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Avignon 2024

•Off 2024• "La Petite Histoire d'une homme trop grand" Un seul en scène d'une beauté cruelle où surgit la vulnérabilité de l'homme

Philibure rentre enfin chez lui. Ou plutôt, dans ce qu'il en reste. Ce "chez lui", à vrai dire, c'est chez sa maman. Mais où est-elle d'ailleurs, sa maman ? Il a quelque chose d'important à lui dire… Il porte une petite valisette en bois, son cœur grince et son casque lui serre trop la tête. Mais Philibure a une légère tendance à la maladresse et à s'emporter. C'est tellement difficile pour un géant de s'adapter aux petites gens.



© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
La Poésie existe encore, n'en doutez pas, et elle n'est pas loin de notre monde ! En tout cas, elle est à Avignon cet été, au Théâtre de l'Albatros. Pour le vérifier, il suffit d'aller découvrir la magnifique pièce écrite et interprétée par Charly Lanthiez, "La Petite Histoire d'un homme trop grand", pièce dont l'idée lui a été inspirée lors d'un voyage en Croatie, alors qu'il voyageait à vélo avec sa compagne durant l'hiver 2016.

"L'image est arrivée comme ça, en plein effort sur nos bicyclettes, au milieu d'un village en ruines, rempli d'impacts de balles, marqué par la peur dans le regard des habitants, suite à la guerre de l'ex-Yougoslavie (…). J'ai tout de suite su que le projet qui naissait là, ce serait un projet important, qui serait central dans ma vie d'artiste. Ça m'a pris du temps, la montagne a été longue à franchir, mais j'y suis parvenu. Je suis resté un moment comme dans une grotte, très solitaire, et mes expériences dans un cirque à roulotte en Slovénie, ou encore un cirque à mobylette au Vietnam, m'ont beaucoup aidé à concevoir ce projet".

L'acte créatif de "La Petite Histoite d'un homme trop grand", ça serait donc cela : vivre des expériences, entouré par les autres, plein d'autres à nos côtés, parcourir les routes à coups de pédales silencieuses ou de moteurs pétaradants, et penser aux souvenirs, les re-penser, encore et encore, pour poser une à une, les unes après les autres, les idées qui jaillissent ça et là ? En tout cas, si cela se révèle juste, pédalons, pédalons sur les routes d'ici ou d'ailleurs. Laissons le temps au temps d'agir à sa juste mesure, peut-être solo, solo à un moment donné pour que les choses germent un jour et mûrissent ! Mais il faut être comédien pour cela… Et posséder un supplément d'âme.

C'est en tout cas ce processus qui a opéré pour le comédien, chercheur, metteur en scène et pédagogue, Charly Lanthiez, passionné par l'art du clown depuis sa plus tendre enfance. Mais la tendre enfance a fait place à l'homme mature et sa recherche clownesque s'est vite centrée sur l'exploration du drame humain. Le petit homme est devenu grand, il a vu naître un petit homme bien à lui, et il fait désormais du Théâtre. Pour notre plus grand bonheur.

© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
Assister à "La Petite Histoire d'un homme trop grand", c'est s'autoriser des dizaines d'interprétations possibles, tant la dramaturgie de la pièce nous submerge à plusieurs niveaux. Une lumière bleuâtre, au début, surgit lentement et scrute le spectateur, comme pour le sonder, peut-être.

Où est le Théâtre, finalement, dans la salle ou dans ce qui, quelques minutes plus tard, sera le plateau avec le comédien, son jeu, une histoire ? Ou les deux ?

De "pièce", il en est question, d'ailleurs. Une pièce vieillotte aux papiers peints d'antan, une simple porte en bois et un poêle à charbon. Et une mère. Là, pas là ! Voilà pour le décor. Une petite fenêtre, aussi, à l'opposé de la grande porte par laquelle Philibure essaiera de passer à un moment du spectacle, alerté par des coups de feu et les aboiements d'un chien. "Je m'est encore emballé et je m'est coincé !".

Le reste, le tout, c'est un clown immédiatement attachant qui semble directement sorti du tréfonds d'une mine, la peau noircie, les vêtements en lambeaux et des clochettes retentissantes à chacun de ses gestes.

Mais quelle est son histoire, à Philibure ? Autant d'interprétations, probablement, que de spectateurs dans la salle. Par moments, il s'adresse à certains d'entre eux, comme pour faire siennes leurs histoires communes, les inviter à partager l'acte créatif, ample et inspiré comme les ailes d'un albatros en plein vol.

La poésie n'est pas seulement un art littéraire. C'est surtout un regard sur la vie. Et ce regard sur la vie de Charly-Philibure nous envahit d'émotions palpables dès les premiers instants du spectacle, lequel est magnifié par des lumières restreintes et sombres et, surtout, un texte éminemment poétique à l'orée du génie des Oulipiens et de leur amour du langage.

Philibure est fragile. L'Homme est fragile. La planète l'est aussi, et encore plus que d'habitude. La guerre fait rage, les impacts des balles sont visibles un peu partout sur les murs, mais il faut continuer à garder la tête haute, de préférence sans œillères ni boules Quies, juste parce que ce n'est pas envisageable.

Dans ce seul en scène d'une beauté cruelle, Charly Lanthiez, aux allures d'un Groucho Marx, d'un Charlie Chaplin ou de certains médiatiques "Papotins" tellement attachants derrière leur spectre autistique, nous apparaît tellement vulnérable, comme chacun et chacune d'entre nous, à n'en point douter.

"Je trempais le pain dans le lait avec maman. Parfois, je faisais le contraire".
Son humour grinçant touche le public au plus profond de son âme.
"Y faut qu'tu bouche-cousue", dit-il à un moment à un spectateur. Gardez le secret, cher spectateur, mais pas vous, Charly ! Surtout pas vous ! Continuez à faire le clown avec votre compagnie, continuez à vous interroger sur le fait qu'il faille tremper la soupe au lait dans le pain ou l'inverse !

Pour notre plus grand bonheur, même fragile…
"Plus les rênes se resserrent, plus la violence grandit, plus il faut célébrer la Vie."

"La Petite Histoire d'une homme trop grand"

Solo de clown contemporain.
Écriture et interprétation : Charly Lanthiez.
Regard extérieur : Joris Cartré.
Scénographie : J.-L. Dalloz.
Costumes : Linda Belkebir.
Bande son : Julien Boé.
Par la Compagnie du U, ex-Compagnie d'un Tout Seul (Le Clown vers l'humain).
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2024•
Du 3 au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 18 h 45. Relâche le mardi.
Théâtre de l'Albatros, Salle Côté Jardin, 29, Rue des Teinturiers, Avignon.
Réservations : 04 90 86 11 33.
>> compagnieduu.com

Brigitte Corrigou
Mardi 25 Juin 2024

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
26/03/2024