Des manifestants de mai, l'héritage est sans conteste à chercher dans ce bouleversant manifeste pour la vie, écrit à (h)auteur d'homme et porté sur un plateau par une "mise en scène invisible" selon les propres mots de Chantal Péninon. Choisissant d'abattre le quatrième mur, elle projette l'interprète - et ce mot prend tout son sens ici tant Ludovic Salvador traduit la lettre et l'esprit du texte original - dans notre zone de proximité afin que "l'échange" se produise ; auteur, comédien, et public unis dans le même trip.
Roger Lombardot, "né en 68" (il avait vingt ans, le bel âge pour re-naître), propose un livre témoignage aux antipodes d'un pamphlet militant. Il (se) raconte, de la place où il était. Existence grise dans un monde gris à jamais frappé par le malheur hérité des carnages du XXe siècle, l'existence semblait un chemin de croix balisé par les "événements" déjà écrits par d'autres, d'où s'évader n'était même pas à l'ordre du jour. Et, soudain, il y eut mai, une secousse sismique faisant vaciller l'édifice construit par les pères qui en gardaient la clé. Et, en prime, il y eut l'amour.
Roger Lombardot, "né en 68" (il avait vingt ans, le bel âge pour re-naître), propose un livre témoignage aux antipodes d'un pamphlet militant. Il (se) raconte, de la place où il était. Existence grise dans un monde gris à jamais frappé par le malheur hérité des carnages du XXe siècle, l'existence semblait un chemin de croix balisé par les "événements" déjà écrits par d'autres, d'où s'évader n'était même pas à l'ordre du jour. Et, soudain, il y eut mai, une secousse sismique faisant vaciller l'édifice construit par les pères qui en gardaient la clé. Et, en prime, il y eut l'amour.
Mai 68, c'est durablement une "révolution" à 180 degrés, un changement de paradigme total, plus fondamental que les épiphénomènes - nécessaires à tout processus de libération - de révoltes passagères, barricades et autres jets de projectiles auxquels d'aucuns voudraient le réduire pour en faire une rébellion récréative de fils nantis se défoulant avant de retourner, comme papa, sur les bancs de la fac. "Sous les pavés, la plage" est à entendre comme la joyeuse invitation libertaire à ouvrir l'espace sur l'infini des possibles, en finir avec ce vieux monde corseté dans des valeurs conservatrices visant à perpétuer un ordre immuable.
"Au commencement était la Parole", disait haut et fort le Prologue de l'évangile selon Jean, désor-mai(s) ce sera l'avènement de la Parole… sans dieu ni maître. Non plus la parole déférente - "Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître", Cf. "Jaurès" de Jacques Brel - celle intégrée des bons maîtres, des sabreurs, des bourgeois, mais celle qui jaillit de soi pour rencontrer l'autre et faire lien avec lui en dehors de toute servilité (in)volontaire.
Car, ne nous y trompons pas, c'est bien dans l'avènement de la Parole, muselée en chacun jusqu'ici, que se situe l'événement 68. Une parole dont, lorsque l'on en a éprouvé dans sa chair l'incroyable bienfait, que l'on soit jeune ou vieux, paysan, ouvrier ou cadre, on ne peut plus se passer. Surgie du carcan où elle était enchaînée, elle fait advenir le sujet en soi, un phénomène du même ordre que l'épiphanie (au sens laïque de "prise de conscience soudaine et lumineuse") de la pulsion scopique amenant le jeune enfant à se reconnaître dans le miroir.
L'interprète, en fusion avec le propos qui le traverse, fait revivre la parole lumineuse de Roger Lombardot, confiant l'expérience fondatrice de cet amour vécu en même temps que son corps et sa parole s'affranchissaient des entraves séculaires. L'image prégnante de la double mort de sa mère, enchaînée à sa machine, ployant les genoux devant son patron la semaine et priant à genoux un dieu omni absent le dimanche… Quelle différence entre l'une et l'autre des postures ? Aucune solution de continuité entre elles, le même asservissement consenti. Mai 68, et la vie s'engouffrait "révélant" ces scandales…
Alors le raccourci mensonger d'une génération de casseurs ou, au mieux (?) de grands adolescents friqués (peu de fils d'ouvriers accédaient à la fac) en mal de sensations fortes, est relégué au rang d'instrumentalisation conservatrice, digne des falsifications de l'Histoire de gouvernants soucieux de revenir à l'ordre ancien générateur d'avantages dont ils n'entendent aucunement priver les classes dominantes les portant "naturellement" au pouvoir.
"Au commencement était la Parole", disait haut et fort le Prologue de l'évangile selon Jean, désor-mai(s) ce sera l'avènement de la Parole… sans dieu ni maître. Non plus la parole déférente - "Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître", Cf. "Jaurès" de Jacques Brel - celle intégrée des bons maîtres, des sabreurs, des bourgeois, mais celle qui jaillit de soi pour rencontrer l'autre et faire lien avec lui en dehors de toute servilité (in)volontaire.
Car, ne nous y trompons pas, c'est bien dans l'avènement de la Parole, muselée en chacun jusqu'ici, que se situe l'événement 68. Une parole dont, lorsque l'on en a éprouvé dans sa chair l'incroyable bienfait, que l'on soit jeune ou vieux, paysan, ouvrier ou cadre, on ne peut plus se passer. Surgie du carcan où elle était enchaînée, elle fait advenir le sujet en soi, un phénomène du même ordre que l'épiphanie (au sens laïque de "prise de conscience soudaine et lumineuse") de la pulsion scopique amenant le jeune enfant à se reconnaître dans le miroir.
L'interprète, en fusion avec le propos qui le traverse, fait revivre la parole lumineuse de Roger Lombardot, confiant l'expérience fondatrice de cet amour vécu en même temps que son corps et sa parole s'affranchissaient des entraves séculaires. L'image prégnante de la double mort de sa mère, enchaînée à sa machine, ployant les genoux devant son patron la semaine et priant à genoux un dieu omni absent le dimanche… Quelle différence entre l'une et l'autre des postures ? Aucune solution de continuité entre elles, le même asservissement consenti. Mai 68, et la vie s'engouffrait "révélant" ces scandales…
Alors le raccourci mensonger d'une génération de casseurs ou, au mieux (?) de grands adolescents friqués (peu de fils d'ouvriers accédaient à la fac) en mal de sensations fortes, est relégué au rang d'instrumentalisation conservatrice, digne des falsifications de l'Histoire de gouvernants soucieux de revenir à l'ordre ancien générateur d'avantages dont ils n'entendent aucunement priver les classes dominantes les portant "naturellement" au pouvoir.
La soumission à un ordre aveugle présentée comme qualité intégrative, le travail asservissant et destructeur vendu comme anoblissant, "la fureur de vivre" assimilée à la chienlit, toutes ces "valeurs" d'un autre temps colportées par les vieilles badernes, balayées par la parole libérée au service d'une pensée ouvrant vers des horizons insoupçonnés.
Et puis - et surtout - cet "amour fou" ("La beauté sera convulsive ou ne sera pas" Cf. André Breton) rencontré par l'auteur, point d'orgue cristallisant toutes les autres conquêtes et scellant la fin du corps rompu par le travail des générations précédentes, du corps mutilé par les guerres et fustigé par les religions, un corps, lieu de la maltraitance, qui soudain renaît et devient le lieu du plaisir charnel ouvrant aux autres et à la vie. Voilà ce que "Faites l'amour et pas la guerre, Peace and love" veut dire. Une poétique politique.
Hymne à la beauté du corps exalté comme lieu d'où partent toutes les découvertes, hymne à l'amour fou - pas celui couché sur le papier glacé des magazines flashy glamour -, Mai 68 renoue avec la prescience des artistes rupestres qui avaient choisi de peindre les animaux plutôt que, comme les chasseurs, se contenter de se nourrir de leur chair dans le but unique de perpétuer l'espèce. L'art plus fort que l'instinct guerrier. Beau message adressé du néolithique (âge de la pierre polie, comme les pavés de 68 sous les pieds de jeunes gens généreux) à la génération actuelle, porteuse de l'espoir toujours à réaliser, "que notre espèce accède enfin à la (vraie) vie".
Et puis - et surtout - cet "amour fou" ("La beauté sera convulsive ou ne sera pas" Cf. André Breton) rencontré par l'auteur, point d'orgue cristallisant toutes les autres conquêtes et scellant la fin du corps rompu par le travail des générations précédentes, du corps mutilé par les guerres et fustigé par les religions, un corps, lieu de la maltraitance, qui soudain renaît et devient le lieu du plaisir charnel ouvrant aux autres et à la vie. Voilà ce que "Faites l'amour et pas la guerre, Peace and love" veut dire. Une poétique politique.
Hymne à la beauté du corps exalté comme lieu d'où partent toutes les découvertes, hymne à l'amour fou - pas celui couché sur le papier glacé des magazines flashy glamour -, Mai 68 renoue avec la prescience des artistes rupestres qui avaient choisi de peindre les animaux plutôt que, comme les chasseurs, se contenter de se nourrir de leur chair dans le but unique de perpétuer l'espèce. L'art plus fort que l'instinct guerrier. Beau message adressé du néolithique (âge de la pierre polie, comme les pavés de 68 sous les pieds de jeunes gens généreux) à la génération actuelle, porteuse de l'espoir toujours à réaliser, "que notre espèce accède enfin à la (vraie) vie".
"68 Mon Amour"
Texte : Roger Lombardot.
Mis en scène : Chantal Péninon.
Avec : Ludovic Salvador
Compagnie Vue sur Scène.
Durée : 57 min.
•Avignon Off 2019•
Du 5 au 28 juillet 2019.
Tous les jours à 15 h 15, relâche le lundi.
La Croisée des Chemins, Salle Côté Cour
25, rue d'Amphoux.
Réservations : 07 84 40 78 67.
>> theatrelacroiseedeschemins.com
Mis en scène : Chantal Péninon.
Avec : Ludovic Salvador
Compagnie Vue sur Scène.
Durée : 57 min.
•Avignon Off 2019•
Du 5 au 28 juillet 2019.
Tous les jours à 15 h 15, relâche le lundi.
La Croisée des Chemins, Salle Côté Cour
25, rue d'Amphoux.
Réservations : 07 84 40 78 67.
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