Telle est la question… posée en filigrane par la proposition poétique et théâtrale d'Inês Barahona et Miguel Barahona, deux utopistes engagés dans les arts "vivants"… Dans la cour au pouvoir magnétique du Cloître des Célestins sur laquelle veillent deux platanes séculaires, des racines géantes ont pris possession des lieux, enserrant de leurs excroissances vigoureuses un piano branlant et quelques sièges survivant au Théâtre national de Sao Joao de Porto. Un paysage de fin du monde, un peu comme celui entourant la centrale nucléaire de Tchernobyl quand les zones irradiées se sont mises à produire une nature et une faune monstrueuses.
Sous des lumières savamment (dé)composées, les six personnages (quatre acteurs et deux musiciens), en quête d'une humanité qui se dérobe sous leurs pas, vont seuls ou en chœur (beaux tableaux d'eux groupés, leurs chants incantatoires s'élevant dans la nuit avignonnaise) raconter le monde d'avant, ce monde perdu d'où ils viennent… Une ville, Era, au nom prophétique, où un fleuve obstiné n'avait de cesse de vouloir échapper à la loi des hommes, construisant des digues pour le dompter, en pure perte. Et puis cette odeur pestilentielle de cadavres charriés, de mort régnante. Seul un boa constricteur survécut à la catastrophe annoncée, il avala l'enfant, un être hybride entre l'homme et le boa en naquit…
Sous des lumières savamment (dé)composées, les six personnages (quatre acteurs et deux musiciens), en quête d'une humanité qui se dérobe sous leurs pas, vont seuls ou en chœur (beaux tableaux d'eux groupés, leurs chants incantatoires s'élevant dans la nuit avignonnaise) raconter le monde d'avant, ce monde perdu d'où ils viennent… Une ville, Era, au nom prophétique, où un fleuve obstiné n'avait de cesse de vouloir échapper à la loi des hommes, construisant des digues pour le dompter, en pure perte. Et puis cette odeur pestilentielle de cadavres charriés, de mort régnante. Seul un boa constricteur survécut à la catastrophe annoncée, il avala l'enfant, un être hybride entre l'homme et le boa en naquit…
Une histoire étrange, métaphorique, une sorte de mythe à multiples entrées cristallisant le rêve éveillé dont les peuples sont friands pour se raconter des histoires, sur eux et leur existence. Sinon, comment expliquer le succès du plus grand récit qui soit, la Bible, forte de deux versions qui s'enchainent ?
Trouver une échappatoire au désastre, une porte de sortie vers un ailleurs plus aimable… Naufragés de l'arche perdue, vagabonds terriens, ils atterrissent dans ce lieu de la représentation, où, devant nous, ils vont explorer dans un voyage immobile les issues de secours, le monde des possibles… Étrange communauté que la leur…
Un homme-valise transportant sa maison avec lui et les valeurs mercantiles qui s'y sont précieusement déposées. Une femme éperdument nostalgique de la vie d'avant, celle où le temps passait dans une répétition cyclique aussi immuable que la succession des saisons, un monde mettant à l'abri de tout stress aventureux. Une femme sans racine, affichant elle fièrement son indépendance, son regard critique sur les agissements de l'homme-valise. Et ce miraculé ayant traversé les immenses champs de bataille, les animaux guerriers, les plantes géantes aux odeurs fétides, les grizzlis terrifiants, les écureuils tueurs, bref la guerre généralisée, et ayant pu échapper au général qui faisait la chasse aux étrangers, leur cousant la bouche pour les réduire au silence.
Seul l'instinct animal déposé en l'homme depuis les temps farouches pourra le sauver d'un présent sans avenir. Inventer le futur pour donner un sens au présent dystopique… En chœur, leurs voix chantées s'élèvent comme des incantations douces : "Nous sommes de la graine des révoltés. Tout faire sauter pour inventer notre futur". Ouvrir les portes donnant sur les trous du temps… L'homme-valise, en marchand d'illusions, dira avoir vu un monde paradisiaque, sans souffrances, sans heurts, sans pauvreté. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, calme et volupté. Le climat est contrôlé à distance par d'énormes centrales, et tout est vert… La femme sans racines confiera, elle, avoir reconnu la voix de sa grand-mère, nichée dans les fruits, les légumes. La terre ne nourrira personne avant que l'on la nourrisse… Des enfants rencontrés rapporteront les autoroutes désertes, les terres calcinées, le silence de mort recouvrant les étendues vides de toute vie, si c'est ça l'avenir…
Alors quelle issue pour cette communauté composite retranchée ici face à nous ? Faisant corps les uns avec les autres, dans une nouvelle cohésion porteuse d'espoir, ils… Mais ceci est une autre histoire, une autre histoire à raconter, car, si le théâtre ne peut pas sauver le monde, "se raconter des histoires" c'est débrider l'imaginaire, le laisser libre d'inventer d'autres voies conduisant sur d'autres rives. Une fable, l'une encore dira-t-on, riche en métaphores nichées dans ses plis. Une histoire permettant de reculer les limites du réel pour inventer – comme on invente un trésor – un "à-venir" enviable.
◙ Yves Kafka
Vu le dimanche 21 juillet 2024 au Cloître Saint-Louis à Avignon.
Trouver une échappatoire au désastre, une porte de sortie vers un ailleurs plus aimable… Naufragés de l'arche perdue, vagabonds terriens, ils atterrissent dans ce lieu de la représentation, où, devant nous, ils vont explorer dans un voyage immobile les issues de secours, le monde des possibles… Étrange communauté que la leur…
Un homme-valise transportant sa maison avec lui et les valeurs mercantiles qui s'y sont précieusement déposées. Une femme éperdument nostalgique de la vie d'avant, celle où le temps passait dans une répétition cyclique aussi immuable que la succession des saisons, un monde mettant à l'abri de tout stress aventureux. Une femme sans racine, affichant elle fièrement son indépendance, son regard critique sur les agissements de l'homme-valise. Et ce miraculé ayant traversé les immenses champs de bataille, les animaux guerriers, les plantes géantes aux odeurs fétides, les grizzlis terrifiants, les écureuils tueurs, bref la guerre généralisée, et ayant pu échapper au général qui faisait la chasse aux étrangers, leur cousant la bouche pour les réduire au silence.
Seul l'instinct animal déposé en l'homme depuis les temps farouches pourra le sauver d'un présent sans avenir. Inventer le futur pour donner un sens au présent dystopique… En chœur, leurs voix chantées s'élèvent comme des incantations douces : "Nous sommes de la graine des révoltés. Tout faire sauter pour inventer notre futur". Ouvrir les portes donnant sur les trous du temps… L'homme-valise, en marchand d'illusions, dira avoir vu un monde paradisiaque, sans souffrances, sans heurts, sans pauvreté. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, calme et volupté. Le climat est contrôlé à distance par d'énormes centrales, et tout est vert… La femme sans racines confiera, elle, avoir reconnu la voix de sa grand-mère, nichée dans les fruits, les légumes. La terre ne nourrira personne avant que l'on la nourrisse… Des enfants rencontrés rapporteront les autoroutes désertes, les terres calcinées, le silence de mort recouvrant les étendues vides de toute vie, si c'est ça l'avenir…
Alors quelle issue pour cette communauté composite retranchée ici face à nous ? Faisant corps les uns avec les autres, dans une nouvelle cohésion porteuse d'espoir, ils… Mais ceci est une autre histoire, une autre histoire à raconter, car, si le théâtre ne peut pas sauver le monde, "se raconter des histoires" c'est débrider l'imaginaire, le laisser libre d'inventer d'autres voies conduisant sur d'autres rives. Une fable, l'une encore dira-t-on, riche en métaphores nichées dans ses plis. Une histoire permettant de reculer les limites du réel pour inventer – comme on invente un trésor – un "à-venir" enviable.
◙ Yves Kafka
Vu le dimanche 21 juillet 2024 au Cloître Saint-Louis à Avignon.
"Terminal (L'État du Monde)"
Portugal - Création 2024
Spectacle en Portugais surtitré en français et anglais.
Mise en scène : Miguel Fragata.
Assistante à la mise en scène : Beatriz Brito.
Avec : Anabela Almeida, Vasco Barroso, Miguel Fragata, Carla Galvão et Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves (musiciens).
Scénographie : Eric da Costa.
Musique : Hélder Gonçalves.
Lumière : Rui Monteiro.
Costumes : José António Tenente.
Aide au mouvement : Victor Hugo Pontes.
Construction des décors : Eric da Costa, Paula Hespanha, João Salgado, José Pedro Sousa.
Régie générale : Nuno Figueira, Luís Ribeiro.
Régie son : Nelson Carvalho, Tiago Correia.
Traduction pour le surtitrage : Madalena Caramona (anglais), Thomas Resendes (français).
Durée : 1 h 30.
•Avignon In 2024•
A été joué du 15 au 21 juillet 2024.
Représenté à 22 h.
Cloître Saint-Louis, Avignon.
>> festival-avignon.com
Tournée
5 octobre 2024 : Milhas, Fábrica Ideias (avec le Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne), Ílhavo (Portugal).
Du 24 au 27 octobre 2024 : Teatro Nacional São João, Porto (Portugal).
15 novembre 2024 : Acert, Tondela (Portugal).
Du 20 au 23 novembre 2024 : Théâtre du Point du Jour, Lyon 5e.
Spectacle en Portugais surtitré en français et anglais.
Mise en scène : Miguel Fragata.
Assistante à la mise en scène : Beatriz Brito.
Avec : Anabela Almeida, Vasco Barroso, Miguel Fragata, Carla Galvão et Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves (musiciens).
Scénographie : Eric da Costa.
Musique : Hélder Gonçalves.
Lumière : Rui Monteiro.
Costumes : José António Tenente.
Aide au mouvement : Victor Hugo Pontes.
Construction des décors : Eric da Costa, Paula Hespanha, João Salgado, José Pedro Sousa.
Régie générale : Nuno Figueira, Luís Ribeiro.
Régie son : Nelson Carvalho, Tiago Correia.
Traduction pour le surtitrage : Madalena Caramona (anglais), Thomas Resendes (français).
Durée : 1 h 30.
•Avignon In 2024•
A été joué du 15 au 21 juillet 2024.
Représenté à 22 h.
Cloître Saint-Louis, Avignon.
>> festival-avignon.com
Tournée
5 octobre 2024 : Milhas, Fábrica Ideias (avec le Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne), Ílhavo (Portugal).
Du 24 au 27 octobre 2024 : Teatro Nacional São João, Porto (Portugal).
15 novembre 2024 : Acert, Tondela (Portugal).
Du 20 au 23 novembre 2024 : Théâtre du Point du Jour, Lyon 5e.
© Christophe Raynaud de Lage.