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Avignon 2024

•In 2024• "Història d'un senglar (o alguna cosa de Ricard)" La vraie fausse histoire d'un acteur… qui se prenait pour Richard III… qui se prenait lui pour un roi

"Un roi qui se prend pour un roi est un fou". Ainsi le psychanalyste Jacques Lacan, connu pour ses saillies verbales – "ça" travaillait beaucoup dans sa tête – cristallise-t-il sa représentation de la folie. Sans lui faire aucunement concurrence, on serait tenté de dire que ce qui arrive à cet acteur (pas celui qui joue… mais celui qui est joué par lui) qui, ayant végété toute sa vie dans des rôles secondaires, se projette soudain sur l'avant-scène du Théâtre Benoît XII dans le rôle de Richard III, participe en plein de ce (doux) désordre de la pensée… Et ce pour notre bonheur de spectateur sain (?) puisque, nous identifiant alors à l'acteur, etc.



© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Seul en scène (mais pas dans sa tête), l'acteur catalan Joan Carreras excelle dans ce rôle taillé à sa (dé)mesure. À tel point que, plus le spectacle progresse, plus lui semble régresser de quelques siècles pour se confondre avec le personnage shakespearien. Comme si pour réussir (enfin !) à endosser correctement un rôle, il avait fallu qu'il se découvre des correspondances électives avec ce personnage, relations si fortes qu'il en a perdu les esprits.

Sa présence sur la scène avant que tout ne commence, le découvre en costume de ville, jouant l'histrion, buvant un thé dans une pause étudiée, battant la mesure négligemment ou encore exerçant les muscles de la bouche afin de délivrer son monologue. Et, soudain, surgissant de lui-même, il se lance dans une déclamation pleine de colère commençant par : "Moi Richard d'York, quelque chose sent le pourri…". Puis, stoppant net sa tirade, reprenant son statut d'acteur, statut acté par une adresse directe au public, il lance : "Voici les paroles, elles sont là… Il reste à les manger !". Submergé par l'excitation qui l'envahit, il part dans une logorrhée vindicative charriant ses failles. Lui, le pas beau, le déshérité sur lequel aucun regard admiratif ne s'est jamais posé, se sent soudain devenir celui que tout le monde va bader tant son interprétation de Richard III sera d'une ressemblance confondante…

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Dans sa rage de clown grotesque, il se déboite l'épaule. Se saisit des cordes de la Tour de Londres et se blesse à nouveau. N'importe, l'essentiel n'est-il pas d'être Richard III, d'épouser ses fureurs pour, au travers du personnage, dire des choses encore plus profondes sur l'existence. Et si Richard III est plus que Richard III, il peut donc être lui… Pour ce faire, il lit une note aide-mémoire qu'il a glissée dans sa poche : "Jouer avec l'idée du sanglier". Ainsi l'image de l'animal brutal intégrée, ingérée, il ne jouera pas… mais sera le roi tyran.

Se mettant à résumer à la vitesse d'une mitraillette enrayée la pièce de Shakespeare, il s'arrête sur "la dispute familiale" initiale mettant en jeu la reine Marguerite, veuve d'Henry VI, revenue à la Cour dont elle est bannie, son époux et son fils étant eux occis par le tyran. La représentant sous la forme d'une perruque-serpillière, il cite ses propos hourdés d'imprécations virulentes contre Richard III, la trouvant cette tirade haineuse… d'une facture merveilleuse… et en profite au passage pour reprendre vertement un spectateur qui semblait douter de la beauté exquise de l'iambe shakespearien… La présentation de la famille royale étant faite, il lui reste à passer à la présentation de sa propre lignée – moins prestigieuse, certes ! – mais non moins valeureuse… Un château familial sera bâti, auquel il donnera tout naturellement le nom de Joan III…

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Se prenant au jeu, l'acteur met en scène ses propres "désirs de réparation" en accueillant en lui le tyran, le personnage ignoblement fort qu'il aspire à être. Outre l'absence de sens moral, le cynisme, l'insolence (il s'en prend aux spectateurs !), il va partager son ambition démesurée, personne et personnage ne feront désormais plus qu'un.

Le problème qu'il rencontrera dans la voie de son ascension irrésistible n'est pas l'adhésion – on l'aura compris – à son personnage… Le problème, c'est la réalité qui lui résiste, celle des subventions qui font défaut, celle de la troupe pas au niveau et celle de ce metteur en scène qui n'a rien compris à Shakespeare… Sortant de ses gonds, il détruira le décor et renverra paître, dans une crise démentielle digne de Richard III, scénographe et metteur en scène. Lui, seul, à l'instar de son double théâtral, sait, a le pouvoir de savoir, ce que théâtre veut dire… Il recherchera alors désespérément dans la salle quelqu'un qui pourrait venir à son secours, un spectateur, un seul, qui le comprenne dans son combat contre l'ignorance généralisée, contre la méconnaissance crasse du théâtre, de son théâtre.

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Son dernier combat, un acteur (lui !) pour un spectateur intelligent… "Mon royaume pour un spectateur intelligent !", telle sera en effet, avant que le noir du théâtre ne l'ensevelisse, la dernière parole de celui qui épousera jusqu'à en mourir (de rire) le destin de son illustre personnage… lequel, se sentant perdu, s'était écrié sur le champ de bataille : "Un cheval pour mon royaume !"… Ainsi en va-t-il de l'acteur et de son double, s'épaulant mutuellement pour délivrer, tambour battant et humour en étendard, une fable enjouée sur le théâtre dans le théâtre.
◙ Yves Kafka

Vu le samedi 20 juillet 2024 au Théâtre Benoît XII à Avignon.

"Història d'un senglar (o alguna cosa de Ricard)"

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Uruguay - Espagne (Catalogne).
Spectacle en catalan surtitré en français et anglais.
D'après "Richard III" de William Shakespeare.
Texte : Gabriel Calderón.
Mise en scène : Gabriel Calderón.
Assistante à la mise en scène : Olivia Basora.
Traduction : Joan Sellent.
Avec : Joan Carreras.
Traduction pour le surtitrage : Laurent Gallardo (français), Ailish Holly, Eulàlia Morros (anglais).
Scénographie : Laura Clos "Closca".
Lumière : Ganecha Gil.
Costumes : Sergi Corbera.
Conception personnage et assistant costumes : Núria Llunell.
Régie général : Roser Puigdevall.
Régie son : Ramón Ciércoles.
Durée : 1 h 10.

•Avignon In 2024•
A été joué du 12 au 21 juillet 2024.
Représenté à 19 h.
Théâtre Benoît XII, Avignon.
>> festival-avignon.com

Yves Kafka
Mardi 23 Juillet 2024

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Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

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Gil Chauveau
26/03/2024