"Experimento 5 - version duo", de la Cie Sofia Fitas, renvoie à la fulgurante intuition de Nietzsche lançant à la face du monde transi "c'est en déconstruisant que l'on découvre les mécanismes de la construction". Mais si le philosophe du XIXe siècle scrutait les mots et leur organisation pour débusquer en eux le continuum d'oppressions qu'ils contenaient, la chorégraphe danseuse contemporaine, elle, assiège le corps - le sien - pour le manipuler en tous sens afin "qu'il parle", dégagé des liens qui le bâillonnent.
Pantalon noir, dos nu, un être apparemment sans tête apparaît dans le halo de lumière balayant le plateau à hauteur de spectateur. Qu'est-il ce corps émasculé de son extrémité haute ? Rien ne permet de déterminer son sexe ni ses origines, "il" représente le substrat humain se cognant à la réalité d'un corps "à recomposer" d'urgence. Deux mains impressionnantes d'étrangeté, tant elles occupent de part et d'autre du cou la place ordinairement réservée au crâne, vont se livrer à des contorsions "surhumaines" dont les mesures seront délibérément amplifiées par le mixage en live de voix cacophoniques et de musiques battant le flux et le reflux chorégraphiés.
Pantalon noir, dos nu, un être apparemment sans tête apparaît dans le halo de lumière balayant le plateau à hauteur de spectateur. Qu'est-il ce corps émasculé de son extrémité haute ? Rien ne permet de déterminer son sexe ni ses origines, "il" représente le substrat humain se cognant à la réalité d'un corps "à recomposer" d'urgence. Deux mains impressionnantes d'étrangeté, tant elles occupent de part et d'autre du cou la place ordinairement réservée au crâne, vont se livrer à des contorsions "surhumaines" dont les mesures seront délibérément amplifiées par le mixage en live de voix cacophoniques et de musiques battant le flux et le reflux chorégraphiés.
Lorsque l'enveloppe sonore sera portée à son paroxysme, frôlant l'implosion des tympans, les mains livrées à elles-mêmes arracheront dans une exaltation démesurée une tête invisible - l'illusion est totale -, avant d'être englouties dans le silence épuisé du plateau plongé dans le noir… Le second tableau découvrira l'être agenouillé, sa chevelure noire déployée au sol dérobant sa tête à nos regards. La musique se fera d'abord plus douce, les mouvements des bras se tenant la main (sic) esquisseront un pas de ballet avant que l'air d'opéra ne s'emballe et que la mêlée décharnée enchevêtrant jambes, pieds, mains, bras, ne reprenne de plus belle.
Seul un silence apocalyptique pourrait éventuellement - mais suffirait-il ? - délivrer la combattante de ses affres d'écorchée vive. Un combat à mains nues, une lutte sans merci, une chorégraphie puissamment, magnifiquement, interprétée par Sofia Fitas pour tenter de recomposer un corps mis en miettes.
Seul un silence apocalyptique pourrait éventuellement - mais suffirait-il ? - délivrer la combattante de ses affres d'écorchée vive. Un combat à mains nues, une lutte sans merci, une chorégraphie puissamment, magnifiquement, interprétée par Sofia Fitas pour tenter de recomposer un corps mis en miettes.
"C'est toi qu'on adore", de Leïla Ka. Après son premier solo, "Pode Ser" ("Peut-être" en portugais) - salué ici par un accueil enthousiaste lors de l'édition 2019 de Trente Trente -, la danseuse émancipée de tous dogmes chorégraphiques, mêlant à l'envi les influences pour en extraire leur quintessence, partage le plateau nu avec une complice à l'unisson. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette alliance apparaît si "naturelle" que l'une et l'autre se fondent dans la figure du même, dédoublé et pouvant être dupliqué à satiété.
Deux formes vêtues du même vêtement informe, ample et unisexe, les fondant dans la même entité, un seul corps dansé comme porté par la fabuleuse musique, lancinante et répétitive de Barry Lyndon. Sur le tempo hypnotique des sarabandes de Schubert et Haendel, les deux se livrent - souvent en écho l'une de l'autre, parfois en opposition comme pour souligner un déchirement intérieur - à un combat chorégraphié au millimètre contre les forces invisibles les assignant à une place dont elles ont hérité à l'insu de leur volonté. Ce combat à jamais inaccompli prolonge celui de "Pode Ser" où la danseuse parcourait les étapes des influences qu'elle avait dû (dés)intégrer pour naître à sa propre danse, à sa propre identité.
Deux formes vêtues du même vêtement informe, ample et unisexe, les fondant dans la même entité, un seul corps dansé comme porté par la fabuleuse musique, lancinante et répétitive de Barry Lyndon. Sur le tempo hypnotique des sarabandes de Schubert et Haendel, les deux se livrent - souvent en écho l'une de l'autre, parfois en opposition comme pour souligner un déchirement intérieur - à un combat chorégraphié au millimètre contre les forces invisibles les assignant à une place dont elles ont hérité à l'insu de leur volonté. Ce combat à jamais inaccompli prolonge celui de "Pode Ser" où la danseuse parcourait les étapes des influences qu'elle avait dû (dés)intégrer pour naître à sa propre danse, à sa propre identité.
Lorsque la musique envoûtante s'interrompt, seul le souffle suspendu des interprètes vient troubler le silence régnant… avant que, à la première note, ne se déclenchent à nouveau les figures rendues à leur rage. Roulé-boulé, reptation sur le dos et jets de bras et de poings (dés)articulés trament l'énergie électrisante de cette danse expressive où les émotions, amplifiées par le corps "haut-parleur", explosent littéralement.
Aussi, ce serait peu dire que d'évoquer les frissons libérés par "l'écoute" de ce corps dansé magistralement dédoublé, figurant les nôtres, à la recherche vitale d'une identité confisquée. Un corps libéré des emprises extérieures, un corps non assujetti aux désirs des autres, mais ivre de lui-même. Cet âpre combat pour tenter "sans force et sans armure", mais avec une détermination sans failles (cf. "La Quête" de Jacques Brel dans "L'Homme de la Mancha") d'atteindre l'inaccessible métamorphose et son point d'orgue, l'avènement du sujet signe le point de non-retour vers une normalité grise, sans saveur, et perfidement toxique.
Aussi, ce serait peu dire que d'évoquer les frissons libérés par "l'écoute" de ce corps dansé magistralement dédoublé, figurant les nôtres, à la recherche vitale d'une identité confisquée. Un corps libéré des emprises extérieures, un corps non assujetti aux désirs des autres, mais ivre de lui-même. Cet âpre combat pour tenter "sans force et sans armure", mais avec une détermination sans failles (cf. "La Quête" de Jacques Brel dans "L'Homme de la Mancha") d'atteindre l'inaccessible métamorphose et son point d'orgue, l'avènement du sujet signe le point de non-retour vers une normalité grise, sans saveur, et perfidement toxique.
"Poésie du lendemain" propulse illico dans la stratosphère circassienne, là où surviennent d'intenses processus irradiants... Antoine Linsale, à l'allure d'athlète viking et à la chevelure d'or alliant grâce et puissance, se révèle être l'officiant de cette cérémonie païenne à haut pouvoir hypnotique. Faisant littéralement corps avec son agrès - une longue tresse faite de textile, suspendue au centre de la salle -, il devient l'élu d'un étrange ballet dont l'objet du désir avec lequel il tisse une relation complice serait… le tissu.
Au déroulé d'une musique enivrante, nouant et dénouant la tresse autour de sa taille, il s'en saisit pour s'enrouler dans ses plis, se lover autour d'elle, ou encore se propulser dans les airs, sans jamais donner l'impression du moindre effort. L'illusion d'une fusion avec la liane de tissu est telle que, lorsque, suspendue à plusieurs mètres du sol, sa tête renversée projette ses longs cheveux en arrière, les frontières entre mèches humaines et fils végétaux se confondent.
Au déroulé d'une musique enivrante, nouant et dénouant la tresse autour de sa taille, il s'en saisit pour s'enrouler dans ses plis, se lover autour d'elle, ou encore se propulser dans les airs, sans jamais donner l'impression du moindre effort. L'illusion d'une fusion avec la liane de tissu est telle que, lorsque, suspendue à plusieurs mètres du sol, sa tête renversée projette ses longs cheveux en arrière, les frontières entre mèches humaines et fils végétaux se confondent.
À la beauté plastique de ce tableau vivant, faut-il ajouter la maîtrise parfaite des figures exécutées avec une aisance aérienne. Sans coup férir, le circassien acrobate distille - avec une lenteur calculée - la conviction sereine d'avoir vaincu la pesanteur tant ses évolutions superbement chorégraphiées apparaissent pour ce qu'elles sont : un défi lancé à la loi universelle de la gravitation, contrainte de s'incliner face à cet "ange au plafond" échappé d'une peinture de la Renaissance italienne.
Ces trois spectacles ont été vus dans le cadre du Festival Trente Trente de Bordeaux-Métropole (du 8 juin au 3 juillet 2021), à l'Atelier des Marches du Bouscat-Bordeaux, lors de la soirée-parcours du mardi 29 juin à 20 h, 21 h, et 22 h.
Ces trois spectacles ont été vus dans le cadre du Festival Trente Trente de Bordeaux-Métropole (du 8 juin au 3 juillet 2021), à l'Atelier des Marches du Bouscat-Bordeaux, lors de la soirée-parcours du mardi 29 juin à 20 h, 21 h, et 22 h.
"Experimento 5 - version duo"
Création danse.
Par la Cie Sofia Fitas.
Conception et interprétation : Sofia Fitas.
Voix, musique et regard extérieur : Sébastien Jacobs.
lumières et technique, Anna Tubiana.
Durée : 25 minutes.
"C'est toi qu'on adore"
Création danse 2020.
De Leïla Ka.
Chorégraphie : Leila Ka.
Interprétation, Leila Ka et Jane Fournier Dumet.
Création lumières : Laurent Fallot.
Durée : 30 minutes.
"Poésie du lendemain"
Création cirque-performance.
D'Antoine Linsale.
Durée : 7 minutes.
Création danse.
Par la Cie Sofia Fitas.
Conception et interprétation : Sofia Fitas.
Voix, musique et regard extérieur : Sébastien Jacobs.
lumières et technique, Anna Tubiana.
Durée : 25 minutes.
"C'est toi qu'on adore"
Création danse 2020.
De Leïla Ka.
Chorégraphie : Leila Ka.
Interprétation, Leila Ka et Jane Fournier Dumet.
Création lumières : Laurent Fallot.
Durée : 30 minutes.
"Poésie du lendemain"
Création cirque-performance.
D'Antoine Linsale.
Durée : 7 minutes.