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Avignon 2024

•In 2024• "Une Ombre vorace" Ceci n'est pas une ascension de l'Annapurna, c'en est une vraie fausse représentation…

Une forme itinérante qui nous mène loin, très loin dans un espace-temps où fiction et réalité culminent jusqu'à se confondre. Tissant, entre elles, des liens si troublants que le registre de la vérité fantasmée et de la fabulation vécue procure le vertige propre aux hautes altitudes… Vertige du protagoniste, un montagnard qui, sur le point de raccrocher, part résolument à l'assaut des pas de son père disparu dans l'ascension de l'Annapurna trente ans auparavant… Vertige de sa doublure au cinéma, l'acteur qui, choisi pour jouer à l'écran son rôle, rêve éperdument de gloire. Les deux hommes réunis par le même rapport au père, aimé et rival.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Une histoire comme on en lit dans les romans populaires, totalement inventée et pourtant tellement vraie… Une histoire de montagne qui, comme elle avec la fonte vertigineuse des glaciers, délivrera les secrets de l'âme humaine en proie au dévorant désir de reconnaissance. Une histoire dans l'histoire, qui donnera un film, qui donnera une pièce de théâtre…

Un grand panneau mobile deviendra mur d'escalade, un antique projecteur 16 mmm fera décor, deux tapis roulants disposés en parallèle serviront de mobiles aux soliloques des deux comédiens jouant les deux personnages. La fantasmagorie des épopées parallèles (l'ascension de l'Annapurna, pour l'un, et le tournage du film sur cette ascension, pour l'autre) relevant de l'imaginaire du spectateur, personne réelle d'une fiction à construire.

Le décor étant planté, silence, on joue… Face à nous, courant sur leurs deux tapis roulants, "le montagnard" et "l'acteur" racontent en écho, avec seulement un léger décalage, le moment crucial de l'ascension… Le vent glacial qui cingle le visage… La sensation de devenir aveugle sous la tempête de neige, d'être un point minuscule suspendu au-dessus d'une immensité immaculée… Le dévissage de la paroi rocheuse balayée par un vent extrême et la chute vertigineuse qui s'ensuit… L'atterrissage miraculeux dans une grotte… Et là, l'incroyable découverte…

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
La narration brisant la linéarité de toute chronologie, on remontera aux origines du "projet Annapurna"… Une nuit d'insomnie… "L'ascension du Mont Ventoux" par Pétrarque, reçue en cadeau… le souvenir fulgurant de son père, alpiniste émérite, premier Français à avoir enchaîné autant de 8000 mètres… la voix de son père sur des cassettes retrouvées… sa voix à lui qui lui susurre de terminer l'ascension que son géniteur n'a pu conclure… l'espoir fou de devenir pour une fois meilleur que son idole disparue alors qu'il n'avait pas atteint l'adolescence.

En parallèle, l'acteur en proie à son vague à l'âme aggravé par la somnolence causée par la prise de médicaments… le coup de fil de son agent trouant sa morosité pour lui annoncer, contre toute attente, qu'il a été choisi pour jouer le rôle du montagnard parti à la conquête de l'Annapurna… Chacun dévide sa parole au rythme du tapis roulant, marque une pause pour commenter "de l'extérieur" son propre état d'esprit, ses propres attitudes. Récit conté bénéficiant ainsi d'un double miroir : le regard de soi sur soi et celui de l'autre sur soi.

Quant à l'ascension de l'Annapurna, elle sera rejouée "en direct" sur le plateau. Harnachés de baudriers et munis de cordes, les comédiens s'élancent au sommet du panneau central, rejouant pied à pied l'escalade de l'Annapurna. "L'acteur", censé tourner la scène dans les Andes argentines (moins cher pour la production), s'émerveille de la lumière bleue des projecteurs sur la neige, une lumière artificielle "créant du réel". Sur l'autre versant (du panneau), on suit la progression du "montagnard", animé d'un désir de vérité le conduisant à ne pas vouloir imiter son père, mais à l'être.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Mensonges et vérités, les deux versants du même… Suivra le bivouac à 6000 mètres, le manque d'oxygène, les maux de tête, la tempête de neige, le dévissage, suivi de la chute vertigineuse signant irrémédiablement les échecs (sportif et filial) du "montagnard", le fils n'ayant pas réussi à supplanter le père… Et c'est là qu'intervient la découverte miraculeuse de la grotte refuge, délivrant le fils – pouvant prendre soin du père – d'"une ombre vorace", réplique exacte de celle de l'ombre portée représentée par la Montagne anthropophage… Pendant ce temps, "l'auteur", censé rejouer la scène de la grotte dans un studio de Buenos Aires surchauffé, se débat avec le script tordant le récit du "montagnard" pour en proposer une version mélodramatique avec happy end à l'appui. Même avec un scénario débile, il se sent génial.

À l'occasion de cette expédition montagnarde dont l'objet affiché n'est rien moins que la conquête des sommets du monde, c'est du dévoilement de leur monde à chacun dont il va s'agir… Confrontés l'un et l'autre à la recherche de leur père respectif, les personnages sont amenés à se raconter des versions décalées. Si bien que les souvenirs de l'un chevauchant les souvenirs de l'autre, ils sont dans l'impossibilité de reconnaître quels sont les leurs… Ainsi naît une (belle) fable théâtrale sur les barrières (é)mouvantes entre réel et fiction, "réalisant" la vision des stoïciens de l'Antiquité pour lesquels la vie était une pièce de théâtre, et le monde, un spectacle.
◙ Yves Kafka

Vu le mardi 16 juillet 2024 au Théâtre Benoît XII d'Avignon.

"Une Ombre vorace"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Pièce commune Argentine - France.
Création Festival d'Avignon 2024.
Spectacle itinérant, en français.
Texte : Mariano Pensotti.
Mise en scène : Mariano Pensotti.
Assistants à la mise en scène : Juan Francisco Reato, Edward Fortes.
Avec : Cédric Eeckhout, Élios Noël.
Dramaturgie : Aljoscha Begrich.
Scénographie et costumes : Mariana Tirantte.
Musique et son : Diego Vainer.
Lumière : David Seldes.
Conseil artistique : Florencia Wasser (Grupo Marea).
Traduction : Christilla Vasserot.
Collaboration artistique : Laurent Berger.
Régie générale de l'itinérance : Émilie Larrue.
Régie générale de la production déléguée : Christophe Eustache.
Régie son : Sébastien Dorne.
Production Festival d'Avignon.
Durée : 1 h 30.

•Avignon In 2024•
Du 2 au 20 juillet 2024.
Représenté à 20 h, 13, 16 et 17 juillet à 19 h.
18 juillet à 20 h aux Arènes de Vallabrègues (30)), 19 juillet à 20 h au Festival de Villeneuve en Scène à Villeneuve-lès-Avignon (30), 20 juillet à 20 h dans la cour du Château de Saze (30).
Itinérance, un lieu différent chaque soir*, Avignon et autres villes.
Réservations : 04 90 14 14 14, tous les jours de 10 h à 19 h.
>> festival-avignon.com

* Salle de la Barbière, Centre social Espace Pluriel, Avignon ; Cour du Château, Aramon ; Salle des fêtes Roger Orlando, Caumont-sur-Durance ; Salle des fêtes La Pastourelle, Saint-Saturnin-lès-Avignon ; Salle Polyvalente, Pujaut ; Site archéologique de Glanum, Saint-Rémy-de-Provence ; Salle Blanchard, Les Angles ; Espace Baron de Chabert, Barbentane ; Complexe sportif Jean Galia, Rochefort-du-Gard ; Arènes Robert Garlando, Roquemaure ; CCAS, Festival Contre-Courant, Complexe de loisirs de la CMCAS, Avignon (en entrée libre) ; Cour du Château, Vacqueyras ; Théâtre Benoît-XII, Avignon.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Tournée
Du 14 au 17 août 2024 : Festival international de théâtre de rue, Aurillac (15).
11 et 12 octobre 2024 : Théâtre de l'Archevêché (coprogrammé par le Théâtre du Bois de l'Aune), Aix-en-Provence (13).
Du 19 au 21 novembre 2024 : Théâtre la Vignette - Scène conventionnée, Université Paul Valéry 3, Montpellier (34).
Du 8 au 12 avril 2025 : Théâtre Dijon Bourgogne - CDN, Dijon (21).
Du 20 au 24 mai 2025 : Théâtre Silvia Monfort, Paris.
Juin 2025 : TDG - Scène conventionnée pour la danse et le cirque, Grasse (06).
Automne 2025 : Seuls en Scène, Princeton French Theater Festival 2025, Princeton (États-Unis).
Automne 2025 : Théâtre du Champ au Roy, Guingamp (22).

Yves Kafka
Jeudi 18 Juillet 2024

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À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024