La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2019

•Off 2019• Le marathon "hors pair" de William Mesguich… Entretien à paroles déliées

William Mesguich, monstre de travail scénique et maître ès arts dramatiques, doté d'une soif inextinguible pour tout ce qui le fait vibrer, s'apprête à affronter un Festival d'Avignon tout particulièrement chaud cet été… Et ce n'est pas là que question de canicule ! Qu'on en juge par le programme pantagruélique qu'il a dévoilé en "avant-première" à La Revue du Spectacle.



"Le Souper" © Pascal Gely.
"Le Souper" © Pascal Gely.
Yves Kafka - William Mesguich, votre appétit pour le théâtre n'est plus à prouver, mais pour cette édition d'Avignon 2019, on pourrait parler de boulimie… On vous verra quatre fois en tant que comédien et pas moins de cinq en tant que metteur en scène. Alors, comme le personnage de "Liberté !" que vous mettez en jeu, êtes-vous atteint "d'une curieuse maladie, celle de ne pas arriver à faire des choix" ? Brûler les planches serait-ce votre manière à vous de soigner cette addiction dont vous avez hérité ?

William Mesguich - Les chiens ne font pas des chats… L'exemple donné par mon père m'a "imprégné" durablement. Sa faconde, son enthousiasme, sa générosité… J'aime infiniment le théâtre. Il ne s'agit pas de courir après l'exploit, d'établir des records, mais de faire vivre cet amour du théâtre. Je suis profondément heureux sur les planches…

J'aime la vie, ma famille, mes amis… mais il est vrai que je suis tout particulièrement heureux sur la scène, quand je dis des textes et ai le bonheur de les partager. C'est là ma raison de vivre. Depuis 23 ans, c'est le désir de la quête qui me porte. Après quoi je cours ? Une recherche de reconnaissance ? Ou peut-être, simplement, ma manière à moi d'exister…

Artaud-Passion © Patrice Trigano.
Artaud-Passion © Patrice Trigano.
Servi par une bonne mémoire, je me réserve le temps de la pensée pour préserver l'exigence. Aucunement mercenaire, je mets un point d'honneur à être le plus pro, le plus engagé possible avec mes partenaires et ceux qui m'ont fait confiance en sachant que je peux résister à la fatigue liée à cette somme de projets et de rôles.

Pendant longtemps, j'ai travaillé exclusivement avec ma propre compagnie ou avec mon père à qui je dois Le Prince de Hombourg et Hamlet, des rôles m'ayant marqué à jamais. Je l'en remercie infiniment et ai toujours grand plaisir à jouer avec lui "Le souper"… mais le fait d'avoir décidé d'aller vers d'autres horizons, m'a autorisé à vivre d'autres aventures, de côtoyer des gens ayant un regard autre sur le théâtre et y ai pris goût.

J'aime le théâtre parce que j'aime les gens qui le font. Durant les juillets d'Avignon, je vais habituellement voir 20 à 35 spectacles. Le mouvement de la création me nourrit.

Amour des gens de théâtre mais aussi des textes. La fibre littéraire qui vous anime trame votre parcours. On se souvient des "Mémoires d'un fou" du jeune Gustave Flaubert où, au milieu des feuillets éparpillés sur le plateau, visage couvert de blanc de clown et yeux exorbités, vous retrouviez ses tourments et exaltations. Là, vous jetez votre dévolu sur Victor Hugo, William Shakespeare, Antonin Artaud, ainsi que quelques contemporains. Diriez-vous avec Fernando Pessoa que "la littérature est la preuve que la vie ne suffit pas" ?

W. M. - Oui ! Mes sœurs et moi avons baigné dès notre enfance dans la littérature. Ont suivi des études littéraires, khâgne, maîtrise à la Sorbonne et mémoire sur le théâtre de Beckett. Les grands auteurs m'ont de tout temps accompagné. Aussi ai-je toujours mis un point d'honneur à défendre les projets "nobles" porteurs d'une culture, d'une pensée forte. Marivaux, Molière, Victor Hugo, Ibsen, Calderón, Beckett, Ionesco, des classiques mais aussi des contemporains. De même pour les textes philosophiques, Jacques Derrida mais aussi Kant et Platon. Aux côtés de mon père, j'ai travaillé de manière passionnée et passionnelle autour du sens, de ce que les mots disent, et il m'aurait été inconcevable de m'aventurer dans des choses moyennes, légères, qui auraient à voir avec le divertissement.

"Macbeth" © Mélisande de Serre.
"Macbeth" © Mélisande de Serre.
Je ne vous dis pas que de temps en temps… "Chagrin pour soi" de Virginie Lemoine est une comédie. C'est la première fois que je m'aventurais sur ce territoire.

Cette pièce effectivement relève d'une autre inspiration que les autres…

W. M. - J'y interprète pas moins de douze personnages, le défi était de s'aventurer sur un terrain inconnu en compagnie de Virginie Lemoine et Sophie Forte, expertes en humour et sens de la repartie. Ce choix a eu l'effet d'une respiration… Pour autant ma prédilection va aux auteurs des textes littéraires, à leur puissance, à leur réflexion qui ne nous laisse jamais en repos…

… comme votre prédilection pour les rôles que vous avez choisis d'endosser ! Fouché, l'ancien ministre de la police, Macbeth, le régicide en proie aux affres de la culpabilité dévorante, ou encore Antonin Artaud, l'auteur de "Van Gogh, le suicidé de la société". Outre leurs destins hors du commun, ils sont porteurs chacun à leur manière d'une humanité tourmentée. C'est ce destin qui vous rend "captif" de leur aura et vous lie à eux ? C'est vous qui choisissez les rôles ou ce sont eux qui vous choisissent ?

W. M. - J'ai pris souvent la responsabilité de m'aventurer près de personnages intranquilles. Dans "Noces de sang", j'interprétais l'amant. Dans "Les Mystères de Paris", Rodolphe. Dans "Ruy Blas", Salluste, qui ne passe pas non plus pour être fréquentable. Quand j'ai joué "Pascal/Descartes" avec mon père, l'évidence était que Pascal, tremblant et maladif, m'était réservé. Dans "Le Souper", je me suis jeté à corps perdu dans le rôle de Fouché.

En revanche, pour "Macbeth", on est venu me chercher (après avoir imaginé le "Caligula" de Camus !). De même pour le texte au vitriol d'"Artaud-Passion". Je me sens comme aimanté par ces figures. Qu'est-ce qui fait que sur scène, je suis comme "un autre" ? Blond, la peau claire, les yeux bleus, je ne suis pas dans la ténèbre, ne suis ni mon père, ni Denis Lavant, je n'ai pas cette capacité innée à raconter des choses terribles. "Ça" me dépasse. Faire "Chagrin pour soi", c'était amusant, une salutaire respiration, mais au fond de moi, quand je lis le texte d'Artaud, je jubile.

"Le Souper" © Pascal Gely.
"Le Souper" © Pascal Gely.
Artaud me nourrit, Artaud me déstabilise, il me rend heureux de dire ses mots. Il y a une intelligence, une force, une puissance que certains textes ne proposent pas, tout simplement et c'est pour ça que j'ai évité l'écueil de séries pourries, de publicités indigentes, parce que je voulais rester sur le terrain de l'exigence, de l'excellence, de la noblesse du propos dans un monde qui part à vau l'eau et où la bêtise et l'ignorance sont souvent reines.

Il faut défendre ces îlots de résistance d'une pensée de haute volée pour résister à ceux qui ne veulent plus faire d'effort et qui ont finalement l'arrogance de l'ignorance et veulent imposer une pensée majoritaire, "l'ignorance crasse" comme disait Tchekhov. Artaud tombe des mains de beaucoup de gens parce qu'il dit des choses terrifiantes dérangeant la "bien-pensance" théâtrale, la frilosité ambiante. Or il faut continuer à batailler pour ces textes-là. Je ne suis pas Antonin Artaud, ne le serai jamais, mais porter cette parole me ravit au plus haut point.

Artaud-Passion © Patrice Trigano.
Artaud-Passion © Patrice Trigano.
La vie, me semble plus anodine, plus tiède que sur les planches, dans ce rapport particulier qui nous lie de façon charnelle à un auditoire, à ceux et celles qui se sont donné rendez-vous pour entendre un texte, voir un regard, ressentir de l'émotion. Je me dis que c'est là que je suis le plus moi-même et le plus heureux peut-être. Le fait de m'écrouler sur scène crée quelque chose que je ne peux ressentir ailleurs, dans la vie ordinaire je ne peux pas m'écrouler dans la rue.

Sur scène, je suis comme un autre en moi-même… Peut-être la volonté de prouver à moi-même, à mon père, que je suis capable. C'est un peu sans fin, à ce jeu il faut faire attention à ne pas se brûler les ailes… Certains craignent pour ma santé. Cet été, il va faire chaud, il y aura des tensions, les rôles sont exigeants, c'est quotidiennement plus de cinq heures sur scène. Je ne suis pas une machine, ai fait du sport de haut niveau, sais ce que c'est que l'effort, mais… Je suis très excité à l'idée de ce festival, très impatient. Sur la scène d'un théâtre, je me sens vivre.

Propos recueillis le 2 mai.

Les neuf spectacles de William Mesguich programmés en juillet à Avignon :
"Une histoire vraie" à 11 h 20 à La Luna.
"Artaud-passion" à 12 h 30 au Roi René.
"Liberté ! (avec un point d'exclamation)" à 13 h 10 à l'Essaïon.
"Le corbeau blanc" à 14 h 05 à La Luna.
"Misérables" à 17 h 20 à l'Espace Roseau Teinturiers.
"Macbeth" à 17 h 50 au Théâtre des Gémeaux.
"Le Souper" à 19 h 30 au Théâtre des Gémeaux.
"Fluides" à 20 h 15 au Coin de la Lune.
"Chagrin pour soi" à 20 h 45 au Théâtre des Gémeaux.

Yves Kafka
Mardi 25 Juin 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
08/11/2024
Spectacle à la Une

"Daddy", Game and reality : Mara au péril des merveilles…

Quand on a treize ans, la tête pleine du rêve fabuleux de devenir actrice, et que l'on rencontre sur une plateforme de jeux vidéo l'avatar bien réel d'un séducteur en faisant profession, on devient une proie… rêvée ! Entre jeux et réalités virtuelles, les personnages – tout droit sortis de l'imaginaire documenté de l'autrice metteuse en scène Marion Siéfert – se cherchent, se trouvent, s'affrontent, brouillant les frontières entre deux mondes : le monde dit réel et son double, le metaverse. Reflets troublants d'un miroir à facettes nous faisant perdre nos propres repères dans un "dé-lire" du monde comme il va.

© Matthieu Bareyre.
Dans "Jeu et réalité", le psychanalyste britannique Winnicott annonçait en son temps l'importance pour la construction du petit d'homme d'un "espace intermédiaire entre le dehors et le dedans". Un espace où le potentiel virtuel de chacun(e) pourrait librement s'exprimer sans être assujetti aux diktats des jeux réglés. De nos jours, le succès phénoménal des jeux de rôle en ligne où, chacune et chacun "à l'abri" derrière son écran, casque vissé aux oreilles et manette en mains, s'invente de toutes pièces un personnage pour le faire vivre (et mourir) au risque du contact avec d'autres avatars, ne peut qu'accréditer cette vision.

Ainsi de Mara, cette toute jeune fille qui, comme beaucoup d'autres, ressent le besoin vital de faire craquer les coutures trop étriquées du monde qu'elle habite. Une échappatoire ressentie comme salutaire lui permettant d'expérimenter dans le monde virtuel ce que le quotidien ne peut lui offrir, une évasion "sur mesure" dans l'univers fantastique d'un Role Play sur le Net… Là, comme par miracle, elle va rencontrer "pour de vrai" le prince charmant – version gourou du double de son âge – un avatar bien réel qui la prend sous son aile, usant de tous les artifices de la séduction afin de la modeler en star du jeu vidéo dont il est le promoteur : elle ne sera pas actrice, c'est dépassé dans le monde d'aujourd'hui, mais superstar d'un jeu vidéo, un produit à vendre sur le net en pièces détachées… et, en ce qui le concerne, à "consommer" en direct.

Yves Kafka
03/12/2024
Spectacle à la Une

"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.

© Fabienne Rappeneau.
Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024