La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

FAB 2021 "Dimanche" et "Auréliens", des nouvelles de notre planète comme elle va… ou ne va pas ! Pour en parler, deux histoires : une belge et une suisse

D'un côté un (vrai) travail théâtral stimulant, de l'autre une fausse (vraie) conférence à effets narcotiques… En effet, la question posée - comment porter sur un plateau de théâtre, lieu dédié à la fiction, les réelles interrogations liées au réchauffement climatique et autres menaces "pesant comme un couvercle" sur l'avenir de notre planète ? - trouve là deux réponses à l'écriture et au retentissement diamétralement opposés.



"Dimanche" © Virginie Meigne.
"Dimanche" © Virginie Meigne.
Si les compagnies belges Focus et Chaliwaté, alliées autour d'une écriture collective convoquant avec bonheur théâtre d'objets, séquences vidéo projetées en direct et théâtre gestuel fourmillant d'inventivité décalée, nous ont littéralement transportés dans une fable onirique aux effets secondaires percutants, la Cie 2b de François Grémaud (le même qui nous avait séduits avec son "Phèdre !") nous a, quant à elle, plombés au sol dans un premier degré interdisant tout espoir de décollage…

"Dimanche" se présente comme une sorte d'ovni échappant à tous les genres tant il se plaît à puiser ses ressources dans le meilleur de chacun. Jouant sur les différences de tailles propres au théâtre d'objets (voiture miniature tous phares allumés gravissant le bras recouvert de sapins nains d'un scientifique venu étudier la banquise, modèle réduit de camion TV filmant l'expédition, ou canoë grandeur nature naviguant sur le plateau victime de la montée des eaux), mixant séquences jouées et vidéos (faux glacier se fissurant sous leurs vrais pieds), ou encore animant des marionnettes géantes (celle de la grand-mère juchée sur sa chaise monte-escaliers ou celle d'une maman ourse grognant à la mort en voyant sa progéniture partir à la dérive)… l'illusion théâtrale bat son plein pour délivrer un récit truffé de trouvailles.

"Dimanche" © Virginie Meigne.
"Dimanche" © Virginie Meigne.
Ce récit désopilant "mis en images" narre les mésaventures ubuesques d'une famille ordinaire dont le repas dominical se trouve immanquablement perturbé par des turbulences météorologiques hors normes, s'invitant "naturellement" entre la dinde et le dessert… Des bourrasques s'engouffrent pour plaquer à l'horizontal les habitants en lévitation, les pieds de la table se déforment sous l'effet des températures torrides, les volatiles sont délogés de leur réserve naturelle et viennent s'échouer le bec ouvert entre les couverts, la montée des eaux fait flotter les objets du quotidien et noie les demeures squattées par de charmantes mains-pieuvres… sans que pour autant les habitants ne s'en émeuvent le moins du monde.

Et c'est à cet endroit même, celui de la poésie débridée, que se love "l'extra-ordinaire" force suggestive de cette forme singulière où toute parole est bannie. Comme dans les pellicules muettes de Charlie Chaplin ("Les Temps Modernes"), ou encore celles de l'homme qui ne riait jamais alias Buster Keaton - films dans lesquels la mécanique du burlesque porté à son incandescence tient lieu de discours -, l'absence de paroles atteint le summum de l'éloquence. En effet, si l'on rit de bon cœur des effets des dérèglements climatiques poussés jusqu'à la farce, il n'en reste pas moins que leur effet de vérité est saisissant.

Après la lutte onirique menée par l'inénarrable Charlot afin de survivre "coûte que coûte" au monde industrialisé des "Temps Modernes", les tribulations de ces rescapés des temps contemporains confrontés au désastre climatique annoncé font figure de lanceurs d'alertes…

"Auréliens" © Mathilda Olmi.
"Auréliens" © Mathilda Olmi.
Rien de semblable dans "Auréliens"… Là, on déserte la rive du ludique décomplexé et (im)pertinent pour aborder celle, c'est du sérieux, du compact, du solide… même si le ton un tantinet enjoué et décalé du comédien s'évertue à vouloir introduire un zeste de distance ironique dans la longue litanie énoncée des catastrophes planétaires à venir.

Partant d'une vraie communication autour de l'urgence écologique - conférence prononcée en 2019 par l'astrophysicien Aurélien Barrau - l'acteur Aurélien Patouillard (d'où le "s" des Auréliens du titre) délivre une vraie-fausse conférence reprenant à s'y méprendre les termes de l'originale fort savamment documentée.

Indépendamment de l'intérêt que pourraient revêtir les chiffres cités (intérêt tout relatif : leur profusion en affaiblit beaucoup l'impact), des constats tous azimuts délivrés et des conclusions "écolo-politique" à déduire urgemment sur les responsabilités qui échoient à chacun, là où le bât blesse, c'est que nous sommes présumés être venus au théâtre pour découvrir un "spectacle vivant". Le contrat implicite passé entre "le théâtre et son spectateur" supposerait, en effet, de produire une mise en jeu… des enjeux planétaires, si réels soient-ils, afin que le spectateur puisse s'en emparer de là où il est ce soir : à savoir, une salle de spectacle et non de conférence.

"Auréliens" © Mathilda Olmi.
"Auréliens" © Mathilda Olmi.
Mais que nenni… En la circonstance, la mise en jeu comme la scénographie est réduite à peau de chagrin, aucun effort pour "mettre en lumière" et/ou "dramatiser" le propos qui, s'il l'est au sens commun de "tragique" (et là on concèdera que la barque est particulièrement chargée…), ne l'est aucunement au sens théâtral du terme.

Que l'on en juge… Aucune transposition du texte d'origine mais un semblant de copié-collé, aucune échappée vers l'imaginaire (et ce n'est pas la "pause poétique" (sic) d'un extrait fort opaque de "L'Ombilic des Limbes" d'Antonin Artaud qui va changer la donne, pas plus que l'utilisation d'une citation approximative d'Héraclite clôturant la communication), aucune créativité pour inventer des éléments de mise en jeu (mis à part l'indigent chariot de supermarché choisi pour ironiser sur le désir de décapotable et le dérisoire magazine voulant figurer le podium de la course à l'échalote des nations engagées dans la production exponentielle des gaz à effet de serre)…

Alors, en écho au vrai-faux conférencier déclamant : "la conclusion est sans appel, la vie est en chute libre dans à peu près tous les secteurs", on serait tenté de convoquer Magritte pour lui rétorquer : "la conclusion est sans appel, ceci n'est pas du théâtre", mais une représentation de conférence sans grand relief. Si l'habit ne fait pas le moine, la tenue de sportif du dimanche, revêtue par le faux conférencier affublé d'un short, d'un sweat et chaussé de tennis, ne fait pas non plus l'acteur.

On l'aura sans nul doute compris, des deux histoires (la belge et la suisse) de dérèglement climatique, on retiendra la première, celle sans parole, beaucoup plus "parlante" que la seconde, inutilement bavarde. Oui, l'histoire belge, une fois.

"Dimanche"

"Dimanche" © Virginie Meigne.
"Dimanche" © Virginie Meigne.
Écriture et mise en scène : Julie Tenret, Sicaire Durieux, Sandrine Heyraud.
Avec : Julie Tenret, Sicaire Durieux, Sandrine Heyraud ou, en alternance, Muriel Legrand, Thomas Dechaufour, Shantala Pèpe ou Christine Heyraud.
Regard extérieur, Alana Osbourne.
Marionnettes : Joachim Jannin (WAW Studio!) et Jean-Raymond Brassinne.
Collaboration marionnettes : Emmanuel Chessa, Aurélie Deloche, Gaëlle Marras.
Scénographie : Zoé Tenret.
Construction décor : Zoé Tenret, Bruno Mortaignie (LS Diffusion), Sébastien Boucherit, Sébastien Munck.
Création lumière : Guillaume Toussaint Fromentin.
Création sonore : Brice Cannavo.
Réalisation vidéo et direction photographique : Tristan Galand.
Assistant caméra : Alexandre Cabanne.
Chef machiniste : Hatuey Suarez.
Prise de vue sous-marine : Alexandra Brixy.
Prise de vue vidéo : JT Tom Gineyts.
Post-production vidéos : Paul Jadoul.

"Dimanche" © Virginie Meigne.
"Dimanche" © Virginie Meigne.
Sons vidéos : Jeff Levillain (Studio Chocolat-noisette) et Roland Voglaire (Boxon Studio).
Aide costumes : Fanny Boizard.
Régisseur général : Léonard Clarys.
Régisseurs : Léonard Clarys avec Isabelle Derr ou Hugues Girard ou Guillaume Toussaint Fromentin.
Un spectacle des compagnies Focus et Cie Chaliwaté, Belgique.
Durée : 1 h 20.

Vu le dimanche 3 octobre 2021 à 18 h aux Colonnes de Blanquefort (33), dans le cadre du festival FAB 2021.
Autres représentations données : samedi 2 à 19 h et lundi 4 octobre à 14 h.

Tournée
Du 12 au 30 octobre 2021 : Théâtre des Tanneurs, Bruxelles (Belgique).
9 novembre 2021 : Théâtres en Dracénie, Draguignan (83).
12 et 13 novembre 2021 : Le Théâtre de Fos, Fos-sur-Mer (13).
Du 16 au 28 novembre 2021 : Théâtre Monfort, Paris (75).
2 et 3 décembre 2021 : Ma Scène nationale, Montbéliard (25).
7 et 8 décembre 2021 : Les Scènes du Jura - Scène nationale, Lons-le-Saulnier (39).
11 et 12 décembre 2021 : Équilibre : Nuithonoe, Villars-sur-Glâne (Suisse).
Du 16 au 18 décembre 2021 : Le Quartz, Scène nationale, Brest (29).

"Auréliens"

"Auréliens" © Mathilda Olmi.
"Auréliens" © Mathilda Olmi.
Création 2020.
Conception et mise en scène : François Grémaud.
Texte conférence : Aurélien Barrau.
Adaptation : François Grémaud.
Avec : Aurélien Patouillard.
2b company, Suisse.
Durée : 1 h.

Vu le mercredi 6 octobre à 20 h 30 au Cube de Villenave-d'Ornon (33), dans le cadre du festival FAB 2021.
Autres représentations données : mardi 5 octobre à 20 h 30.

FAB – 6e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
Du 1er au 23 octobre 2021.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
Billetterie : 09 82 31 71 30.
contact@festivalbordeaux.com

>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Dimanche 17 Octobre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024