Si, selon le mot attribué à Clémenceau, "la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires", la mort non plus ne peut être laissée impunément aux croque-morts en costumes exhumant une infinie grisaille… En effet, l'existence est à prendre comme un continuum englobant ce que d'aucuns dans nos contrées estiment être la fin de la vie alors qu'il ne s'agit là que d'une autre de ses facettes, nécessitant autant d'amour et de passion joyeuse que la première partie jouée sur Terre. Cette conception, si iconoclaste pourrait-elle paraître à un chrétien convaincu de l'existence d'un au-delà céleste, est inscrite au cœur de la culture mexicaine rendant à la Mort un culte traversé par une pulsion de vie éblouissante.
Ainsi, le parti pris joyeusement assumé de Béatrice Massin de faire entendre le "Requiem" dans le désir de vivre de son auteur qui, bien que malade, n'avait de passion en l'écrivant que pour sa "Flûte enchantée" (pour laquelle d'ailleurs il le laissera en plan), est doublement salutaire. D'une part, c'est rendre à Mozart ce qui lui appartient, une formidable énergie vitale mise au service de l'existence ici et maintenant, n'en déplaise à ceux qui ont voulu s'emparer de cette œuvre à des fins religieuses édifiantes. D'autre part, en plus de cette justice qui est ainsi rendue à l'homme, compositeur de génie, c'est nous combler, nous spectateurs du XXIe siècle, en nous offrant sur un plateau une "fête des sens".
Ainsi, le parti pris joyeusement assumé de Béatrice Massin de faire entendre le "Requiem" dans le désir de vivre de son auteur qui, bien que malade, n'avait de passion en l'écrivant que pour sa "Flûte enchantée" (pour laquelle d'ailleurs il le laissera en plan), est doublement salutaire. D'une part, c'est rendre à Mozart ce qui lui appartient, une formidable énergie vitale mise au service de l'existence ici et maintenant, n'en déplaise à ceux qui ont voulu s'emparer de cette œuvre à des fins religieuses édifiantes. D'autre part, en plus de cette justice qui est ainsi rendue à l'homme, compositeur de génie, c'est nous combler, nous spectateurs du XXIe siècle, en nous offrant sur un plateau une "fête des sens".
Imagine… En prélude à ce qu'il est convenu de nommer la "danse macabre", des danseurs se poursuivent joyeusement, les couleurs chamarrées de leurs splendides tuniques décrivant des arabesques baignant le plateau de leurs éclats lumineux. Seul le bruit de leurs pas glissant sur le sol troue le silence absolu jusqu'à l'immobilisation de tous… Alors que résonnent les premières notes du "Requiem", les douze danseurs et danseuses, seuls ou en chœur, se meuvent à nouveau en douceur. Comme au ralenti, leurs bras s'enlacent et lorsque la musique vient à s'envoler, leurs courses s'accélèrent. L'harmonie entre mouvements musicaux et corporels est telle qu'elle rend palpable la partition tout en soulignant les visages extatiques des interprètes à l'unisson.
Entre sauts dynamiques, courses effrénées et pauses instantanées, mouvements lents, tout n'est que volupté partagée alors qu'un mystérieux paquet passe de main en main... On découvrira plus tard qu'il recèle les magnifiques chasubles dont se revêtiront un à un les morts pour rejoindre les encore vivants dans les mêmes danses, apaisées ou dynamiques. Épousant les oscillations entre mélodies mélancoliques et emballements frénétiques, les corps se font notes décrochées de leur partition pour jouer la leur.
Entre sauts dynamiques, courses effrénées et pauses instantanées, mouvements lents, tout n'est que volupté partagée alors qu'un mystérieux paquet passe de main en main... On découvrira plus tard qu'il recèle les magnifiques chasubles dont se revêtiront un à un les morts pour rejoindre les encore vivants dans les mêmes danses, apaisées ou dynamiques. Épousant les oscillations entre mélodies mélancoliques et emballements frénétiques, les corps se font notes décrochées de leur partition pour jouer la leur.
Accompagnant ces deux partitions, celle des corps et de la musique n'en faisant qu'une, la scénographie constituée de vidéos enregistrées "grandeur nature", projetant à l'envi sur fond de scène le flux et reflux des vagues venant recouvrir progressivement le sol du plateau, lui-même transformé en plage sablonneuse, revêt un je-ne-sais-quoi d'extrêmement troublant. En effet, le "sentiment océanique", celui dont parlait Romain Rolland dans ses lettres adressées à Sigmund Freud, se trouve en un instant ranimé comme si le flux et reflux marin cristallisaient en eux "une expérience fulgurante, un sentiment d'unité et de compréhension" du parcours de nos vies minuscules, réunissant dans le même tout la partie visible de notre traversée terrestre et celle jusque-là invisible de l'après mort. Fascinant.
Aussi lorsque les douze fabuleux interprètes, en parité parfaite hommes/femmes, se tiendront par les épaules face à l'océan du fond de scène, avant de se lancer dans des danses tourbillonnantes mettant en valeur les magnifiques chasubles de soie chamarrée dont certains sont déjà revêtus (les vivants en tuniques enlaçant tendrement leurs morts en chasubles, et dansant tous dans le même mouvement allègre), nous nous fondrons en eux.
Et lorsque la mer, "la mer, toujours recommencée", viendra en bord de plateau, prête à envahir la salle dans laquelle nous nous tenons, nous ressentirons ce corps à corps, celui du monde des vivants fusionné à celui des morts, comme étant aussi le nôtre. Un sentiment de plénitude en ressortira, jusqu'au final digne d'un tableau de peintre.
Aussi lorsque les douze fabuleux interprètes, en parité parfaite hommes/femmes, se tiendront par les épaules face à l'océan du fond de scène, avant de se lancer dans des danses tourbillonnantes mettant en valeur les magnifiques chasubles de soie chamarrée dont certains sont déjà revêtus (les vivants en tuniques enlaçant tendrement leurs morts en chasubles, et dansant tous dans le même mouvement allègre), nous nous fondrons en eux.
Et lorsque la mer, "la mer, toujours recommencée", viendra en bord de plateau, prête à envahir la salle dans laquelle nous nous tenons, nous ressentirons ce corps à corps, celui du monde des vivants fusionné à celui des morts, comme étant aussi le nôtre. Un sentiment de plénitude en ressortira, jusqu'au final digne d'un tableau de peintre.
En ayant eu l'intuition ô combien audacieuse de prolonger la divine musique ensorceleuse du "Requiem" par un postlude – "Danzon n°2" – que l'on doit au compositeur Arturo Marquez mêlant de populaires musiques cubaines et mexicaines endiablées, Béatrice Massin a désacralisé l'œuvre mythique de Wolfgang Amadeus Mozart pour nous la donner superbement à (ré)entendre. En cela, magiquement épaulée par son créateur vidéos (Yann Philippe), son créateur costumes (Olivier Bériot) et sa créatrice lumières (Emmanuelle Stäuble), elle renoue avec l'essence même du baroque développée par Jean Rousset dans son ouvrage de référence : "La littérature de l'âge baroque en France ; Circé et le paon". Ce nouveau regard sur la musique baroque dont la chorégraphe est porteuse renoue avec la figure de Circé la magicienne "découvrant" le sens derrière la forme en perpétuelle métamorphose.
De plus, habitée par cette philosophie renvoyant dans les cordes la tristesse "mortelle" de la religion judéo-chrétienne qui, après avoir volé la vie sur Terre à nombre de ses fidèles, les prive ad vitam aeternam d'un au-delà festif, elle met superbement en jeu un "Requiem" païen de nature à nous rasséréner face à une finitude qui – en fin de compte… – n'en serait pas une… Dansons joyeusement avec nos morts, comme nous y invite cette création tonique et poétique qui ne doit rien à un Dieu rébarbatif, mais à une chorégraphe rayonnante de créativité, renouvelant depuis plus de trente années la vision contemporaine d'un baroque magnifié.
Spectacle vu le mercredi 18 octobre, Grande Salle Vitez du TnBA à Bordeaux où il a été représenté du mercredi 18 au samedi 21 octobre 2023.
De plus, habitée par cette philosophie renvoyant dans les cordes la tristesse "mortelle" de la religion judéo-chrétienne qui, après avoir volé la vie sur Terre à nombre de ses fidèles, les prive ad vitam aeternam d'un au-delà festif, elle met superbement en jeu un "Requiem" païen de nature à nous rasséréner face à une finitude qui – en fin de compte… – n'en serait pas une… Dansons joyeusement avec nos morts, comme nous y invite cette création tonique et poétique qui ne doit rien à un Dieu rébarbatif, mais à une chorégraphe rayonnante de créativité, renouvelant depuis plus de trente années la vision contemporaine d'un baroque magnifié.
Spectacle vu le mercredi 18 octobre, Grande Salle Vitez du TnBA à Bordeaux où il a été représenté du mercredi 18 au samedi 21 octobre 2023.
"Requiem - La mort joyeuse"
Conception et Chorégraphie : Béatrice Massin,
assistée de Maud Pizon et Wu Zheng.
Avec : Mathieu Calmelet, Lou Cantor, Antonin Chédiny, Rémi Gérard, Marion Jousseaume, Mylène Lamugnière, Léa Lansade, Philippe Lebhar, Clément Lecigne, Enzo Pauchet, Damien Sengulen, Nicola Vacca.
Musiques : "Requiem"de W. Amadeus Mozart.
Avec : MusicAeterna/The new Siberian Singers (direction musicale Teodor Currentzis), l'Orchestra of the Eighteenth Century/Netherlands
Chamber Choir (direction musicale Frans Brüggen).
Pour "Danzon n° 2" d'Arturo Marquez : Orquestra Sinfonica Simon Bolivar (direction musicale Gustavo Dudamel).
Création costumes, : Olivier Bériot assisté de Corinne Pagé et de Marine Lefèbvre.
Création lumières : Emmanuelle Stäuble.
Création vidéo : Yann Philippe assisté de Claire Willemann.
Création sonore : Emmanuel Nappey.
Régie générale : Boris Molinié.
Durée : 1 h.
Présenté en partenariat avec La Manufacture CDCN.
Création les 8 et 9 novembre 2022 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines - scène nationale (78).
assistée de Maud Pizon et Wu Zheng.
Avec : Mathieu Calmelet, Lou Cantor, Antonin Chédiny, Rémi Gérard, Marion Jousseaume, Mylène Lamugnière, Léa Lansade, Philippe Lebhar, Clément Lecigne, Enzo Pauchet, Damien Sengulen, Nicola Vacca.
Musiques : "Requiem"de W. Amadeus Mozart.
Avec : MusicAeterna/The new Siberian Singers (direction musicale Teodor Currentzis), l'Orchestra of the Eighteenth Century/Netherlands
Chamber Choir (direction musicale Frans Brüggen).
Pour "Danzon n° 2" d'Arturo Marquez : Orquestra Sinfonica Simon Bolivar (direction musicale Gustavo Dudamel).
Création costumes, : Olivier Bériot assisté de Corinne Pagé et de Marine Lefèbvre.
Création lumières : Emmanuelle Stäuble.
Création vidéo : Yann Philippe assisté de Claire Willemann.
Création sonore : Emmanuel Nappey.
Régie générale : Boris Molinié.
Durée : 1 h.
Présenté en partenariat avec La Manufacture CDCN.
Création les 8 et 9 novembre 2022 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines - scène nationale (78).
Tournée
30 novembre 2023 : Les Quinconces - Scène nationale, Le Mans (72).
19 janvier 2024 : Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France (93).
21 et 22 février 2024 : Le Quartz - scène nationale, Brest (29).
24 février 2024 : Quai 9, Lanester (56).
19 mars 2024 : Espace Michel Simon, Noisy-le-Grand (93).
30 novembre 2023 : Les Quinconces - Scène nationale, Le Mans (72).
19 janvier 2024 : Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France (93).
21 et 22 février 2024 : Le Quartz - scène nationale, Brest (29).
24 février 2024 : Quai 9, Lanester (56).
19 mars 2024 : Espace Michel Simon, Noisy-le-Grand (93).