La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Cirque & Rue

FAB 2019 "La Traversée de Bordeaux Métropole" Transhumance artistique en milieu ordinaire ou éloge des déplacements doux sur fond d'urbanités "à dévoiler"

Sébastien Renauld et Laurent Boijeot n'ont rien à première vue d'agents subversifs. Propres sur eux (chaque soir, ils acceptent volontiers d'être accueillis chez l'habitant pour une douche rapide), ils présentent la conversation de jeunes gens instruits (architecture, sociologie, arts vivants) désireux de l'antienne "vivre ensemble".



© Boijeot-Renauld.
© Boijeot-Renauld.
Se déplaçant pédestrement accompagnés de leur table, banc et lit, au rythme fabuleux de cinq cents mètres journalier, ils se proposent de relier Saint-Médard-en-Jalles à Bordeaux en trente jours, mangeant et dormant sous le dais des étoiles, une bâche tendue pouvant le cas échéant les protéger des pluies girondines.

Et ils semblent apprécier ce mode opératoire - toujours le même dispositif - si on en croit leurs performances précédentes qui, depuis maintenant 2012, les ont conduits en Seine-Saint-Denis, à Paris, Bâle, Dresde, Venise, New York, ou encore Tokyo. Rien d'apparemment "percutant" dans cette manière tranquille d'investir l'espace public qu'ils préfèrent nommer "sol commun" pour éviter la collusion avec "espace public… itaire". L'aspect ludique de leur opération artistique est si évident que les passants croisés leur adressent d'abord un regard interrogateur, puis rieur, avant de s'aventurer à parler avec eux autour du café qu'ils ne manquent pas d'offrir. "Que la fête commence !", dirait Tavernier…

La parole, soudain libérée de ses corsets habituels, se délie pour, à bâtons rompus, emprunter innocemment les chemins de traverse propres à chacun. Affranchi par la situation "extra-ordinaire", délié du regard sociétal introjecté qui d'ordinaire encadre la liberté de (se) dire, l'inconnu de passage se sent tout naturellement autorisé à confier à un autre inconnu ce qui jusque-là faisait partie de son territoire privé. De paroles (faussement) anodines concernant la vie comme elle va, on passe très souvent au récit sinon de l'intime du moins du rapport personnel à la réalité, vécue par définition comme violente puisque faisant obstacle au désir.

© Boijeot-Renauld.
© Boijeot-Renauld.
Et il s'en raconte des histoires de vie incroyables… Des récits pleins des heurs et malheurs de l'humain, à la fois émerveillé d'être de ce monde et - "en même temps" - cabossé par les aléas. Des paroles enjouées mais aussi celles jusque-là restées coincées dans le larynx aux cordes vocales nouées et qui se dénouent comme miraculeusement pour dire des parcours de vie marqués par des chemins de traverse que ne manquerait pas de réprouver la morale garante de l'ordre établi (… mais s'était-on jamais demandé à qui profitait cet "ordre", et par qui il avait été "établi" ?). Ce sont ces chemins de traverse, que d'aucuns beaux esprits nommeraient "déviances" qui, conversation faisant, sont reparcourus ici en toute liberté.

Quant au point d'orgue de cette déambulation au cœur des territoires bordelais, la capitale de la Nouvelle Aquitaine, riche de ses architectures minérales exhibées avec fierté, il n'est pas sans laisser sans voix. Pierres lumineuses des façades XVIIIe, quais semblant tout droit sortis d'un décor de théâtre avec en second plan le joyau du Pont de Pierre illuminé, quartiers réhabilités où - la hausse des loyers ayant tout naturellement déplacé les populations les plus fragiles à la périphérie - il fait bon vivre enveloppé de la douceur girondine, mode de vie policé (au sens de raffiné, civilisé)…

© Boijeot-Renauld.
© Boijeot-Renauld.
Mais aussi mode de vie quelque peu entaché par les bavures d'une police faisant parfois moins preuve d'urbanité (chasse à la jeunesse - cf. poème de Jacques Prévert - shitée, susceptible de déparer le charme imparable du paseo prisé le long de La Garonne, énucléations et mains arrachées de fauteurs de troubles Place de l'Hôtel de Ville). Et qu'en est-il des 17 marronniers sains abattus nuitamment Place Gambetta, malgré les 10 000 pétitionnaires de la vigilance citoyenne combattant "vertement" la requalification de cet îlot de verdure ? Ce sont là paroles de citoyens ordinaires qui s'en font l'écho, paroles trouant les couvertures glacées et un rien glamour de la communication municipale.

Agitateurs publics, activistes, les deux artistes ? Non, certainement pas ! "Activateurs de curiosité, cellules dormantes avec un œil ouvert" (sic), ou empathiques catalyseurs, par leur simple écoute bienveillante de propos qui sans eux seraient restés lettre morte, ils participent à rendre vivant un art théâtral à l'étroit dans ses murs.

Héritiers très assagis d'Emmett Grogan - figure flamboyante des Diggers de San Francisco (lire, sur leurs conseils, "Ringolevio") -, ils redonnent à l'art sa place première : son droit de Cité. En effet, en déplaçant avec eux leur dispositif scénique se confondant avec le mobilier de tout un chacun, ils créent les conditions pour qu'émerge une parole performative "ouvroir de récits potentiels" et, in fine, porteuse de transformations sociétales à venir. Non la parole performative qu'un acteur proférerait de l'extérieur à l'intention d'un spectateur captif, mais celle dont le passant "avec bagage" était lui-même le surprenant dépositaire.

"La Traversée de Bordeaux Métropole"

© Boijeot-Renauld.
© Boijeot-Renauld.
Dans le cadre du Festival des Arts de Bordeaux.
Performeurs : Laurent Boijeot et Sébastien Renauld.
Ils sont partis le mercredi 11 septembre de la Place de la Liberté à Saint-Médard-en-Jalles.
Arrivée le jeudi 10 octobre au SUPER QG, Quai de la Grave à Bordeaux.

Le FAB se déroule du 4 au 20 octobre 2019.
>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Vendredi 11 Octobre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024