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Théâtre

"Les idoles" Le monde n'est pas seulement une chose posée là, j'y participe… à la vie, à la mort !

C'est une plongée autour des années quatre-vingt-dix avec des figures littéraires et cinématographiques qui nous ont quittées beaucoup trop tôt, fauchées par le sida. Dans une mise en scène de Christophe Honoré où se mêlent le passé et un futur post-mortem qui est celui de la postérité de chaque protagoniste, ils se retrouvent une trentaine d'années après leur mort, dans un présent qui est notre actualité.



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
La scénographie découvre une grande salle avec de longs piliers métalliques un peu défraîchis. Nous sommes dans une sorte de hangar désert. Jean-Luc Lagarce, Cyril Collard, Serge Daney, Jacques Demy, Hervé Guibert et Bernard-Marie Koltès sont présents.
Caractéristique des pièces de Christophe Honoré, l'intime est souvent le squelette de la trame. Là, ce sont ses idoles littéraires et cinématographiques autour d'écrivains, de critiques et de réalisateurs.

Cela débute par Jean-Luc Lagarce (Julien Honoré) dans une charge contre Renaud Camus où il lit un passage de ce dernier sur le grand remplacement, chantre des discours les plus racistes, repris en écho par les identitaires et réactionnaires de l'extrême droite. Est posée tout au long du spectacle la relation au temps et de ce qui fait parfois postérité avec Cyril Collard pour "Les nuits fauves" (1992). Le temps est le contexte dramaturgique dans lequel, au travers du théâtre dans le théâtre, les protagonistes sont dans une échelle temporelle décalée, projetée dans un futur après leur décès. Ils prennent en effet en compte l'actualité présente pour une plongée dans leur passé.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Ils sont toutefois indépendants des horloges, car situés dans la postérité. Connus, plus ou moins célèbres du grand public, respectés, voire admirés dans leur milieu, ils ont un rapport assez distendu, excepté pour Cyril Collard, avec leur œuvre, parce qu'ils n'en parlent pas, ou peu. Nous nous retrouvons ainsi dans une introspection rétrospective où celui-ci se définit par ce qu'il a fait en écho à une postérité qu'il n'a pu connaître et qu'il décrit. Collard fait ainsi allusion aux procès d'intention dont il a été victime, alors qu'il était déjà décédé, et qui ont fait tomber dans l'oubli des projections "Les nuits fauves". Dans le public d'ailleurs, un spectateur a marqué, à ce moment-là, son désaveu à l'encontre de Collard sans connaître vraisemblablement la réalité des faits.

Pour chacun d'eux, qui parle au final ? C'est Christophe Honoré, ou celui qu'il incarne en tant que dramaturge, qui fait exister, dans un espace-temps qui s'étire sur une échelle qui peut être infinie, des célébrités qui sont tout autant des artistes souvent engagés, par leur existence passée, que des personnages, grâce à leurs traits théâtraux.

Christophe Honoré fait revivre ses idoles des années quatre-vingt-dix. Tous étaient célèbres, mais frappés par le sida. Une perte effroyable à une époque qui a charrié des raccourcis, de la peur et beaucoup de rejet contre les homosexuels. C'est dans ce rapport à soi, aux autres et face à la mort que Christophe Honoré fait revivre ces personnages.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
La musique est très présente avec, entre autres, "Saturday night fever" (1977) des Bee Gees. Jean-Marie Koltès (Paul Kircher) chante et joue de la guitare un moment. Il y a aussi la chanson des Doors "When the music's over" (1967) qui démarre le spectacle dans une chorégraphie où les protagonistes lèvent les deux bras en l'air pour ensuite les redescendre, le tout de façon un peu courbe avec un tronc assez droit sans qu'il y ait de tension. C'est un déplacement chorégraphié dans lequel un jeu de relations et de récits s'organise, à tour de rôle. Ils se disposent les uns aux autres de manière théâtrale avec cette danse, anodine en apparence, mais qui crée une relation au public, à dessein, non naturelle. Car ils sont en représentation.

Plus loin, la danse refait son apparition avec Marlène Saldana en solo, dans une chorégraphie tout en tension dans laquelle les mouvements sont vifs et amples. Elle finit avec le tronc et les jambes dénudés, comme dans un souffle de pulsion. Il y a aussi un long monologue de Marina Foïs (Hervé Guibert), à dessein, monocorde, un tantinet alimenté par le poids du destin. Sa voix est unidirectionnelle, comme dans un même souffle.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Une complicité est établie entre eux, tous dans un rapport à l'autre où les monologues, qui sont plutôt des récits qu'ils se font chacun à eux-mêmes, mais aussi au public, s'immiscent dans des relations dans lesquelles les interactions sont très présentes. Dans cette relation bicéphale, l'assistance est autant considérée, comme si les protagonistes prenaient en compte son existence, qu'ignorée.

La scène est séparée en deux parties, avec le plateau principal où ils sont situés et une autre, uniquement visible par le biais de la vidéo, avec laquelle le jeu continue comme dans un autre espace, toujours rattaché à la même temporalité. Ainsi, le fil dramaturgique n'est pas que linéaire, il a aussi ses à-côtés qui donnent un aspect cinématographique au déroulé des scènes. Dans cet entre-deux, vient ainsi s'immiscer une temporalité qui déjoue la séquentialité de la dramaturgie. C'est aussi la vie avec ses bifurcations, ses actions multiples et parallèles qui sont mises en avant.

Les courtes vidéos permettent aussi d'isoler quelques moments, dans certains tableaux, qui mettent en exergue une personnalité, celle de Koltès par exemple, ou une scène intime. Au-delà d'un propos, c'est un silence, un non-dit, un désir qui sont filmés.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Comment a eu lieu la réunion de ces différentes personnalités artistiques ? Chacun est libre d'imaginer l'avant de cette rencontre. Ils se connaissent, sans que ce soit des rapports d'amitié, mais s'écoutent et se considèrent comme si chacun avait à s'exprimer dans une sorte d'agora avec le public en face. Des points de vue se mêlent et s'entremêlent où, par leur particularité et l'influence artistique que chacun d'entre eux a eue et a encore, Christophe Honoré les fait exister face à leur postérité parfois, face à la vie et à la mort toujours.

C'est un très beau spectacle dans lequel s'articulent nostalgie et actualité, et qui est à l'image de la dernière phrase de "Les nuits fauves" pour chacun des personnages… "Je suis vivant, le monde n'est pas seulement une chose posée là, extérieure à moi-même, j'y participe et ce n'est plus ma vie. Je suis dans la vie."
◙ Safidin Alouache

"Les idoles"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Texte : Christophe Honoré.
Mise en scène : Christophe Honoré.
Assistante à la mise en scène : Christèle Ortu.
Assistant dramaturgie : Timothée Picard.
Avec : Harrison Arévalo, Jean-Charles Clichet, Marina Foïs, Julien Honoré, Paul Kircher, Marlène Saldana.
Et l'apprenti du Studio - Esca : Lucas Ferraton.
Scénographie : Alban Ho Van.
Costumes : Maxime Rappaz.
Lumière : Dominique Bruguière, assistée de Pierre Gaillardot.
À partir de 15 ans.
Durée : 2 h 10.

Du 18 janvier au 6 avril 2025.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 20 h 30 et dimanche à 15 h.
Relâche : 23 février, 2, 25, 26, 27 et 28 mars, 2, 3 et 4 avril.
Théâtre Porte Saint-Martin, Paris 10e, 01 42 08 00 32.
>> portestmartin.com

Safidin Alouache
Mercredi 12 Février 2025

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