La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Si nous prenions le temps" Le goût épidermique de l'autre

Un plateau nu - comme le seront les deux danseurs au terme de leur odyssée au centre d'eux-mêmes - plongé dans le noir. Lui et elle, couple à la ville, émergent lentement de l'obscurité qui les recouvrait, gommant leurs silhouettes. Tendrement enlacés, leurs mouvements s'épousent…



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Les deux corps s'éloignent, se rapprochent dans une nappe de silence. Comme si à l'aube d'une humanité recouvrée, se rejouait là l'essentiel : découvrir l'autre, se découvrir soi, se découvrir l'un par l'autre en mettant sur pause l'agitation bruyante et chaotique du monde.

Tout semble calme et volupté dans la gestuelle glissante de Chloé Hernandez et Orin Camus à la recherche de leur point de gravité… qui est aussi celui de l'enjeu chorégraphié. En effet, comment échapper aux injonctions d'un environnement où la vitesse est devenue le symbole phare de la "performance" ? Ici, la performance est toute artistique, et son enjeu est de déconstruire le mythe contemporain de la réussite pour introduire l'éloge d'une lenteur propre - non sans une certaine gravité - à une renaissance de rapports humains, simplement humains.

C'est à la fois fort et fragile un corps humain, et si mystérieux qu'il n'est pas apte à livrer d'emblée ses secrets. Le "moi-peau" - enveloppe psychique et corporelle protégeant de l'extérieur tout en se faisant membrane sensible afin d'accueillir l'autre en soi - est en effet une construction complexe, individuelle et sociale, pour qui entend l'explorer afin de parcourir le chemin menant à l'existence d'adulte autonome en lien avec d'autres humains.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
C'est ce parcours accompli du "bout des doigts" que les deux complices vont effectuer, avec grâce, application et énergie, pour nous entraîner à leur suite dans leur monde du silence, un silence criant de sensualité à fleur de peau.

Attiré magnétiquement par l'autre, chacun n'a de cesse d'explorer la distance qui l'en sépare comme pour mieux, l'instant d'après, la réduire à peau de chagrin. De ces allers-retours où les corps s'effleurent pour prendre appui l'un sur l'autre afin de dessiner de folles arabesques, jaillit la douce poésie de l'émerveillement du lien. Du parquet de danse où ils évoluent, clé de sol de leur harmonie marquant le début des portées à venir, au ciel qu'ils tutoient par des envolées aériennes, leurs corps en lévitation dessinent les contours de leur être au monde que de petites notes musicales viennent parfois éclairer.

Aussi, lorsque fondus l'un dans l'autre, leurs corps débarrassés des oripeaux civilisationnels s'enchâssent pour tel Shiva - dieu-déesse hindou à huit bras, doté du ligam phallus, et danseur cosmique rythmant la destruction et la création du monde - célébrer l'avènement d'une nouvelle ère, nous planons avec eux vers d'autres contrées. Quant au tableau final, que nous ne dévoilerons pas, il les montre tels qu'en eux-mêmes.

"La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur Un rond de danse et de douceur Auréole du temps, berceau nocturne et sûr Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu, C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu"… échos des vers de Paul Éluard célébrant Gala, sa muse, Orin et Chloé semblent leurs héritiers, ne faisant plus qu'un dans cette recherche chorégraphiée les portant à s'affranchir, avec une grâce à nulle autre pareille, des bruits et pesanteurs du monde.

"Si nous prenions le temps"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Conception et interprétation : Chloé Hernandez et Orin Camus.
Assistant chorégraphie : Vincent Deletang.
Création lumière : Sylvie Debare.
Création musicale : Fred Malle.
Musiques additionnelles : Building It Still (artiste : James Blake), Not long now (artiste, James Blake), Look at me now (artiste : Chris Brown Feat. Busta Rhymes & Lil Wayne).
Par Compagnie YMA.
Durée : 50 minutes.

>> compagnie-yma.com

A été présenté du 12 au 20 février 2020 au Glob Théâtre - scène conventionnée d'intérêt national Art et Création à Bordeaux.

Tournée à venir.

Yves Kafka
Lundi 2 Mars 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024