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Avignon 2024

•Off 2024• "Naïs" Une version joliment pagnolesque où transpire une certaine fraîcheur de l'amour

Adaptée d'une nouvelle de Zola dont un film en 1945 avait été tiré avec un scénario et des dialogues de Marcel Pagnol, la pièce "Naïs" est dans une trame dramaturgique – dont Pagnol s'est nourri pour son diptyque "L'eau des Collines" – dans laquelle Thierry Harcourt propose, dans un espace quasiment nu, une mise en scène simple et efficace.



© Guy Dorotte.
© Guy Dorotte.
C'est un accent, celui du sud, que l'on entend avant tout dans une scénographie composée d'une seule chaise de couleur rouge trônant en arrière-scène. L'espace parfois vide est investi par des voix qui incarnent à tour de rôle ou simultanément la rudesse, le labeur et la passion amoureuse. Mais c'est aussi et surtout Émile Zola, que la griffe de Marcel Pagnol, dans ses dialogues, réussit à faire entendre. Les deux écrivains sont d'Aix-en-Provence pour le premier et d'Aubagne pour le second. La fable se situe à l'Estaque, lieu d'inspiration et de création entre 1870 et 1914 de peintres tels que Cézanne, condisciple et ami de Zola dès le collège.

Intitulée "Naïs Micoulin" et comprise dans un recueil de six nouvelles paru en 1883, elle fut écrite en 1877 durant la création des Rougon-Macquart (1871-1893) alors que Zola préparait "Une page d'amour", le huitième volume de son cycle romanesque. Avec ces deux ouvrages, l'écrivain est dans une phase créative autour de la passion amoureuse. Ce thème est peu présent dans son œuvre. "Naïs" est aussi un film (1945) réalisé par Raymond Leboursier et Marcel Pagnol qui écrit aussi le scénario et les dialogues avec Fernandel en Toine, le bossu.

© Guy Dorotte.
© Guy Dorotte.
Il y a une opposition de caractères autour de couples d'amoureux avec Naïs (Marie Wauquier) et Frédéric (Kévin Coquard), familial avec Micoulin (Patrick Zard'), le père de Naïs, et Madame Rostaing (Lydie Tison), la mère de Frédéric vis-à-vis de leur enfant respectif. Et, autre couple, celui du dépit amoureux assumé pour être dépassé par Toine (Arthur Cachia) vis-à-vis de Naïs. La relation entre Madame Rostaing et Micoulin n'est pas très claire, car ambivalente tant les échanges entre eux basculent parfois dans de l'attention pour des êtres pourtant distants et froids.

Les tempéraments sont très marqués avec, d'un côté, Naïs et Frédéric qui se projettent dans le futur avec leur passion amoureuse et, de l'autre, leurs parents, l'époque s'y prêtait, ancrée dans les traditions familiales commandées par le puritanisme, le labeur et le patriarcat.

Toine est le personnage central et moteur de ce drame. Avec sa bosse, fardeau physique qui le définit, car elle le condamne à rester dans une estime de soi très biaisée, l'amour qu'il porte à Naïs le fait basculer dans une gamme d'émotions, incarnée avec talent et beaucoup de justesse, allant de l'hésitation à l'espoir, de la timidité à une fougue contenue, de l'effacement à la colère.

© Guy Dorotte.
© Guy Dorotte.
La mise en scène de Thierry Harcourt, dans une adaptation de la nouvelle de Zola par Arthur Cachia, donne à voir un beau théâtre populaire où l'odeur des champs peut être symboliquement humé. "Naïs" a des accents pagnolesques avec sa figure du bossu que Pagnol a reprise pour Ugolin dans "Jean de Forette" et "Manon des sources" (du diptyque "L'eau des collines"). La trame y ressemble beaucoup avec un bossu amoureux de la belle Manon qui est elle-même entichée de l'instituteur du village venant de la ville.

Dans "Naïs", c'est un vis-à-vis constant entre la campagne et la ville, la tradition familiale et la passion amoureuse, la laideur et la beauté. Ces éléments composent deux univers géographiquement et mentalement disjoints qui trouvent leur unité dans la figure la plus dissemblable qui soit, celle de Toine (Arthur Cachia) qui arrive à outrepasser toutes ses différences.

On le voit avec Naïs (Marie Wauquier) dans des moments pleins d'émotion où pleurs, colère et désespoir se donnent la répartie. Il y a une vraie tension sentimentale sans que celle-ci verse dans la caricature. Tout est bien dosé.

© Guy Dorotte.
© Guy Dorotte.
Parfois, quelques pas de danse sont effectués en préambule d'une scène avec, laissant le tronc toujours statique, une gestuelle géométrique des bras et des jambes, synchronisée entre deux ou trois comédiens. Cette touche apporte un élément autre, surprenant, voire décalé dans un contexte théâtral où les repères dramaturgiques sont clairement définis dès le début.

Dès l'entame de la pièce, les comédiens sont tous répartis sur les planches. Une réplique, un signe et un regard du protagoniste principal permet de situer et de présenter chaque personnage. Ainsi, "Naïs" est dans un contexte théâtral assumé et montré publiquement.

Le jeu est très corporel. Les mots s'accompagnent d'une voix, d'une attitude et d'un geste qui sont très caractéristiques de chaque personnage. Banalité théâtrale que l'on peut retrouver sur n'importe quel plateau sauf que, dans la mise en scène de Thierry Harcourt, cela crée à dessein une dichotomie scénique entre les protagonistes, alimentant une tension naturelle entre eux. Le non-dit est habillé de ces différentes touches, plongeant chaque scène dans un rapport de rupture entre les caractères sans qu'une verbalisation ne soit nécessaire. Le geste peut supplanter la parole d'où les chorégraphies qui sont utilisées.

C'est une très belle pièce servie avec bonheur par les comédiens et où Naïs (Marie Wauquier) incarne physiquement la fraîcheur de l'amour.

"Naïs"

© Guy Dorotte.
© Guy Dorotte.
Texte : Marcel Pagnol.
Mise en scène : Thierry Harcourt.
Avec : Arthur Cachia, Kevin Coquard, Clément Pellerin ou Simon Gabillet, Lydie Tison, Marie Wauquier et Patrick Zard'.
Musique : Tazio Caputo.
Lumières : Thierry Harcourt.
Costumes : Françoise Berger et Yamna Tison.
Chorégraphie : Bénédicte Charpiat.
Production Les Fautes de Frappe.
À partir de 7 ans.
Durée : 1 h 15.

•Avignon Off 2024•
Du 2 au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 13 h 40. Relâche le lundi.
Théâtre La Condition des Soies, Salle Molière, 13, rue de la Croix, Avignon.
Réservations : 04 90 22 48 43.
>> conditiondessoies.com

Safidin Alouache
Mercredi 3 Juillet 2024

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
26/03/2024