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Avignon 2019

•Off 2019• À ceux qui nous ont offensés Une histoire de cruauté ordinaire

Il aura suffi d'une scène en miroir - son fils agressant un plus petit à la sortie du bus - pour que tout le passé de souffre-douleur du père lui éclate à la figure. Pendant une longue nuit lui revient alors, comme des bouffées nauséeuses alternant rages et abattements, les fragments de sa vie d'avant. Son enfance à lui - tête de turc dont se payaient allègrement ses "camarades" du collège de Buchy - faisant écho aux souffrances infligées par son propre fils à sa victime… Seul en scène, l'interprète transcende cette histoire de cruauté ordinaire.



© PIB
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Une claque au consensus mou bien-pensant hérité de "l'Émile" de Jean-Jacques Rousseau : l'enfant n'est pas ce pur ange que la société se chargera de corrompre, mais porteur de pulsions destructrices pouvant, lorsqu'il se confond à la meute, devenir un loup féroce, "un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié" disait, sans compromis, l'essayiste moraliste La Fontaine. Le romancier Jérémie Lefebvre, dont est tirée cette adaptation pour la scène, adepte des univers sans concessions, immerge dans les profondeurs abyssales des comportements "humains".

Tout se bouscule dans la mémoire de l'enfant blessé qu'adulte il porte enfoui en lui comme un tourment à jamais tapi dans les plis anciens. Une bombe non déminée…

Le deuxième cours de musique en sixième où sa voix de soprano angélique l'avait, directe, voué aux gémonies… Les élèves hurlant en meute. Le trajet en car de ramassage qui déshumanisait ses tortionnaires… Le "bonjour Melle" dont ils le gratifiaient sous l'œil des pions qui préféraient rester plongés dans la lecture de leur journal où s'étalaient les vrais drames de l'humanité… La peur au ventre à chaque sonnerie de fin de cours annonçant les brimades corporelles, vexations et humiliations de la cour de récréation. L'enfer au quotidien.

© PIB
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Et puis sa grand-mère, pieuse et aimante, qui l'avait recueilli à la mort accidentelle de ses parents, et remettait à Dieu et à ses prêtres le soin de panser ses blessures. Ne les avait-elle pas inscrits, elle et lui, au prêche d'un homme d'Église spécialisé dans l'écoute des jeunes en difficulté ? La réponse - impeccable - lui avait été délivrée : qu'il prie pour les enfants du Liban qui, eux, n'ont pas d'école pour étudier…

Alors, pour régler ses comptes avec ses tortionnaires passés, il se lance dans une recherche effrénée sur le web et le site "copains d'avant". Tapant frénétiquement leurs noms, il surfe sur leur profil. L'un est psychothérapeute d'un colloque sur l'enfance maltraitée, destinée si peu prévisible eu égard à son "passé criminel"… Il imagine alors les sévices qu'il aurait dû leur infliger : assassiner toute la classe ? Certes, mais sa grand-mère n'avait pas de fusil… La tuerie aurait donné lieu à un moment de partage sacralisant le "vivre ensemble"… L'humour décalé n'est jamais loin pour alléger le propos.

Celui qui était la victime de prédateurs sans foi ni loi se met, dans son présent, à laisser libre cours à sa soif de vengeance, devenant - en pensée - le cruel chasseur de ses persécuteurs. Il imagine les supplices les plus "raffinés" à leur infliger comme sonner à leur porte et leur balancer en pleine figure un seau d'excréments ou, pur fantasme, découper au scalpel les organes génitaux d'un tortionnaire adulte et les déposer sur son bureau.

© PIB
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Ainsi se mêlent et s'entremêlent les fils d'Ariane de la cruauté à l'œuvre, dans une tentative désespérée du "héros" d'échapper au labyrinthe dans lequel son existence se perd. La scénographie, subtile et terriblement efficace, dévoilera par un jeu de lumières un réseau arachnéen dans lequel le protagoniste est pris comme un insecte se débattant au centre d'une toile d'araignée qui l'emprisonne.

Jouant superbement avec les possibilités d'une chaise prise comme espace de création, l'interprète - très convaincant - se joue des époques (le passé tourmenté, le présent "réparateur") pour explorer les ramifications des dégâts infligés aux victimes de harcèlements morbides déguisés en jeux cruels.

Quant au texte "éclairant" les aspects sombres de "l'humain", il trouve en cette mise en scène, l'écrin idoine faisant entendre ce que la bienséance s'emploie à taire : le monde de l'enfance, comme celui des adultes, n'a pas grand-chose à voir avec celui des bisounours. Heureusement, la révolte et l'humour sont là pour le réenchanter.

"À ceux qui nous ont offensés"

D'après "Le Collège de Buchy" de Jérémie Lefebvre (Éditions Lunatique).
Mise en scène : Carine Bouquillon.
Avec : Bruno Tuchszer.
Son : Gil Gauvin.
Lumières : Héla Skandrani.
Scénographie : Carine Bouquillon.
Construction : Thierry Lyoen et Pierre-Yves Aplincourt.
Couture : Claire Browet.
Régie : Fabrice David.
Dans le cadre de l'opération "Hauts-de-France en Avignon 2019".
Cie Grand Boucan.
Durée : 1 h 05.
À partir de 13 ans.

•Avignon Off 2019•
Du 5 au 26 juillet 2019.
Tous les jours à 15 h 35 relâche le mercredi.
11 • Gilgamesh Belleville, Salle 3
11, boulevard Raspail.
Réservations : 04 90 89 82 63.
>> 11avignon.com

Tournée
10 et 11 octobre 2019 : Centre Culturel l'Entente Cordiale, Château d'Hardelot, dans le cadre des Coups de Cœur du Département du Pas-de-Calais, Hardelot (62).
Janvier 2020 : La Virgule - Centre Transfrontalier de Création Théâtrale, pour une série de 14 représentations, Tourcoing (59).
Du 5 au 7 mars 2020 : La Barcarolle - Établissement Public de Coopération Culturelle de l'Audomarois, Saint-Omer (62).

Yves Kafka
Lundi 29 Juillet 2019

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© DR.
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