Ce qui jusque-là pouvait lui apparaître comme un simple avatar de la modernité en marche, la banalité (du mal capitaliste) à accepter coûte que coûte, le transperce de part en part pour lui faire éprouver par les sens (vue et ouïe) la cruauté intrinsèque du système économique auquel il finissait par s'abandonner de bonne grâce.
Quand Flaubert avait délibérément choisi de rendre ennuyeux "L'Éducation sentimentale" - du moins dans sa forme -, c'était pour faire "éprouver" par le lecteur du XIXe la boucle des échecs récurrents du protagoniste dont les aspirations politiques et le désir amoureux resteraient à jamais insatisfaits. Quand Maguy Marin propose au XXIe une chorégraphie contemporaine où, en boucle, tempos musicaux lancinants et situations surjouées, se répètent à l'identique, elle aussi poursuit un objectif : rendre physiquement insupportable l'aliénation liée à la production de biens et à son corollaire, leur accumulation convulsive.
Ainsi la chorégraphe entend-elle bousculer le spectateur "intégré" pour le faire vaciller hors de sa zone de confort, pour le faire trébucher vertigineusement afin qu'en se relevant, il puisse reconsidérer les avatars du néolibéralisme à l'œuvre en lui-même. Produire et consommer toujours plus, telles sont les deux mamelles auxquelles nos contemporains - nous-mêmes - sont "élevés" afin de faire taire toute velléité de réflexion critique. D'où l'urgence d'une radicalité artistique, seule apte à déconstruire le conditionnement acquis.
Quand Flaubert avait délibérément choisi de rendre ennuyeux "L'Éducation sentimentale" - du moins dans sa forme -, c'était pour faire "éprouver" par le lecteur du XIXe la boucle des échecs récurrents du protagoniste dont les aspirations politiques et le désir amoureux resteraient à jamais insatisfaits. Quand Maguy Marin propose au XXIe une chorégraphie contemporaine où, en boucle, tempos musicaux lancinants et situations surjouées, se répètent à l'identique, elle aussi poursuit un objectif : rendre physiquement insupportable l'aliénation liée à la production de biens et à son corollaire, leur accumulation convulsive.
Ainsi la chorégraphe entend-elle bousculer le spectateur "intégré" pour le faire vaciller hors de sa zone de confort, pour le faire trébucher vertigineusement afin qu'en se relevant, il puisse reconsidérer les avatars du néolibéralisme à l'œuvre en lui-même. Produire et consommer toujours plus, telles sont les deux mamelles auxquelles nos contemporains - nous-mêmes - sont "élevés" afin de faire taire toute velléité de réflexion critique. D'où l'urgence d'une radicalité artistique, seule apte à déconstruire le conditionnement acquis.
Lorsque Pascal Quignard (Vie secrète, 1998) écrivait "Il y a une naissance en toute connaissance, il ne disait pas autre chose : co-nnaître, c'est d'abord se décoller du placenta - du moule sociétal - pour trouver sa propre respiration, c'est naître d'abord à soi-même pour accéder à la connaissance de son asservissement précédant le désir de s'en libérer.
Dans le vacarme assourdissant d'une machinerie rythmée comme une partition musicale enrayée - on la doit à Charlie Aubry -, des clones zélés du capitalisme s'agitent en tous sens, eux qui en sont privés. Dans des tailleurs flashing colors ou costumes basket, ils s'affairent à leurs affaires, prothèse de portable vissé à l'oreille, regard dirigé vers la ligne d'horizon des objectifs fixés par d'autres qu'eux-mêmes. Où courent-ils frénétiquement, ménageant de brusques arrêts, des retours en arrière subits, des sauts sur place accompagnés d'un cri stéréotypé ? On ne le sait - mais le savent-ils eux-mêmes ? - si ce n'est que tours et détours, bugs et patchs, les mènent au pied de la déesse photocopieuse, maîtresse de la duplication.
Mais cette dévotion en boucle, que rien ne peut venir contrecarrer, se double d'une autre addiction tout aussi prégnante : accumuler les multiples objets nés de leurs désirs consuméristes que leur force de travail leur a permis d'acquérir. Les bras chargés à rompre, ils approvisionnent leur espace personnel d'objets hétéroclites - ballons de baudruche, tête de pharaon, gadgets en plastique, packaging démentiel de papiers toilette, skis, parapluies, etc. - rejoints par les portraits de Marx, de Freud, du Pape et autres idoles faisant figure de reliques.
Au fur et à mesure que le temps fait du surplace, le plateau se mue en capharnaüm géant. Les récipiendaires travaillent sans relâche pour créer cette richesse qui pompe leur air disponible, réduisant à peau de chagrin leur espace vital. Travail et vie personnelle ne faisant désormais qu'un, le premier ayant phagocyté la seconde, on les voit ainsi déambuler nus ou s'asseoir sur le siège de toilettes aménagées dans l'open space. (Se) remplir, se vider, deux actions complémentaires pour la même fonction : tenter d'échapper au vide abyssal d'existences sans matière. Quelle place pourrait-il rester pour les relations personnelles dans ce temple consacré au travail et à la consommation qui l'autojustifie (et vice-versa) ?
Avec "Ligne de crête", Maguy Marin crée à nouveau une œuvre qui fera date, comme son "May B." devenu désormais légendaire. Politiquement non consensuelle, elle s'est imprégnée avec envie de l'essai de l'économiste Frédéric Lordon - "Capitalisme, désir et servitude" convoquant les passions-addictions de la philosophie de Spinoza et la philo politique de Marx - pour le faire sien. Ainsi, projeté sur le plateau par le biais d'un geste artistique radical, l'essai brillant de F. Lordon se transforme en chorégraphie hallucinatoire.
Dans le vacarme assourdissant d'une machinerie rythmée comme une partition musicale enrayée - on la doit à Charlie Aubry -, des clones zélés du capitalisme s'agitent en tous sens, eux qui en sont privés. Dans des tailleurs flashing colors ou costumes basket, ils s'affairent à leurs affaires, prothèse de portable vissé à l'oreille, regard dirigé vers la ligne d'horizon des objectifs fixés par d'autres qu'eux-mêmes. Où courent-ils frénétiquement, ménageant de brusques arrêts, des retours en arrière subits, des sauts sur place accompagnés d'un cri stéréotypé ? On ne le sait - mais le savent-ils eux-mêmes ? - si ce n'est que tours et détours, bugs et patchs, les mènent au pied de la déesse photocopieuse, maîtresse de la duplication.
Mais cette dévotion en boucle, que rien ne peut venir contrecarrer, se double d'une autre addiction tout aussi prégnante : accumuler les multiples objets nés de leurs désirs consuméristes que leur force de travail leur a permis d'acquérir. Les bras chargés à rompre, ils approvisionnent leur espace personnel d'objets hétéroclites - ballons de baudruche, tête de pharaon, gadgets en plastique, packaging démentiel de papiers toilette, skis, parapluies, etc. - rejoints par les portraits de Marx, de Freud, du Pape et autres idoles faisant figure de reliques.
Au fur et à mesure que le temps fait du surplace, le plateau se mue en capharnaüm géant. Les récipiendaires travaillent sans relâche pour créer cette richesse qui pompe leur air disponible, réduisant à peau de chagrin leur espace vital. Travail et vie personnelle ne faisant désormais qu'un, le premier ayant phagocyté la seconde, on les voit ainsi déambuler nus ou s'asseoir sur le siège de toilettes aménagées dans l'open space. (Se) remplir, se vider, deux actions complémentaires pour la même fonction : tenter d'échapper au vide abyssal d'existences sans matière. Quelle place pourrait-il rester pour les relations personnelles dans ce temple consacré au travail et à la consommation qui l'autojustifie (et vice-versa) ?
Avec "Ligne de crête", Maguy Marin crée à nouveau une œuvre qui fera date, comme son "May B." devenu désormais légendaire. Politiquement non consensuelle, elle s'est imprégnée avec envie de l'essai de l'économiste Frédéric Lordon - "Capitalisme, désir et servitude" convoquant les passions-addictions de la philosophie de Spinoza et la philo politique de Marx - pour le faire sien. Ainsi, projeté sur le plateau par le biais d'un geste artistique radical, l'essai brillant de F. Lordon se transforme en chorégraphie hallucinatoire.
Les démons du couple infernal travail et consommation, encouragés à se déchaîner devant nous, épuisent dans une répétition insupportable leur charge négative. Défait ainsi sous l'effet de cette transe orgiaque de son charme ensorceleur, le miroir aux alouettes du néolibéralisme gagnant - veau d'or du capitalisme reflétant les addictions consuméristes nous enchaînant au travail - vole en éclats, confirmant encore et toujours la nécessité de l'art lorsqu'il est agi par des artistes sans concessions.
"Ligne de crête"
Pièce pour 7 interprètes, créée en septembre 2018 au TNP de Villeurbanne dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.
Conception : Maguy Marin.
En étroite collaboration et avec : Ulises Alvarez, Laura Frigato, Françoise Leick, Louise Mariotte, Cathy Polo, Ennio Sammarco, Marcelo Sepulveda.
Lumières : Alexandre Béneteaud.
Dispositif scénique et bande son : Charlie Aubry.
Régie son : Chloé Barbe.
Réalisation du dispositif scénique : Albin Chavignon, Balyam Ballabeni.
Costumes : Nelly Geyres.
Stagiaire : Lise Messina.
Durée : 1 h 05.
Compagnie RAMDAM.
A été représenté au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, en partenariat avec l'Opéra National de Bordeaux, du 21 au 23 novembre 2019.
Tournée
14 avril au 17 avril 2020 : Théâtre Dijon Bourgogne - CDN, Dijon (21).
26 mars 2020 : La Garance - Scène Nationale, Cavaillon (84).
17 mars 2020 : Le Rive Gauche, Saint-Étienne-du-Rouvray (76).
10 mars au 11 mars 2020 : Théâtre de Lorient - CDN, Lorient (56).
Conception : Maguy Marin.
En étroite collaboration et avec : Ulises Alvarez, Laura Frigato, Françoise Leick, Louise Mariotte, Cathy Polo, Ennio Sammarco, Marcelo Sepulveda.
Lumières : Alexandre Béneteaud.
Dispositif scénique et bande son : Charlie Aubry.
Régie son : Chloé Barbe.
Réalisation du dispositif scénique : Albin Chavignon, Balyam Ballabeni.
Costumes : Nelly Geyres.
Stagiaire : Lise Messina.
Durée : 1 h 05.
Compagnie RAMDAM.
A été représenté au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, en partenariat avec l'Opéra National de Bordeaux, du 21 au 23 novembre 2019.
Tournée
14 avril au 17 avril 2020 : Théâtre Dijon Bourgogne - CDN, Dijon (21).
26 mars 2020 : La Garance - Scène Nationale, Cavaillon (84).
17 mars 2020 : Le Rive Gauche, Saint-Étienne-du-Rouvray (76).
10 mars au 11 mars 2020 : Théâtre de Lorient - CDN, Lorient (56).