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"Khojaly 613", une stèle musicale pour mémoire

Enregistrée en direct en septembre 2016 au Deux Mondes Festival de Mulhouse, la troisième version de l'opus 197 de Pierre Thilloy pour violon solo, clarinette et orchestre symphonique a été gravée dans un cd qui vient de paraître. D'une grande beauté, cette pièce crépusculaire traversée d'un souffle tragique entend jeter un linceul de notes sur les victimes civiles d'un massacre commis en 1992 et en commémorer la mémoire.



Conçue comme un triptyque dont les mouvements sont réunis par les principes de la citation, de la réminiscence et de l'anticipation, la troisième version de "Khojaly 613" (1), développée pour un orchestre symphonique, ouvre une faille temporelle tant dans sa conception qu'à l'écoute.

L'orchestre, le violon et la clarinette solos, trois entités évoquant les acteurs de la tragédie comme ses témoins ou l'auditeur moderne, luttent par contrastes marqués ou se rejoignent en de douloureux développements, qui suivent le déroulement du drame : s'y répondent la vue panoramique de l'événement et une méditation inquiète, envoûtante. De celle qu'appellent de tous temps les horreurs de la guerre. Une œuvre que Pierre Thilloy place sous les auspices de la paix, envers et contre toutes polémiques (2).

Du Largo funèbre du premier mouvement, avec l'entrée inquiète du violon hantée par le glas, les percussions menaçantes et les traits de l'orchestre plein de noirs pressentiments, au Largo doloroso de l’Épitaphe du troisième, noté "Quasi Hors-temps", l'œuvre déploie ses phrases lancinantes sourdant des profondeurs, ses pulsations angoissées comme ses variations contrapuntiques entre pupitres et solistes - des voix étouffées parfois jusqu'aux fortissimi cataclysmiques.

La voix fragile de la clarinette lutte contre les déferlements des cordes, tandis que le violon solo sombre et tourmenté peuple ce cauchemar de visions quasi fantastiques. Ce dernier semble brièvement s'échapper de cet étau dramatique dans sa partie solo (dans le Largo de la Cadenza) pour ré-exposer au final le motif initial - une formule mélodique qui reprend en notes l'anagramme du nom du village martyr "Khodaly".

À la fois marche militaire, plainte des civils fuyant sur fond de massacre et oraison funèbre, cette belle version (3) parfaitement restituée à l'enregistrement rend justice au grand talent de ses interprètes : Alain Toiron (clarinette solo de l'OSM), l'impressionnante Sabina Rakcheyeva (la violoniste créatrice en 2013 et dédicataire de l'œuvre) et l'Orchestre symphonique de Mulhouse à l'engagement total et inspiré sous la baguette de Fuad Ibrahimov, chef invité de la dernière édition du festival.

(1) 613, c'est le chiffre des victimes civiles d'un massacre commis à Khodaly, durant le conflit (1988-1994) entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, dans le Haut Karabagh. Zone qu'occupe illégalement l'Arménie depuis, malgré plusieurs résolutions de l'ONU.
(2) Des manifestations pro-arméniennes sont régulièrement organisées pour annuler ou gêner les concerts qui mettent cette œuvre à leur programme.
(3) "Khodaly 613" pour violon, clarinette (et parfois balaban) originalement écrite pour un orchestre de chambre, existe aussi dans une version avec quatuor à cordes.

● Pierre Thilloy (1970) "Khojaly 613".
Label : Xanadu.
Distribution : Hortus.
Durée : 30'10.
Sortie : février 2017.

Christine Ducq
Vendredi 10 Mars 2017

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