Changement de point de vue… Ce ne sont plus les spectateurs qui sont venus au théâtre pour regarder des acteurs endosser sur scène des rôles, ce sont de "vrais gens" (ayant confié leur rôle à des comédiens) qui prennent pour un soir possession d'un plateau de théâtre pour se raconter pour de vrai. En les découvrant, on en oublierait que le théâtre n'est qu'illusions, comme la vie quoi… C'est "leur première fois". En effet, avant ce soir, ils n'avaient jamais franchi la porte d'un théâtre (comme huit personnes sur dix…), vous dire l'excitation qu'est la leur…
Elle et son fidèle Robert ont toujours vécu entre les murs de leur quartier et leur maison a toujours affiché "portes ouvertes" tant ils ont le goût des autres, des autres comme eux, sans chichi, vrais jusqu'à l'os. Et pour être vrais, ils le sont, Robert et elle. Bruts de décoffrage pourrait-on avancer si l'expression n'était pas affublée d'une connotation méprisante. Lui, avec son air de s'excuser d'être là et son langage réduit à "oui" ou "non" (aux antipodes de "Pour un oui ou pour un non" de la papesse du nouveau roman, Nathalie Sarraute), elle, avec sa mise en plis toute fraîche et son phrasé collant au plus près à la réalité de son vécu…
Elle et son fidèle Robert ont toujours vécu entre les murs de leur quartier et leur maison a toujours affiché "portes ouvertes" tant ils ont le goût des autres, des autres comme eux, sans chichi, vrais jusqu'à l'os. Et pour être vrais, ils le sont, Robert et elle. Bruts de décoffrage pourrait-on avancer si l'expression n'était pas affublée d'une connotation méprisante. Lui, avec son air de s'excuser d'être là et son langage réduit à "oui" ou "non" (aux antipodes de "Pour un oui ou pour un non" de la papesse du nouveau roman, Nathalie Sarraute), elle, avec sa mise en plis toute fraîche et son phrasé collant au plus près à la réalité de son vécu…
Mais que l'on ne s'y trompe pas, il n'y a là aucun regard condescendant sur les petites gens. Tout au contraire, en projetant sur scène ces "vies minuscules", ces exclus ordinaires des lieux culturels, François Cervantes renverse la vapeur en leur donnant pleinement droit de cité ; le zeste de caricature ne faisant que grossir avec humour le trait sans le déformer nullement.
Les réflexions (faussement) naïves sur les spectateurs venus les rencontrer, sur la confiance demandant du temps pour s'installer, sur "la nappe, la bouteille, un vrai dîner", sur eux, cousins éloignés du directeur les ayant invités au théâtre ce soir, sur le quartier qui débarque chez eux à l'heure du repas, en fleurant bon "la première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" nous introduisent dans leur univers, nous décentrant avec bonheur du nôtre.
Le traitement clownesque des situations (comme, lorsque venant de faire chabrot, elle verse le restant du vin mélangé au bouillon directement dans son sac à main transformé pour la circonstance en doggy bag ; ou encore les glissades acrobatiques du serveur-régisseur venant verser le vin directement sur la nappe) renvoie au traitement du quotidien dans les films de Charlie Chaplin : prêter à rire pour mieux donner à penser.
Ainsi des séquences de fantaisie pure à haute intensité "dramatique" où le régisseur confie avoir passé sa petite enfance dans une loge du théâtre, ou encore d'une histoire – comme on en rencontre au théâtre ou dans son double, l'existence – de petite fille noyée revenant tel un fantôme réifié (visible réellement sur scène) chercher le garçon qui lui a tenu la main et renvoyant en miroir le souvenir d'une sœur noyée de la grand-mère ou de leur propre fille sauvée des eaux in extrémis… "C'est ça le théâtre, le vin est bon et les émotions fortes"…
L'occasion encore et toujours de réfléchir, comme seul un miroir en a le pouvoir, le miracle du théâtre en train de se faire, en toute simplicité, devant nos yeux… au travers des leurs, médusés. Lui : "Toujours les mêmes phrases, les mêmes toujours ?", le régisseur : "Demain soir, revenez demain, et on le refait pareil…". Et lorsqu'elle et Robert devront se résoudre à quitter l'avant-scène où, pour la durée d'une représentation, ils ont été promus au rang d'acteurs de leur existence, elle demandera à disparaître de notre vue accompagnée d'une musique de Schubert… Ils le valaient bien ces gens "extra-ordinaires", laissant le régisseur seul avec le fantôme du théâtre, et nous, avec nos propres projections.
Les réflexions (faussement) naïves sur les spectateurs venus les rencontrer, sur la confiance demandant du temps pour s'installer, sur "la nappe, la bouteille, un vrai dîner", sur eux, cousins éloignés du directeur les ayant invités au théâtre ce soir, sur le quartier qui débarque chez eux à l'heure du repas, en fleurant bon "la première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" nous introduisent dans leur univers, nous décentrant avec bonheur du nôtre.
Le traitement clownesque des situations (comme, lorsque venant de faire chabrot, elle verse le restant du vin mélangé au bouillon directement dans son sac à main transformé pour la circonstance en doggy bag ; ou encore les glissades acrobatiques du serveur-régisseur venant verser le vin directement sur la nappe) renvoie au traitement du quotidien dans les films de Charlie Chaplin : prêter à rire pour mieux donner à penser.
Ainsi des séquences de fantaisie pure à haute intensité "dramatique" où le régisseur confie avoir passé sa petite enfance dans une loge du théâtre, ou encore d'une histoire – comme on en rencontre au théâtre ou dans son double, l'existence – de petite fille noyée revenant tel un fantôme réifié (visible réellement sur scène) chercher le garçon qui lui a tenu la main et renvoyant en miroir le souvenir d'une sœur noyée de la grand-mère ou de leur propre fille sauvée des eaux in extrémis… "C'est ça le théâtre, le vin est bon et les émotions fortes"…
L'occasion encore et toujours de réfléchir, comme seul un miroir en a le pouvoir, le miracle du théâtre en train de se faire, en toute simplicité, devant nos yeux… au travers des leurs, médusés. Lui : "Toujours les mêmes phrases, les mêmes toujours ?", le régisseur : "Demain soir, revenez demain, et on le refait pareil…". Et lorsqu'elle et Robert devront se résoudre à quitter l'avant-scène où, pour la durée d'une représentation, ils ont été promus au rang d'acteurs de leur existence, elle demandera à disparaître de notre vue accompagnée d'une musique de Schubert… Ils le valaient bien ces gens "extra-ordinaires", laissant le régisseur seul avec le fantôme du théâtre, et nous, avec nos propres projections.
François Cervantes, en amoureux fou d'un théâtre populaire haut de gamme (ceci n'est pas un oxymore), redonne leur légitimité pleine et entière à ceux qui s'en sentent exclus de par leur habitus, tel qu'a pu le définir le sociologue Pierre Bourdieu. Ces adeptes de la vie toute nue, parée d'aucun fard et sans filtre, ces invisibles que l'on ne voit jamais dans un théâtre, ni dans la salle, ni sur le plateau, sauf dans des comédies de seconde zone où ils deviennent sujets de dérision destinés à faire s'esclaffer la galerie d'un entre-soi sûr de détenir les clefs du bon goût, viennent tels qu'ils sont à notre rencontre (et pas l'inverse…) pour nous montrer en toute simplicité ce que théâtre veut dire…
Un délicieux repas partagé en compagnie de convives ô combien vivants, incarnés par une troupe soudée autour du maître de cérémonie célébrant en toute simplicité le théâtre, sensible et intelligent. Une captivante "re-présentation" de nature à dessiller les yeux de ceux pour qui "le théâtre pour tous" reste encore à l'état de pur slogan.
◙ Yves Kafka
Vu le vendredi 5 juillet 2024, au Théâtre des Halles d'Avignon.
Un délicieux repas partagé en compagnie de convives ô combien vivants, incarnés par une troupe soudée autour du maître de cérémonie célébrant en toute simplicité le théâtre, sensible et intelligent. Une captivante "re-présentation" de nature à dessiller les yeux de ceux pour qui "le théâtre pour tous" reste encore à l'état de pur slogan.
◙ Yves Kafka
Vu le vendredi 5 juillet 2024, au Théâtre des Halles d'Avignon.
"Le repas des gens"
Créé le 16 janvier 2024 à la Criée, Théâtre National de Marseille.
Texte et mise en scène : François Cervantes.
Avec : Julien Cottereau, Catherine Germain, Fanny Giraud, Lisa Kramarz, Stephan Pastor.
Régie générale et création son : Xavier Brousse.
Création lumière : Christian Pinaud.
Régie lumière : Nicolas Fernandez.
Costumes et accessoires : Virginie Breger.
Assistant à la création lumière : Tamara Badreddine.
Compagnie "L'entreprise".
Tout public à partir de 12 ans.
Durée : 1 h 30.
•Avignon Off 2024•
A été représenté du 4 au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 18 h 45. Relâche le mercredi.
Théâtre des Halles, Salle du Chapitre, rue du Roi René, Avignon.
Téléphone : 04 32 76 24 51.
>> theatredeshalles.com
Tournée
15 octobre 2024 : Centre Arc-en-Ciel (pour Culture Commune), Liévin (62).
21 janvier 2025 : Théâtre Le Gallia, Saintes (17).
24 janvier 2025 : Théâtre des Quatre Saisons, Gradignan (33).
29 janvier 2024 : Théâtre Victor Hugo, Bagneux (92).
Texte et mise en scène : François Cervantes.
Avec : Julien Cottereau, Catherine Germain, Fanny Giraud, Lisa Kramarz, Stephan Pastor.
Régie générale et création son : Xavier Brousse.
Création lumière : Christian Pinaud.
Régie lumière : Nicolas Fernandez.
Costumes et accessoires : Virginie Breger.
Assistant à la création lumière : Tamara Badreddine.
Compagnie "L'entreprise".
Tout public à partir de 12 ans.
Durée : 1 h 30.
•Avignon Off 2024•
A été représenté du 4 au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 18 h 45. Relâche le mercredi.
Théâtre des Halles, Salle du Chapitre, rue du Roi René, Avignon.
Téléphone : 04 32 76 24 51.
>> theatredeshalles.com
Tournée
15 octobre 2024 : Centre Arc-en-Ciel (pour Culture Commune), Liévin (62).
21 janvier 2025 : Théâtre Le Gallia, Saintes (17).
24 janvier 2025 : Théâtre des Quatre Saisons, Gradignan (33).
29 janvier 2024 : Théâtre Victor Hugo, Bagneux (92).