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Avignon 2019

•Off 2019• Le Rêve d'un homme ridicule La vie est (réellement) un songe

Jean-Paul Sermadiras, à l'allure christique et au port imposant du romancier russe, apparaît, s'immobilise, toise longuement du regard la salle… L'effet d'ordre hypnotique produit par cette entrée dans le vif du sujet fera que, une heure durant, nous ne le quitterons pas un instant des yeux, aimantés par sa présence magnétique. Sa voix, au diapason, fait résonner le texte pour donner à "voir" à elle seule les paysages intérieurs de la psyché torturée de "l'homme ridicule".



© Charles Hermand.
© Charles Hermand.
Être continûment confronté au regard dévalorisant des autres, au point de "faire corps" avec l'image d'un ridicule fini qu'ils renvoient de votre personne, constitue une expérience mettant à mal l'ego, frappé de sidération. Cela peut aller jusqu'à déclencher une pulsion auto-destructrice afin d'en finir une fois pour toutes avec l'abjection de soi collant à la peau. Mais quand - miracle divin -, dans un rêve euphorisant, la réalité se met à "exister" sous une forme lumineuse, le sujet renaît des cendres auxquelles il était destiné.

Fiodor Dostoïewski, l'auteur de cette nouvelle fantastique, était un homme torturé, écartelé entre l'attirance pour un socialisme progressiste, où la question du libre arbitre était centrale, et un penchant mystique très prégnant traversant son œuvre monumentale. Dès lors, rien d'étonnant qu'il ait pu produire à l'état de veille ce récit qui cristallise en lui les formations inconscientes échappant à son contrôle.

Les limites labiles entre veille et sommeil, réalité et rêves, ces limbes indistincts où séjournent les âmes de ceux que la réalité ne reconnaît pas, sont sources de révélations conduisant à modifier profondément l'angle d'attaque du réel. Ainsi, à cet homme qui était prêt à passer de l'autre côté du miroir pour fuir son image dégradée, il lui suffit ce soir-là que son chemin croise une petite fille éplorée pour que le rêve, "voie royale qui mène à l'inconscient", produise ses effets performatifs.

© Charles Hermand.
© Charles Hermand.
Lui qui avait préparé l'arme pour se donner la mort, revolver posé sur la table face à lui, s'endort dans son fauteuil Voltaire… Et là, les images oniriques qui le gagnent, l'entraînent à voguer en état d'apesanteur en compagnie d'un être inconnu l'ayant tiré du cercueil où il avait été enseveli. Il y aurait donc - dans les rêves - une vie après la mort ?

Tout n'est que beauté et amour dans ce monde rêvé. Cette sensation de plénitude, de faire corps avec le cosmos… Et soudain, il hurle, la musique se déchaîne, devient criarde, les traits du visage se tordent et le corps du rêveur est traversé par des transes. La beauté et la bonté insupportables se sont muées en leur inverse sous l'effet de l'homme pervertissant tout ce qu'il approche.

Au réveil, l'homme ayant éprouvé dans sa chair l'expérience du bien et du mal, sait ce qu'il doit prêcher. Un sens est donné à son existence, sans lequel elle s'abîmait dans le ridicule jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Récit "illuminé" de Fiodor Dostoïewski, rendu lumineux sous l'effet de l'incarnation saisissante proposée par Jean-Paul Sermadiras, qui se coule à s'y confondre dans le costume du protagoniste torturé, puis exalté par sa nouvelle condition d'homme exhortant à la concorde.

"Le Rêve d'un homme ridicule"

© Charles Hermand.
© Charles Hermand.
Texte : Fiodor Dostoïevski.
Traduction : André Markowicz.
Adaptation : Jean-Paul Sermadiras.
Mise en scène : Olivier Ythier.
Avec : Jean-Paul Sermadiras.
Collaboration artistique : Gilles David, sociétaire de la Comédie-Française.
Scénographie et lumières : Jean-Luc Chanonat.
Création sonore : Pascale Salkin.
Costumes : Cidalia Da Costa.
Cie Le PasSage.
Durée : 1 h 10.

•Avignon Off 2019•
Du 5 au 16 juillet 2019.
Tous les jours à 17 h 25.
Théâtre de l'Étincelle
14, rue des Études.
Réservation : 04 90 85 43 91.
>> Théâtre de l'Étincelle

Yves Kafka
Lundi 22 Juillet 2019

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

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© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024