle

"Tetris", Théâtre national de Chaillot, Paris

Erik Kaiel est né en Autriche, a grandi aux États-Unis et vit aux Pays-Bas où il a créé Tetris en 2011 pour le jeune public. Son spectacle est une vue de notre mode de vivre où le corps devient parangon géométrique de notre savoir-être.



© Konrad Simowski.
© Konrad Simowski.
Quatre danseurs, deux hommes et deux femmes s'emboîtent et se désemboîtent comme dans ce fameux jeu, Tetris. Deux figures importantes sont effectuées. La première coordonne les corps les uns sur les autres pour opérer une imbrication. La deuxième est beaucoup plus solitaire avec une gestuelle brisée, nerveuse dans lesquels les membres s'agitent dans tous les sens comme marqués par une désorganisation organique, voire mentale. L'aspect robotique devient très prégnant et ponctue les chorégraphies.

Les corps adoptent des mouvements angulaires dans lesquels ils deviennent éléments d'une construction, pièce d'un puzzle. Les danseurs ont une gestuelle avec des courbes bottées en touche où la grâce disparaît pour servir des allures géométriques dans lesquels l'esthétique ne prend pas pour autant la poudre d'escampette. Elle campe sur des attitudes figées, encastrées qui évoluent par sauts, par rebonds. La danse devient très physique, de contact sans pour autant qu'elle soit frontale. Elle est plutôt nerveuse, comme si chaque interprète avait à conquérir un espace au détriment de l'autre. Pour contrebalancer ce désir de conquête, de lieux et de personnes, le mime facial intervient par le biais d'un sourire et d'un air complice entre eux.

© Jeroen Bosch.
© Jeroen Bosch.
Le chorégraphe a pris la mesure d'un corps qui s'efface dans nos rapports quotidiens pour le porter vers une expressivité où il devient reflet du monde, objet de nos rapports sociaux où l'intime tend à s'effacer devant l'extime, où le sentiment fait disruption car il n'arrive pas à se loger dans ces relations imbriquées.

Celles-ci sont symbolisées par des rubik's cubes. Ces derniers, jeux de combinaisons géométriques pour trouver un ordre et une "cohérence" visuelle, deviennent des instruments pour télécommander les mouvements des danseurs. Ceux-ci s'exécutent, comme des robots, à chaque combinaison, sensée ou désordonnée, faisant d'eux des esclaves d'une gestuelle qui ne leur appartient plus. Pour autant que faire ? Eh bien, c'est de faire avec. Leur complicité est entendue comme une résignation avouée et sans concessions, ayant affaire à une modernité qui laisse en plan parfois, souvent, une réflexion sur des attitudes, voire des automatismes dans notre savoir-être qui nous phagocytent.

Une bonne partie du public est conviée sur scène où il devient "mouton de Panurge". Cette approche, au-delà de la valeur qu'elle peut véhiculer et qui n'est pas critiquable car descriptive, dessert la qualité, indéniable, du spectacle dans ses ultimes instants car elle n'apporte rien à la chorégraphie et fait finir celle-ci dans un brouhaha de communion. Dommage.

"Tetris"

© Jeroen Bosch.
© Jeroen Bosch.
Tout public à partir de 5 ans.
Chorégraphie, son, costumes : Erik Kaiel.
Lumières : Marco Chardon.
Avec Mayke van Kruchten, Kim-Jomi Fischer, Joseph Simon, Paulien Truijen.
Production Arch8 - Erik Kaiel.
Durée : 1 h 05.

Du 11 au 20 janvier 2017.
Mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 10 h, mardi, jeudi et vendredi à 14 h 30.
Théâtre National de Chaillot, salle Maurice Béjart, Paris 16e, 01 53 65 30 00.
>> theatre-chaillot.fr

Safidin Alouache
Jeudi 19 Janvier 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024