La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Cirque & Rue

BIAC 2025 Dans "Rouge Merveille", une circassienne effleure le ciel pour apprendre à nos regards, l'apesanteur et la richesse du temps

Chloé Moglia invente une discipline. Elle a été la seule au monde à réaliser cette pratique pendant plusieurs années. Depuis, d'autres circassiennes l'ont rejointe pour travailler la suspension. Dans ce spectacle, ce n'est pas elle qui officie, c'est une autre circassienne, une autre suspensive, et l'inventrice se contente d'être directrice artistique et de veiller au grain.



© Christophe Acker.
© Christophe Acker.
Inutile de chercher dans le dictionnaire (ce que j'ai fait pour vous), pour ne trouver à "suspensive" qu'un adjectif en référence aux points de suspension et à un terme de droit qui signifie "qui arrête, qui empêche d'aller en avant". Et pourtant, une partie de cette deuxième définition peut être adoptée pour la pratique de cette suspensive. Une manière d'arrêter, une manière de repousser l'instant où aller de l'avant, de repousser l'acte.

Il y a une forme de dilatation volontaire du temps dans cette démarche. Ce qui, dans ce qu'on appelle un numéro de cirque, ne dure qu'une seconde, ce court instant où l'acrobate saisit son agrès pour s'élancer dans sa voltige. Ce court instant est ici la matière même de la performance. L'accroche, cette main qui s'agrippe à la barre du trapèze pour lancer le corps de l'acrobate dans son évolution aérienne, cette accroche va être indéfiniment étendue, répétée, éprouvée et surtout vécue.

C'est en partie pour se libérer de la contrainte de l'exploit qui découle des agrès classiques que Chloé Moglia commença l'expérimentation de sa nouvelle discipline. La prouesse que le public attend de la part des acrobates lui apparut comme une finalité sclérosante. Le balancement du trapèze est une injonction à l'acte. C'est ainsi qu'elle commença les suspensions, comme l'élargissement de ce laps de temps où l'acrobate s'accroche à l'agrès : "Cela suspend l'exécution des choses. Et l'exécution, c'est la mort", dit-elle.

© Christophe Acker.
© Christophe Acker.
Dans "Rouge Merveille", Mélusine Lavinet-Drouet commence par mettre en place et déployer, à vue et avec l'aide du public, le dispositif qui va servir son évolution. Un mécanisme manœuvré à la main dresse un mât en métal qui se termine par deux branches symétriques comme des ailes d'hirondelles. Se hissant aux quatre mètres du dispositif, la suspensive commence alors sa lente évolution et une sorte de fascination se glisse alors subrepticement dans les esprits de celles et de ceux qui regardent le spectacle.

Suspendue d'une seule main, crochant parfois une jambe, un pied, changeant de bras pour attraper un sac à dos et dans ce sac à dos une gourde, puis un livre qu'elle feuillette avec douceur, la circassienne enchaîne les déplacements sur toute la longueur de ses deux barres courbes. S'arrêtant de temps en temps pour tourner lentement de 360° autour de l'axe de son poignet qui supporte seul le poids de son corps, on est saisi soudain de l'illusion que ce corps est soudain libéré de cette main comme si celle-ci faisait partie du dispositif de fer, tandis que le visage de l'artiste, souriant, observe la totalité du paysage qui l'entoure et le public sous elle, comme un champ de visages levés vers le ciel.

Ainsi, durant une petite demi-heure, le temps s'étire, et l'irréelle sensation d'apesanteur fascine, comme une respiration plus vaste, un élancement vers la contemplation. "Moins tu fais, plus il y a", dit encore de manière énigmatique et imagée Chloé Moglia.

Outre cette performance, la compagnie Rhizome que dirige Chloé Moglia présente, lors de la BIAC, deux autres spectacles : "Bleu Tenace" à Avignon et "La Spire" à Marseille.
◙ Bruno Fougniès

Vu le 11 janvier 2025 à La Friche Belle de Mai, Marseille, dans le cadre de la BIAC 2025.

"Rouge Merveille"

© Christophe Acker.
© Christophe Acker.
Direction artistique : Chloé Moglia.
Suspension : Mélusine Lavinet-Drouet.
Collaboration artistique : Mélusine Lavinet-Drouet, Marie Fonte et Mélanie Jouen.
Remerciements à Irène Le Goué.
Création musicale : Marielle Chatain.
Conception et réalisation de la ligne de suspension : Éric Noël et Silvain Ohl.
Le spectacle comporte un extrait de "Cerveau", de Laura Vazquez.
Régie générale : Sylvain Pecker.
Par la Compagnie Rhizome.
Durée : 35 minutes.
Tout public.

Tournée
30 mars 2025 : L'Hermine, Sarzeau (56).

6ᵉ édition de la Biennale Internationale des Arts du Cirque, Marseille et toute la région Provence-Alpes-Côte d'Azur
Un mois de cirque en région Sud.
Du 9 janvier au 9 février 2025.
Renseignements et réservations sur le site de la BIAC :
>> biennale-cirque.com

Bruno Fougniès
Jeudi 30 Janvier 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.







À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024