La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2024

•Off 2024• "Mephisto Valse" Quand des forces obscures s'immiscent dans l'écriture et en ternissent les intentions

Anna, la trentaine dynamique, metteuse en scène, est en couple avec Alex, la cinquantaine, dramaturge et écrivain en petite forme. Ce dernier souhaite lui dévoiler le tout début de sa prochaine pièce : un récit en alexandrins dans lequel il fait parler la Mort, prénommée Deathy.



© Arthaly Cie.
© Arthaly Cie.
Durant la lecture, Anna essaie de comprendre le sens de ce début, entre étonnement et amusement, lorsqu'un individu, se prétendant le Diable, s'invite brusquement, irrité par le contenu du propos. À vrai dire, il vient chercher Alex. Son but : grossir les rangs d'une nouvelle armée de prédateurs afin de contrôler de façon plus drastique la démographie humaine en l'aidant dans sa mission du XXIe siècle.

On peut toujours, à l'envi, s'interroger sur l'acte créatif lié à "l'objet théâtral" et chercher à comprendre, aussi, depuis quelles lointaines contrées surgit l'inspiration du dramaturge. À bien y regarder, c'est intéressant à plusieurs égards. De réponses, nous n'en n'avons pas forcément et ce n'est pas faute de connaître, pourtant, quelques auteurs de pièces de théâtre auxquels nous posons souvent la question… Finalement, avons-nous raison de le faire ? Car n'est-ce que le résultat qui compte : la pièce en tant que telle, avec les acteurs et les actrices sur les planches, et le metteur ou la metteuse en scène optant pour ses choix minutieux, tous personnels !

En perpétuelle évolution, le théâtre est un genre qui a encore beaucoup à offrir, tant du point de vue du spectacle que de l'approche littéraire.

© Arthaly Cie.
© Arthaly Cie.
C'est peut-être ce que François Brett, directeur de la Compagnie Arthaly, a cherché à mettre en œuvre dans " Méphisto Valse" en se questionnant notamment sur le fait qu'il soit encore possible, au XXIe siècle, d'écrire une pièce en alexandrins, qui plus est une comédie. Bien lui en a pris d'en avoir fait le pari. Ambitieux, certes, ce pari ; et le résultat est plutôt probant. Manier l'alexandrin n'est pourtant pas chose aisée. D'aucuns s'y sont frottés et l'épreuve fut mortelle !

Pour ce projet particulier d'écriture en alexandrin, François Brett en a brisé les principales règles : "Écrire avec un style plus actuel, loin des tragédies du XVIIe siècle, tout en respectant les règles établies, en faisant résonner la musicalité de la versification, mais proposant aux spectateurs de quasiment l'oublier pour coller à l'histoire ! Ne pas écrire de longues tirades, mais privilégier des dialogues et des répliques percutantes pour maintenir une dynamique rythmée" (sic).

Nous avons toujours voué une admiration sans bornes aux comédiens et comédiennes qui manient avec aisance l'alexandrin et, en assistant à cette pièce, nous n'avons pas été déçus. Le mélange du noble vers avec du lexique et des expressions modernes est judicieux. Ça fonctionne très bien. Les interprétations des personnages masculins par François Brett et Camille Monnet, ainsi que celles de Julie Costanza et Sylvie Pelligry l'honorent tout à fait.

Notons que Julie Costanza a été nominée aux Molières 2023 pour le spectacle "L'Odyssée, la conférence musicale" et qu'ici son jeu est fort justement incarné.

Pour ce qui est du propos de la pièce, derrière la flamboyance bien réelle des effets des alexandrins, nous nous interrogeons davantage. Geneviève Brett, la sœur aînée de l'auteur dans la vraie vie, précise à juste titre que "généralement un auteur souhaite toujours tout dire, mais que si on ne veut pas perdre le spectateur, il fait faire des choix et aller à l'essentiel".

Il semblerait que l'auteur s'y soit essayé corps et âme, de toute évidence, mais qu'il se soit peut-être un peu perdu, sans maîtriser suffisamment son inspiration et se laissant submerger par elle, ni sans parvenir à circonscrire suffisamment les différents paliers de son écriture. On s'égare parfois dans le labyrinthe du synopsis de cette pièce, entre différentes situations cocasses aux allures de huis clos – Alex pensant que c'est Anna qui est à l'origine de cette mascarade destinée à enrichir le contenu de la pièce qu'il vient d'achever –, puis finalement se laissant prendre au jeu de la situation, et invitant Méphisto, qu'il croit comédien, à s'incarner quelques heures afin de mesurer la puissance des vibrations communiquées par les cinq sens dont dispose l'être humain.

© Arthaly Cie.
© Arthaly Cie.
Vous suivez ? L'arrivée de Deathy, la Mort, ne fait que renforcer le propos un tant soit peu trop nébuleux et le spectateur va se perdre quelque peu.

La musique de Franz Liszt, intitulée elle-même "Méphisto Waltz", œuvre pour piano pour le moins difficile selon les connaisseurs, ponctue pourtant de façon harmonieuse et virevoltante l'enchaînement des répliques et soutient joliment le jeu des deux comédiens et des deux comédiennes. François Brett étant passionné par la musique qui fait partie de sa vie depuis de nombreuses années. Son dernier spectacle était d'ailleurs une comédie musicale intitulée "À Montmartre cette année-là", créée en collaboration avec Éric Breton.

La mise en scène professionnelle et dynamique de Geneviève Brett accorde à la pièce une saveur toute particulière et crée un univers peu convenu, une ambiance mystérieuse qui bouscule le spectateur et l'interpelle de façon certaine.

Pourtant, au risque de nous répéter, dans "Méphisto Valse", quelque chose nous a manqué quant au juste propos et au fond… Le passage de la Covid au moment de l'écriture de la pièce aurait-il laissé quelques traces diaboliques sous la plume de François Brett, trop confiné, et en manque d'inspiration ; ou, à l'inverse, a-t-il été catapulté par un trop grand flot d'idées qui ne demandaient qu'à s'exprimer ?

Cette Covid aurait-elle été le Diable en personne avec lequel François Brett a pactisé ?

Nous serions bien en reste si on nous demandait de résumer en profondeur ce dont parle la pièce. Ce sont des choses qui arrivent parfois. Fort heureusement, la musique de Franz Liszt et la qualité sans faille du jeu des comédiens procurent, malgré tout, au spectateur un moment de comédie divertissant.

"Mephisto Valse"

Comédie macabre et baroque.
Texte : François Brett
Mise en scène : Geneviève Brett.
Avec : François Brett, Julie Costanza, Camille Monnet, Sylvie Pellegry.
Lumières : Vincent Roussel.
Par la Cie Arthaly.
Durée 1 h 20.

Le spectacle s'est joué à l'Espace Folard à Morières-lès-Avignon (83) les samedi 4 et dimanche 5 novembre 2023.

•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 13 h 20. Relâche le lundi.
Théâtre de l'Étincelle, 14, Rue des Études, Avignon.
Réservations : 04 90 85 43 91.

Brigitte Corrigou
Lundi 3 Juin 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024