De la rencontre de Florence Loeb, toute jeune fille de seize ans, dans la galerie parisienne où son père exposait les dessins de l'auteur du "Van Gogh, le suicidé de la société", et d'Antonin Artaud, "vieillard" de cinquante ans, émacié et édenté au sortir des années psychiatrisées, Patrice Trigano, envoûté par l'écrivain hors normes dont il a dévoré très jeune la monumentale œuvre, a tiré un écrit saisissant mêlant les textes du visionnaire à sa propre écriture.
Recueillant, dans l'après coup, le témoignage de celle qui entretint pendant deux ans - jusqu'à sa mort, en 1948 - une relation ambigüe (un père ? un amant potentiel ?) avec le poète dramaturge, il livre les fragments de ce passé recomposé à l'aune de sa fascination. La mise en jeu d'Ewa Kraska sert d'écrin à l'émergence du sentiment d'assister à la résurrection d'un Artaud plus vrai que nature réincarné par William Mesguich fondu en lui.
Il s'agit bien d'hallucinations démultipliées… D'abord, celles de Florence, narratrice troublée qui fait revivre l'auteur du "Théâtre de la cruauté" si intensément que ce dernier s'immisce progressivement dans son espace-temps pour venir, être fantomatique, déclamer, éructer, son manifeste théâtral révolutionnaire. Ensuite, celles du poète visionnaire halluciné par la syphilis qui le rongeait, les drogues qu'il utilisait pour calmer ses souffrances, et habité par ses incantations prophétiques. Enfin, les nôtres, hallucinations ; immergés sous le flux de ces borborygmes désarticulés et phrases divinatoires lâchées en pleine face, nous perdons pied.
i["J'ai choisi le domaine de la douleur et de l'ombre comme d'autres celui du rayonnement et de l'entassement de la matière"i], profère-t-il. Sur le lit, le corps de Florence recroquevillé se déploie et elle raconte elle et lui, son mentor à jamais adulé. Sa beauté lorsque, jeune, il était le Marat du "Napoléon" d'Abel Gance… Ses engouements pour Lautréamont, Hölderlin, Nerval, le livre des morts tibétain…
Un voyage sans fin où sa liberté prenait la forme du salut d'un corbeau - croa croa croa - adressé à un séminariste en longue soutane noire. Revers, sa santé fragile, les flacons de laudanum (opium) pour soulager ses douleurs intestinales, lui gisant au milieu d'une flaque de sang ou de ses excréments.
Recueillant, dans l'après coup, le témoignage de celle qui entretint pendant deux ans - jusqu'à sa mort, en 1948 - une relation ambigüe (un père ? un amant potentiel ?) avec le poète dramaturge, il livre les fragments de ce passé recomposé à l'aune de sa fascination. La mise en jeu d'Ewa Kraska sert d'écrin à l'émergence du sentiment d'assister à la résurrection d'un Artaud plus vrai que nature réincarné par William Mesguich fondu en lui.
Il s'agit bien d'hallucinations démultipliées… D'abord, celles de Florence, narratrice troublée qui fait revivre l'auteur du "Théâtre de la cruauté" si intensément que ce dernier s'immisce progressivement dans son espace-temps pour venir, être fantomatique, déclamer, éructer, son manifeste théâtral révolutionnaire. Ensuite, celles du poète visionnaire halluciné par la syphilis qui le rongeait, les drogues qu'il utilisait pour calmer ses souffrances, et habité par ses incantations prophétiques. Enfin, les nôtres, hallucinations ; immergés sous le flux de ces borborygmes désarticulés et phrases divinatoires lâchées en pleine face, nous perdons pied.
i["J'ai choisi le domaine de la douleur et de l'ombre comme d'autres celui du rayonnement et de l'entassement de la matière"i], profère-t-il. Sur le lit, le corps de Florence recroquevillé se déploie et elle raconte elle et lui, son mentor à jamais adulé. Sa beauté lorsque, jeune, il était le Marat du "Napoléon" d'Abel Gance… Ses engouements pour Lautréamont, Hölderlin, Nerval, le livre des morts tibétain…
Un voyage sans fin où sa liberté prenait la forme du salut d'un corbeau - croa croa croa - adressé à un séminariste en longue soutane noire. Revers, sa santé fragile, les flacons de laudanum (opium) pour soulager ses douleurs intestinales, lui gisant au milieu d'une flaque de sang ou de ses excréments.
Les yeux exorbités, "il" nous fait soudain face. i["Pour en finir avec le Jugement de dieu"], un cri terrifiant s'échappe de sa gorge et résonne à l'infini sous les voûtes. Ses glossolalies inarticulées creusent la langue pour cracher à la face du monde un nouveau sens dont il faudra bien qu'il se débrouille pour qu'advienne l'homme. "Dieu est-il un être ? S'il en est un c'est de la merde. S'il n'en est pas un, il n'est pas".
Et, toujours sans remarquer sa présence, elle prend le relais pour conter sa rencontre avec les indiens Tarahumaras où, lavé des miasmes de l'Occident, il est "initié" et devient magiquement l'un des leurs en ingérant du peyotl, champignon hallucinogène procurant ivresse, transe et liberté. Vient le moment de "La Conférence du Vieux Colombier", où Artaud-Mesguich prend le devant pour éructer ses glossolalies effrayantes… Devant un parterre de choix (il y a là dans la salle, Paulhan, Gide, Adamov, Bataille, Picasso, Braque, Michaux, Breton…), il ne pourra pas en articler un seul mot, des mots qui chutent comme son corps s'effondrant.
Secoué de part en part par la violence des électrochocs, le corps de l'acteur se tétanise douloureusement alors que des éclairs électriques le transpercent. Et Artaud commentera lui-même : "qu'est-ce qu'un aliéné ? C'est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l'entend, plutôt que de forfaire à une certaine idée supérieure de l'honneur humain" ("Van Gogh le suicidé de la société"). Faute de vouloir entendre l'insupportable vérité, la société "rend fou".
Exalté, pénétré par le poète visionnaire, William Mesguich délivre le texte au vitriol de Patrice Trigano avec une telle vérité que l'on se dit qu'Artaud a trouvé là son double. Lui qui voulait que le théâtre double la vie - et non la singe - pour la percuter de plein fouet, lui qui exigeait du théâtre qu'il soit "La terre de Feu, les lagunes du Ciel, la bataille des rêves", s'en serait trouvé pleinement "entendu".
Quant au spectateur, comment pourrait-il, en ces temps de consensus mou érigé en art de "vivre", ne pas se sentir profondément dérangé dans ses petits arrangements avec la médiocrité divertissante promue en viatique. Il y a là, à coup sûr, un brûlot paroxysmique, une violence révolutionnaire salutaire, de nature à secouer les indifférences.
Et, toujours sans remarquer sa présence, elle prend le relais pour conter sa rencontre avec les indiens Tarahumaras où, lavé des miasmes de l'Occident, il est "initié" et devient magiquement l'un des leurs en ingérant du peyotl, champignon hallucinogène procurant ivresse, transe et liberté. Vient le moment de "La Conférence du Vieux Colombier", où Artaud-Mesguich prend le devant pour éructer ses glossolalies effrayantes… Devant un parterre de choix (il y a là dans la salle, Paulhan, Gide, Adamov, Bataille, Picasso, Braque, Michaux, Breton…), il ne pourra pas en articler un seul mot, des mots qui chutent comme son corps s'effondrant.
Secoué de part en part par la violence des électrochocs, le corps de l'acteur se tétanise douloureusement alors que des éclairs électriques le transpercent. Et Artaud commentera lui-même : "qu'est-ce qu'un aliéné ? C'est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l'entend, plutôt que de forfaire à une certaine idée supérieure de l'honneur humain" ("Van Gogh le suicidé de la société"). Faute de vouloir entendre l'insupportable vérité, la société "rend fou".
Exalté, pénétré par le poète visionnaire, William Mesguich délivre le texte au vitriol de Patrice Trigano avec une telle vérité que l'on se dit qu'Artaud a trouvé là son double. Lui qui voulait que le théâtre double la vie - et non la singe - pour la percuter de plein fouet, lui qui exigeait du théâtre qu'il soit "La terre de Feu, les lagunes du Ciel, la bataille des rêves", s'en serait trouvé pleinement "entendu".
Quant au spectateur, comment pourrait-il, en ces temps de consensus mou érigé en art de "vivre", ne pas se sentir profondément dérangé dans ses petits arrangements avec la médiocrité divertissante promue en viatique. Il y a là, à coup sûr, un brûlot paroxysmique, une violence révolutionnaire salutaire, de nature à secouer les indifférences.
"Artaud-Passion"
Texte : Patrice Trigan (éditions Maurice Nadeau).
Mise en scène : Ewa Kraska.
Avec : William Mesguich et Nathalie Lucas
Musique : Olivier Sens.
Lumières : Richard Arselin.
Vidéo : Stéphane Bordonaro.
Régie : Mathieu Ciron.
Costumes : Delphine Poiraud.
Durée : 1 h 10.
Compagnie Itek
•Avignon Off 2019•
Du 5 au 28 juillet 2019.
Tous les jours à 12 h 30, relâche le 24.
Théâtre du Roi René, Salle du Roi
4 bis, rue Grivolas.
Réservations : 04 90 82 24 35 et 07 81 41 24 96.
>> theatreduroirene.com
Mise en scène : Ewa Kraska.
Avec : William Mesguich et Nathalie Lucas
Musique : Olivier Sens.
Lumières : Richard Arselin.
Vidéo : Stéphane Bordonaro.
Régie : Mathieu Ciron.
Costumes : Delphine Poiraud.
Durée : 1 h 10.
Compagnie Itek
•Avignon Off 2019•
Du 5 au 28 juillet 2019.
Tous les jours à 12 h 30, relâche le 24.
Théâtre du Roi René, Salle du Roi
4 bis, rue Grivolas.
Réservations : 04 90 82 24 35 et 07 81 41 24 96.
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