La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Exode et Muage"… Quand Le Printemps des Marches s'invite en automne, on ne sait plus sur quel pied danser…

L'Atelier des Marches, lieu créatif et multidisciplinaire de Jean-Luc Terrade (directeur artistique du Festival international Trente-Trente), s'emploie à promouvoir des compagnies émergentes ou confirmées en leur offrant un lieu à nul autre pareil. Pour ces deux soirées inaugurales consacrées à la danse, la Cie Les Parcheminiers et la Cie FluO ont présenté, tour à tour, leur création inspirée chacune par un visage de l'exil.



"Exode" © Dorian Fos.
"Exode" © Dorian Fos.
"Exode" s'attaque à un sujet traversant les époques et collant à notre peau comme un érythème chronique migrant. Que ce soit l'exode vécu par les ressortissants des pays en guerre ou celui auquel sont immanquablement confrontés les naufragés économiques, les mêmes objets balisent ces itinéraires de l'errance en quête d'un ailleurs plus hospitalier.

Sur le plateau à hauteur de salle, émergeant de la pénombre qui les recouvrait, des vêtements disparates s'entassent pêle-mêle. Sont-ce les hardes des errants ou leurs pauvres dépouilles réincarnées ? Au centre du cercle qu'elles délimitent, un danseur, assis en tailleur, trône en majesté dérisoire. En arrière-plan, des valises en carton bouilli complètent le décor de l'exode.

Accompagné d'une musique live et de la voix aux accents vibrants d'émotions palpables d'Émilie Caumont, Thomas Queyrens va "jouer" les figures chorégraphiées de la lutte pour la survie. Un surplace épuisant, réclamant de son corps élans vers le ciel et retombées fracassantes au sol. Faisant montre d'une énergie décuplée menant jusqu'au réel épuisement, l'angoisse distordant son visage dans des effets cinématographiques avérés, celui qui se débat devant nous… reste à l'extérieur de notre zone de confort sans la mettre en aucun cas à mal.

"Exode" © Dorian Fos.
"Exode" © Dorian Fos.
Pourtant, les gestes impeccables répondent aux canons de la chorégraphie et sont effectués "sans frémir"… de l'intérieur. C'est là, précisément, dans cette "(dé) monstration" aux effets ostentatoires, que réside le point d'achoppement. La profusion de gestes techniques enchaînés sans relâche, donne l'impression d'une gesticulation vidée de "sens". Un peu comme ces illustrations manquées de livres d'enfants où le dessinateur s'applique à coller au texte pour "mieux faire comprendre", sans offrir aucunement la possibilité d'une ouverture qui mettrait en branle l'imaginaire créatif du regardeur.

À trop vouloir en faire, "Exode" - animé de bonnes intentions certes mais cousu de fil blanc, un comble… eu égard à la quantité de vêtements étalés - manque son louable objectif, nous laissant sur la rive de l'exil sans avoir pu le rejoindre. À suivre…

"Muage", sur une musique originale de Bastien Fréjaville, nous conte une autre face de l'exil : celle de deux êtres, exilés hors de leurs frontières mais aussi en eux-mêmes (double peine), pour avoir subi dans leur corps les violences réservées à ceux qui refusent d'être assignés de par leur naissance à un genre qui les déterminerait ipso facto.

"Muage" © J.-P. Marcon.
"Muage" © J.-P. Marcon.
L'un est d'origine libanaise, Élie Nassar, que l'homosexualité et l'athéisme ont contraint à la fuite pour pouvoir exercer son métier de danseur. L'une est d'origine russe, Nadia Larina, qui, en tant que femme, ne pouvait trouver dans le pays de Poutine les conditions requises pour exercer en liberté son art chorégraphié. Tous deux vont se livrer à un parcours initiatique susceptible de renverser la donne de départ.

Cet aphorisme de Nietzsche, "C'est en déconstruisant que l'on découvre les mécanismes de la construction", la chorégraphe et danseuse Nadia Larina semble l'avoir fait sien, elle qui s'emploie dès le premier tableau, à afficher lui et elle (?), elle et lui (?), deux êtres nus de dos en train de déconstruire avec une extrême application les postures attachées traditionnellement au masculin et au féminin. En donnant à voir, surgissant de l'obscurité des âges, l'héritage inconscient d'une société patriarcale dont les codes ont été intégrés à l'insu de chacun(e), elle met littéralement à nu les gestes de pantins programmés par un démiurge phallocrate.

Au rythme de coups de sifflet délivrés par une instance surmoïque invisible, il et elle vont parcourir frénétiquement, en sautant en l'air, tombant au sol, courant sur place, les étapes éreintantes d'un chemin de croix païen émancipateur. Ce faisant, ils vont rejouer un autre précepte du philosophe allemand - "La liberté, c'est d'apprendre à danser avec ses chaînes" - pour recouvrer la liberté d'être (homme et/ou femme) qui leur avait été d'emblée confisquée.

"Muage" © J.-P. Marcon.
"Muage" © J.-P. Marcon.
En effet, la liberté (tant humaine qu'artistique) ne pouvant se confondre avec l'ignorance des traditions et blessures ancrées dans leur chair, il et elle vont (re)jouer à l'envi avec elles, mus l'un(e) et l'autre par la pulsion de construire leur identité par-delà les conventions et traumatismes remis à plat.

Des blessures à jamais à vif vont se rouvrir, comme des éclats d'obus venant fourailler leur passé violenté que seul l'effort physique répété en boucle (cf. la symbolique de la corde à sauter) peut épuiser. Et, ensuite, il et elle pourront prendre soin l'un(e) de l'autre pour jouir ensemble de leur re-naissance. Ils s'associent alors au-delà de leurs différences qui, loin de les dissocier, les réunissent dans l'unité qui les fonde : l'humain.

Outre la beauté plastique des corps cagoulés (masques bigarrés) en mouvement et mis à nu, "Muage" (beau titre-valise alliant la fluidité des nuages à celle d'une mue) dégage, au-delà de quelques séquences répétitives, un bel engagement humain offrant "sur un plateau" (celui de l'Atelier des Marches) une version chorégraphiée de l'anti-paradis originel. Adam et Ève n'en sont plus chassés par un Dieu phallocrate mais, au terme de leur folle épopée dansée, ils construisent leur propre aire de "je".

Le Printemps des Marches…

"Muage" © J.-P. Marcon.
"Muage" © J.-P. Marcon.
3e édition (reprogrammée à l'automne),
les 1er et 2 octobre à 20 h.

L'Atelier des Marches/Cie Les Marches de l'Été, Le Bouscat (33),
05 56 17 05 77.
>> marchesdelete.com

"Exode"
Compagnie Les Parcheminiers

Chorégraphie et interprétation : Thomas Queyrens.
Création musicale t performance live : Émilie Caumont.

"Muage"
Compagnie FluO/Nadia Larina

Pièce pour une danseuse et un danseur.
Idée originale, chorégraphie et danse : Nadia Larina.
Danse et collaboration artistique : Elie Nassar.
Musique originale et régie son : Bastien Fréjaville.



Yves Kafka
Mardi 6 Octobre 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024