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Avignon 2019

•Off 2019• Ma Colombine Itinéraire onirique d'un Colombien à la recherche du temps retrouvé

Oumar Tutak Hijode Chibcha Vuelo de Condor Suvan y Ven - nom indien, double imaginaire d'Omar Porras, metteur en scène et interprète de son propre parcours "fictionnalisé"… Mais que serait la réalité sans le récit que l'on s'en fait ? - est l'un de ses gamins truculents d'Amérique latine qui provoque immanquablement l'imaginaire occidental enclin à la paresse attachée au confort.



© Ariane Catton Balabeau.
© Ariane Catton Balabeau.
Et lorsque c'est l'écrivain Fabrice Melquiot à la plume trempée dans le vif de l'enfance qui en assure la mise en mots, on comprend que la rencontre de ces deux-là ne pouvait manquer d'aboutir à "l'extra-ordinaire" trajectoire menant de la lumineuse Colombie aux feux des rampes européennes.

"La vie est un songe", la vie est un théâtre… tel est le viatique du petit Oumar vivant dans une pauvreté relative en Colombie entre un père "spécial", une mère aimante et une fratrie nombreuse. Une enfance où peu lui est épargné. Entre les sarcasmes des camarades moquant le slip mouillé qu'il doit pendre dans la cour, le maître lui ayant interdit de se rendre aux toilettes, la perversité insistante du même maître lui ordonnant d'enfiler une robe à fleurs le temps de séchage de l'uniforme souillé, ou encore la punition de la tête plongée dans un baquet d'eau noire jusqu'à n'en plus respirer, les épreuves sont légion. Toutes minutieusement rejouées sur scène par l'acteur soliste avec la grâce de la distance artistique gommant tout pathos.

© Ariane Catton Balabeau.
© Ariane Catton Balabeau.
Pour compenser les humiliations subies, le petit Oumar s'invente un monde imaginaire qui lui permet de "réaliser" sa vie. Ainsi des habits de femme contraints à être revêtus, il puise son goût marqué pour jouer les vieilles dames. De même courir vers la lune en la contemplant lui permet de ne pas voir la Colombie en guerre, d'oublier les mains râpeuses de sa mère s'échinant au travail et la cruauté des contes racontés par son père.

Jusqu'au jour où un éclat de rire lui échappant interrompt le discours de l'officier recruteur dépêché dans les classes. Sorte de Charlot mimant alors l'endoctrinement au pas, il se fait grave en évoquant les sans terres, les Indiens, tous les damnés de la terre épinglés "ennemis", à tirer à bout portant.

Et la lune, confidente "éclairée", lui susurre au creux de l'oreille que "le monde n'est jamais prêt à la naissance d'un clown". Mais est-ce qu'un clown peut changer le monde ? En tout cas, le clown révélé à lui-même peut s'évader de sa prison en slamant le voyage vers Paris, sur le dos de son frère perchiste. Et lorsque la lune le portera plus tard sur son croissant pour un retour aux origines, il voudra revoir sur les hauteurs de Bogota le village des ancêtres et un certain petit Omar à qui il doit ce qu'il est devenu : l'homme qui a choisi d'élire le décor des théâtres comme le cadre de sa vie et le lieu de sa réalisation pleine et entière.

Sur scène, c'est peu de dire qu'Oumar-Omar transcende l'espace-temps pour laisser infuser poétiquement ce passage essentiel qui l'a amené un jour lointain à franchir d'un fabuleux bond de perche l'Atlantique pour rayonner sous les rampes lumineuses des théâtres occidentaux. Le théâtre, son monde rêvé, devenu comme par magie, le sacre de la liberté gagnée à coups d'illusions réifiées. Et ce, sous le regard bienveillant d'une lune complice… auquel, nous spectateurs littéralement happés par la force poétique de ce récit d'apprentissage, nous accrochons le nôtre.

"Ma Colombine"

© Ariane Catton Balabeau.
© Ariane Catton Balabeau.
Texte : Fabrice Melquiot (Éditions La Joie de lire et Éditions L'Avant-Scène Théâtre).
Mise en scène et jeu : Omar Porras, assisté de Domenico Carli.
Scénographie et costume : Omar Porras.
Regard extérieur : Alexandre Ethève et Philippe Car.
Création sonore : Emmanuel Nappey.
Création lumière : Omar Porras et Marc-Etienne Despland.
Conseil musical et piano : Cedric Pescia.
Collaboration chorégraphique : Kaori Ito.
Fabrication d'accessoires : Léo Piccirelli.
Régie plateau : Chingo Bensong.
Régie son : Benjamin Tixhon.
Régie lumière : Theo Serez.
Durée : 1 h 15.
Tout public à partir de 10 ans.


•Avignon Off 2019•
Du 5 au 26 juillet 2019.
Tous les jours à 11 h 40, relâche le mercredi.
11 • Gilgamesh Belleville, Salle 2
11, boulevard Raspail.
Réservations : 04 90 89 82 63.
>> 11avignon.com

Yves Kafka
Mardi 9 Juillet 2019


1.Posté par Mo le 21/07/2019 17:31
Superbe spectacle...

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024