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Avignon 2024

•Off 2024• "Nos Histoires" Une évocation subtile et profonde de la notion d'emprise, interprétée avec justesse

Vicky, une Québécoise vivant à Paris, fait la rencontre de Maxime dans le café-brasserie dont il est le gérant. Chacun d'entre eux vit une relation d'emprise parallèle. Pour Vicky, c'est autour de Didier, son partenaire que cela s'opère, et pour Maxime, c'est autour de sa mère, qui est aussi sa patronne, une mère castratrice, étouffante et très intrusive. Mutuellement, ils vont s'entraider dans leur quête de liberté et une belle amitié va naître entre eux deux.



© Arny Berry.
© Arny Berry.
On attribue à André Gide la célèbre réflexion : "Choisir, c'est renoncer pour toujours, pour jamais, à tout le reste, et la quantité nombreuse de ce qui reste demeure préférable à n'importe quelle unité". Il est fort probable que la dramaturge comédienne québécoise, Frédérique Auger, se soit inspirée de cette profonde pensée philosophique pour bâtir en partie le synopsis de sa pièce. Pour nous, en tout cas, c'est ce qui nous est rapidement venu à l'esprit en y assistant. Faire des choix, c'est ne jamais vraiment en mesurer les retombées, juste parce qu'il peut s'agir simplement d'une zone de confort qui convient bien à l'autre. À l'autre, seulement ! Pas à soi !

"Nos Histoires" parle d'emprise, d'attachement XXL, de relations toxiques, de non-choix. Des thèmes qui risquent fort de parler à beaucoup d'entre nous. De toute évidence, c'est ce qui s'est passé l'an dernier lors du Off d'Avignon, car la pièce y a obtenu un vif succès auquel, d'ailleurs, l'autrice ne s'attendait pas… Elle venait juste à Avignon pour rencontrer le public français, sans autres intentions, mais sa pièce a fait mouche, et ce n'est pas anodin qu'il en ait été ainsi.

© Arny Berry.
© Arny Berry.
"Je précise que ma pièce ne parle pas de pervers narcissiques, ni de violences conjugales ou physiques. Elle parle davantage des relations difficiles entre êtres humains, de relations toxiques dont on ne peut pas toujours prendre conscience au départ, mais qui nous briguent et ensorcellent", Frédérique Auger.

Mais de quoi parle-t-on exactement quand on évoque une relation "difficile" ? Question complexe, s'il en est.

Grâce à la combinaison fine du texte de la pièce et à la mise en scène intelligente de Giorgia Sinicorni, le public en a un semblant de réponse. Dès les premières secondes, d'ailleurs, à bien y regarder, via la simple manipulation d'une structure métallique ingénieusement pensée, qui se transforme et représente différents espaces très explicites, nimbés au plateau de lumière sombre. Un espace exigu, comme rétréci, aux allures de huis clos, mais qui fait une large place à l'imaginaire collectif.

Le thème de la pièce est sensible et complexe, probablement inspiré d'une large part autobiographique. Certaines scènes, orchestrées par la fine scénographie déjà évoquée plus haut et secondée par des choix musicaux aux allures rock dans laquelle la comédienne et le comédien incarnent quatre rôles distincts, revêtent des allures parfois angoissantes et dérangeantes.

Comme dans une sorte de kaléidoscope où les scènes s'enchaînent avec justesse, Frédérique Auger et son partenaire Jean-Charles Chagachbanian, incarnent tour à tour les quatre personnages de la pièce avec fluidité et une belle incarnation.

Dans "Nos Histoires", le duo fonctionne à merveille et parvient, avec talent, à mettre en lumière ce que peuvent être les mécanismes sournois et destructeurs de l'emprise sur un être.

Le format plutôt court de la durée de la pièce (1 h 05) renforce encore davantage le sentiment de claustration. On ne voit pas le temps passer, tout comme (bien souvent) on ne voit pas non plus les mois et les années s'écouler aux côtés de celui ou de celle qui nous tient sous sa coupe…

"Nos Histoires"

© Arny Berry.
© Arny Berry.
Théâtre contemporain franco-québécois.
Texte : Frédérique Auger.
Mise en scène : Giorgia Sinicorni.
Avec : Frédérique Auger Jean-Charles Chagachbanian.
Scénographie : Pauline Gallot.
Lumières : Stéphane Balny.
Chorégraphie : Carole André.
Musique : Vivien Lenon, avec la collaboration de Marc Auger Gosselin.
Coproduction Cie Entre Vos Mains (France) et Théâtre du Dream Team (Canada).
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h 05.

•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 19 h 45. Relâche le jeudi.
Théâtre La Luna, Salle 2, 1, rue Séverine, Avignon.
Réservations : 04 90 86 96 28.
>> theatre-laluna.fr

Ce spectacle a obtenu un des Coups de cœur du Club de la Presse Vaucluse Avignon Off 2023.

© Arny Berry.
© Arny Berry.

Brigitte Corrigou
Mercredi 12 Juin 2024

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À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024