La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

Carmen… Classique toujours très moderne !

C'est la quinzième édition des "Étés de la Danse" au théâtre Mogador avec le ballet "Carmen" proposé par la Compañia Nacional de Danza de España. Le spectacle garde malheureusement toute sa modernité quant à ses thématiques (amour, trahisons, crime passionnel, etc.) mais présenté ici dans une création qui mêle avec bonheur théâtre, musique et danse.



© Carlos Quezada.
© Carlos Quezada.
Un enfant avec son ballon ouvre le bal. C'est à travers son regard que "Carmen", opéra français le plus joué au monde, est revisité par le danseur et chorégraphe suédois Johan Inger avec la Compañia Nacional de Danza de España. Opéra en quatre actes de Georges Bizet (1838-1875) d'après la nouvelle du même nom de Prosper Mérimée (1803-1870), il a été créé le 3 mars 1875 à l'Opéra Comique.

La musique du spectacle est une adaptation de la partition de Bizet, "Carmen Suite", que le compositeur russe Rodion Shchedrin avait créée en 1967 pour la chorégraphie du cubain Alberto Alonso (1917-2007) et l'étoile du Bolchoï Theatre de Moscou, Maya Plissetskaïa (1925-2015).

Des hommes, dans une combinaison de couleur "grise métallique" foncée, apparaissent sur scène par intermittence, un à un puis en groupe. Ils représentent la mort, qui gagne du terrain dans une histoire de jalousie, de défi et de passion. Elle est présente côté cour quand côté jardin, un couple se bécote sous un regard jaloux. Le noir et le rouge habillent la scénographie, couleurs de sang et de drame, de passion et de violence. C'est l'amour convoité, vorace, destructeur pour accaparer l'autre. Ces différents visages se retrouvent dans une gestique sensuelle parfois agressive comme dans un combat où l'on se cherche, se défie pour se séduire.

© Carlos Quezada.
© Carlos Quezada.
Le corps est théâtral, devenant par intermittence sujet ou objet. Carmen, proie de désirs, mène le tempo avec un positionnement corporel des plus majestueux, jouant de la plante des pieds sur le tronc des danseurs. Elle règne en maîtresse des corps, dans une scénographie où le corporel reste l'étendard d'une puissance ou celui d'un assujettissement, se repliant sur un ou plusieurs alter egos. La plante des pieds trouve un sol sur le tronc ou sur la jambe des uns et des autres.

Les mouvements sont amples, les jambes bien étirées. On glisse sur le plateau ou poussés délicatement comme une marche progressive vers un but. Il y a quelques pas de deux accompagnés de chorégraphies de groupe, se recoupant parfois faisant du tronc l'axe sur lequel les membres inférieurs et supérieurs s'étirent, s'étendent car à la recherche d'un espace, d'un ailleurs. Tous les mouvements vont à l'extérieur. Les jambes se recroquevillent parfois dans une gestuelle où la plante des pieds piétine, tapant frénétiquement au sol

© Carlos Quezada.
© Carlos Quezada.
Le spectacle est très théâtral avec une gestique très jouée, jamais statique, toujours en mouvement. Les pièces sont synchronisées ou séparées en deux groupes symbolisant la mort, disposées en canon gestuel de quatre interprètes qui se croisent, se décroisent en se retournant sur un axe de trois cent soixante degrés montrant dans cette pérégrination scénique son empreinte, sa marque, sa présence.

Les plantes des pieds sont bien appuyées au sol, les talons les bloquant avec des membres inférieurs cambrés solidement aux planches. La scène est investie sur toute sa largeur par des déplacements rapides, ponctués de rencontres, agressives parfois, amoureuses souvent mais mortelles au final.

L'idée de départ du regard enfantin donne une vision très marquée d'un rapport de force dans une représentation alliant vigueur, grâce et magie, comme celui d'un rêve où les portes s'entrouvrent vers un ailleurs où vie et mort sont indissolublement liées sous le feu destructeur d'une passion aveugle.

"Carmen"

© Carlos Quezada.
© Carlos Quezada.
Chorégraphie : Johan Inger.
Assistante chorégraphie : Urtzi Aranburu.
Par la Compañía Nacional de Danza de España, dirigée par José Martínez.
Musique : Rodion Shchedrin et Georges Bizet.
Musique originale additionnelle : Marc Álvarez.
Éditeur original de l'œuvre musicale "Carmen Suite" : Bizet-Shchedrin Musikverlag Hans Sikorski, Hambourg.
Costumes : David Delfín.
Dramaturgie : Gregor Acuña-Pohl.
Scénographie : Curt Allen Wilmer (AAPEE).
Conception d'éclairage : Tom Visser.
Durée du spectacle : 1 h 40 avec entracte.

Du 8 au 17 juillet 2019.
Lundi, mardi, mercredi à 20 h 30.
15e édition des des Étés de la Danse.
Théâtre Mogador, Paris 9e, 01 53 33 45 46.
>> lesetesdeladanse.com

Safidin Alouache
Lundi 15 Juillet 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024