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Théâtre

Un théâtre qui revient à un de ses fondamentaux : celui de la "farce à la rigolade"

"Grand Hôtel de l'Europe", Théâtre de Belleville, Paris

Le "Grand Hôtel de l'Europe" est un hôtel minable qui rêve d'une conciergerie stylée et qui n'a de clients qu'à son image. Le hall est témoin d'allers et venues fébriles, trépidantes. Clients, employés et gérant, tous à leur manière traîne-savates et crève-la-faim, portefaix et porte-serviettes, voudraient bien avoir l'air mais n'ont pas l'air du tout. Le grand hôtel de l'Europe, entre ses clefs remises et ses factures reçues, joue à cache-misère.



© Pauline Le Goff.
© Pauline Le Goff.
Le spectacle proposé par la troupe de "Tàbola Rassa" est braque, loufoque, branque, frappadingue, déglingue. Le tissu du récit est élimé jusqu'à la trame, il est réduit à l'état d'un canevas que les comédiens rapiècent à tout va, à la va-vite.

Tout sent le bricolage et pourtant respire une maitrise des repères et des risques, un sens du fil, de la chute et du retour à l'équilibre. Le jeu de ce théâtre de bric et de broc est électrique, élastique, ne tombe jamais à plat, toujours rebondissant, toujours généreux.

Que le ramasse mégots enclenche des courts-circuits ou reste suspendu en l'air par absence d'échelle, que la standardiste disjoncte, en direct, victime de son absolue tétanie mentale, il n'y a pas dans ce spectacle de gags "téléphonés" que l'on peut pointer. Tout est conduit d'une manière à ce que les aléas du jeu deviennent des hasards nécessaires. Il s'agit de conduire le jeu à la limite de l'apparition de la réalité la plus palpable par la seule volonté de la générosité de son métier et ce dans un souci évident de faire diversion. Accessoire et principal.

C'est que la fable avance masquée par son évidence même. Il y a bien en œuvre dans le hall du "Grand Hôtel de l'Europe", placé sous le regard du spectateur, une officine de blanchiment conduite par d'idiots "couve vautours" dont le théâtre est l'essoreuse. Comprenne qui veut.

Tout l'art du saltimbanque est là depuis toujours, depuis des siècles, depuis Aristophane, Molière ou Dario Fo.

En portant des perruques juste de traviole, avec leur accent étrangers faussement faux, les comédiens proposent un théâtre qui revient à ses fondamentaux, ceux de la "farce à la rigolade".

C'est-à-dire un art de faire rire de soi au rythme du bateleur, de faire rire en toute liberté le spectateur et de porter une réflexion complice sur un social humain pourtant bien noir. Un théâtre qui montre les ecchymoses mentales d'une idiotie partagée dans une joyeuse équanimité.

"Grand Hôtel de l'Europe"

© Pauline Le Goff.
© Pauline Le Goff.
Création de la compagnie Tàbola Rassa.
Idée originale et direction artistique : Olivier Benoit.
Auteurs : Claire Loiseau, Asier Saenz de Ugarte, Olivier Benoit.
Avec : Claire Loiseau, Asier Saenz de Ugarte et Olivier Benoit.
Musique et chansons originales : Rémi Libéreau.
Création Lumière et son : Sadock Mouelhi.
Costumes, accessoires, scénographie : Maria Cristina Paiva.
Durée : 1 h 15.

Du 14 octobre au 28 décembre 2014.
Du mercredi au samedi à 19 h 15, mardi à 21 h 15, dimanche à 17 h.
Relâches les 7, 25, 26, 27 novembre et les 6, 11, 12, 13, 14 décembre 2014.
Théâtre de Belleville, Paris 11e, 01 48 06 72 34.
>> theatredebelleville.com

Jean Grapin
Vendredi 24 Octobre 2014

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