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Danse

Surfant allègrement sur le "Masque-arrêt", le FAB ouvre sans sourciller ses vannes

À l'instar des surfeurs du mascaret - cette spectaculaire vague déferlante remontant, l'automne venu, l'estuaire de la Gironde et sur laquelle les amateurs passionnés de glisse rivalisent de prouesses -, l'équipe du Festival International des Arts de Bordeaux déjoue les contraintes provoquées par la rencontre du flux incessant de décrets sanitaires et l'impétuosité du courant artistique. Faire que les "arts vivants" le restent vivants contre vents, marées et pluies intermittentes, tel est le crédo à l'affiche de cette édition 2020.



"Faro-Faro" © Pierre Planchenault.
"Faro-Faro" © Pierre Planchenault.
Du 2 au 17 octobre, pas moins d'une trentaine de spectacles sur plateau et hors les murs vont irriguer les territoires de Bordeaux et de sa Métropole, l'une et l'autre ayant été "historiquement" - comme le titrait le journal local - emportées par la vague du renouvellement lors des récentes élections. Dans le droit fil des éditions précédentes, les compagnies régionales auront pleinement droit de cité, partageant équitablement la programmation avec la création internationale : melting-pot d'un métissage revendiqué haut et fort pour faire entendre la polyphonie de cultures riches en propositions singulières.

Ainsi ce 2 octobre, pour son ouverture pour le moins explosive, "Faro-Faro" de Massidi Adiatou a enflammé (sic) le public invité venu retrouver, dans la grande salle du Carré des Jalles, le plaisir essentiel de "communier artistiquement" loin des vicissitudes imposées par la drôle d'époque. Sur le ring dressé - et autour, tant les cascades et débordements d'énergie des neuf impétueux danseurs des quartiers populaires d'Abidjan ne peuvent trouver de limites et de barrières à leur désir de vivre -, ces jeunes hommes et jeunes femmes, emportés par la liberté qu'ils arborent fièrement, nous ont littéralement soustraits à la pesanteur.

"Faro-Faro" © Pierre Planchenault.
"Faro-Faro" © Pierre Planchenault.
En effet, comment pouvoir résister à un tel déluge de sons en live s'échappant des batterie, guitare et synthétiseur débridés ? Comment ne pas être enivré jusqu'au vertige par la profusion des prouesses des figures de break dance ? Comment ne pas chavirer face aux couleurs et formes hors-sol des vêtements exhibés avec fierté, dignes d'un défilé de mode exubérant et joyeux d'un Jean-Paul Gaultier africain ?

"Faro-Faro", c'est en langue vernaculaire "faire le malin" pour conjurer les vicissitudes de l'existence. Renvoyer dans les cordes la scoumoune vécue pour pouvoir (sur)vivre avec éclats dans un monde délétère… Un "coupé-décalé" - à l'origine, voler à l'arraché et partir en courant sans payer - remodelé par les danseurs musiciens de Côte d'Ivoire qui, dans un pays naguère soumis au désastre politique et économique, entendaient apporter du bonheur en initiant la fête comme viatique tout en distribuant généreusement des billets de banque.

Et pendant que, sur le ring-dancefloor, les débauches acrobatiques - exercées par ces bateleurs africains, beaux comme des dieux humains - défient les lois de la gravité en précipitant les corps dans un ballet éclatant de sons et de couleurs arc-en-ciel, les spectateurs dans la salle chauffée à blanc se sentent gagnés par le vertige… Comme le chœur antique, de leurs voix mêlées, ils scandent la dramaturgie à l'œuvre, tant le virus de la joie explosive est contagieux. Liberté furieuse, plaisir d'être réuni par ces musiques et danses faisant fi de toutes frontières, autant d'antidotes dont les effets euphorisants débouchent sur un final à l'unisson voyant des grappes de spectateurs-danseurs en transe invitées à célébrer le jour J sur le plateau.

"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
Autre spectacle offert au public (14 spectacles du festival sont gratuits), "Panique Olympique" réunissait pour sa troisième édition des bénévoles néo aquitains, danseurs ou non-danseurs, tous épris du même désir d'explorer les arcanes des chorégraphies vivantes. Agnès Pelletier (Cie Volubilis), démiurge facétieuse du projet au long cours devant aboutir aux JO de Paris 2024, affectionne tout ce qui permet "un pas de côté" dans la découverte singulière des espaces et de ceux qui les peuplent. Donner à voir la face cachée, faire tomber le masque, en prenant effrontément le contre-pied ludique des conventions affichées.

Ainsi, après les prestigieux "Miroir d'eau" (2018) et "Cours de l'Intendance" (2019), c'est la façade d'une maison plantée dans un parc arboré de Saint-Médard (la ville de Bordeaux ayant cru bon d'annuler à la dernière minute la représentation prévue Place Sainte-Croix…) qui va servir de décor à ses essais - on est dans le pays de Montaigne - dansés. Sortant un à un de la bâtisse, des êtres encombrés de masques leur barrant le visage, s'apprêtent à s'adonner mécaniquement à leurs activités quotidiennes…

"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
En boucle, ils vont refaire leur sortie, débarrassés cette fois de leur bâillon, laissant jaillir leur liberté recouvrée. Les défilés de ces ovnis, Terriens extraterrestres aux accoutrements souvent haut en couleur et affublés d'objets hétéroclites semblant, tout comme leur propriétaire, sortir d'une Cour des Miracles exotique ou encore d'un cabinet de curiosités, divertissent l'œil et réjouissent par leur originalité tranchant sur "l'uniformisation" morne des visages contemporains privés d'expressions. Et même si l'on n'atteint qu'en partie l'altitude des précédentes éditions, le moment partagé ne manque aucunement de saveur.

Cette envolée chorégraphiée, généreuse et stimulante, s'est déroulée sous un coin de ciel bleu, tranchant avec les amoncellements de nuages… Serait-ce là oiseau de bon augure ? Que la fête commence !

>> fab.festivalbordeaux.com

FAB Bordeaux 2020

"Faro-Faro" © Pierre Planchenault.
"Faro-Faro" © Pierre Planchenault.
"Faro-Faro"
Compagnie N'soleh.
Direction artistique et chorégraphique : Massidi Adiatou.
Danseurs : Mariama Adiatu, Amankon Alex Jordan Adou, David Martial Azokou, Media Thie Bakayoko, Zlangnan Sandrine Bieu, Bamoussa Diomande, Gnahoua Christ-Junior Dogbole, Joulkanaya Kiebre, Jean-Luc Stéphane Tehe.
Musiciens : Seydou Kienou (percussionniste), Assouman Francis N'guessan (DJ).
Scénographie et costumes : Massidi Adiatou.
Assistant régisseur général : Ferdinand Irie.
Régisseur lumière : Sam Bapes.

Vu au Carré Scène nationale, Saint-Médard-en-Jalles (33), vendredi 2 octobre 20 h.

Tournée "Faro-Faro"
7 et 8 octobre 2020 : Théâtre Firmin Gémier/La Piscine d'Antony, Châtenay-Malabry (92).
9 octobre 2020 : Scène 61, Alençon (61).
15 et 16 octobre 2020 : Théâtre de St-Quentin en Yvelines, Montigny-le-Bretonneux (78).
20 novembre 2020 : Mons (Belgique).
24 novembre 2020 : Le Tangram, Evreux (27).
1 et 2 décembre 2020 : Le Lieu Unique, Nantes (44).
4 et 5 décembre 2020 : La Halle aux Grains, Blois (41).
8 au 12 décembre 2020 : Le Monfort, Paris.
15 et 16 décembre 2020 : Le Cirque-théâtre, Elbeuf (76).

"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique" © Pierre Planchenault.
"Panique Olympique/Troisième"
Compagnie Volubilis.
Conception et chorégraphie : Agnès Pelletier, assistée de Christian Lanes.
Danseurs et non danseurs néo aquitains venus de toute part.
Création sonore : Yann Servoz.

Vu à la Maison de l'Ingénieur, Saint-Médard-en-Jalles (33), dimanche 4 octobre, 14 h 30.

Tournée "Panique Olympique/Troisième"
Sept 2020 - août 2021 : "Panique Olympique 3e", Niort, Bordeaux, Libourne, Cognac et Poitiers, et d'autres territoires (en Limousin).
Sept 2021 - août 2022 : "Panique Olympique 4e", Niort, Bordeaux, Libourne, Cognac et Poitiers et d'autres territoires (de toute la région).
Sept 2022 - août 2023 : "Panique Olympique 5e", Niort, Bordeaux, Libourne, Cognac et Poitiers et d'autres territoires (de toute la région).
Sept 2023 - août 2024 : "Panique Olympique 6e", année Olympique.

Yves Kafka
Jeudi 8 Octobre 2020

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024