La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Cirque & Rue

"Oraison"… Prière poétique, clownesque et salvatrice à visée cathartique pour faire renaître un monde plus harmonieux

Étonnant et inhabituel petit chapiteau, presque minuscule - comme un retour à une tradition foraine, à une volonté d'une intime mimesis -, doté d'une enseigne lumineuse, clignotante, vacillante et racoleuse comme un ridicule, suranné night-club perdu au milieu d'un terrain vague tout droit sorti d'une SF apocalyptique. Dans un premier temps, l'oraison circassienne sera dystopie, à l'imaginaire déshumanisé, enlaidi… avant d'être la promesse d'une renaissance, d'une réincarnation clownesque.



© Ryo Ichii.
© Ryo Ichii.
À l'entrée des spectateurs, dans cette arène circulaire incarnant la proximité et l'intimité avec ce qui va se jouer sur la piste, une ambiance lumineuse, opalescente, presque laiteuse et trouble, comme sous l'emprise d'une fantomatique fumée, les accueille. À l'intérieur, on ressent une indéniable impression d'être dans un univers minuscule empreint d'une lumière organique.

Atmosphère étrange et poétique à la fois, se révélant dans une faible luminosité, jouant les clairs-obscurs, presque dans la pénombre, donnant aux silhouettes des présences spectrales et générant sous nos yeux des images éphémères, presque chimériques… Ou d'autres, plus concrètes, plus traditionnelles, attachées à la piste aux étoiles de notre enfance et faisant partie de notre imaginaire collectif, font renaître la puissance émotionnelle liée par exemple au numéro du lancer de couteaux, flirtant avec l'hypothétique danger de la mort.

En préambule, l'un des artistes (Robin Auneau) commence à chauffer la salle à la manière d'un DJ, rapidement rejoint par ses trois partenaires féminines (Zaza Kuik "Missy Messy", Hélène Fouchères, Marie Molliens). Suit immédiatement l'interrogation Y'a plus d'animaux ? Souvenir de dressage révolu, controverse actuelle au cœur de nos sociétés occidentales… Alors est fait un animal en ballons "boudin" à sculpter offert à une spectatrice.

© Ryo Ichii.
© Ryo Ichii.
Puis se succéderont des images plus ou moins fugaces en opposition à des séquences plus longues, construisant des formes athlétiques de fragilité, aux enchaînements millimétrés, aux représentations très élaborées, retranscrivant chacune une esthétique particulière, un sens mystique, archaïque, souvent référencée.

Comme cette mise en place du fil de fer dans la pénombre sur lequel Marie Molliens commence alors ses pas de chats glissés et s'exprime en de nombreuses figures acrobatiques (dont une spectaculaire position latérale sur les genoux), jouant à la perfection, tout en maîtrise, tout en tension, la partition de l'équilibre et du déséquilibre, au son du violon…

La descente d'un voile circulaire non occultant séparant le public de la piste, et floutant les protagonistes circassiens, procure au public un spectaculaire effet de vision picturale des fugitives positions corporelles figées… résultant de portés acrobatiques, séquence illustrant une quête de la lumière : mains tendues, étirements vers un projecteur à l'éclairage vacillant - soleil ou lune ? -, pour l'atteindre, s'en emparer ; ou la séquence "jeu avec feu" où naît un chemin de bougies puis l'utilisation du cerceau de feu, mémoire de celui utilisé naguère pour faire sauter le lion ou le tigre au centre de celui-ci.

© Ryo Ichii.
© Ryo Ichii.
Enfin, la séquence du lancer de couteaux accompagné d'un chant lyrique, presque irréel, est suivie d'une forme d'hommage au clown blanc dont tous revêtissent l'habit. Le pan de toile côté entrée du public tombe et l'on voit alors, dehors, légèrement au lointain, une enfant et une "grand-mère, passerelle générationnelle, toutes deux habillées dans la même tenue. Le clown blanc n'est-il - ou ne serait-il - donc pas mort alors qu'il avait quasiment disparu, dans sa forme traditionnelle, à l'émergence du cirque contemporain ?

Dans cette création, Marie Molliens pose les bases d'un questionnement original sur un monde en devenir que seuls parfois peut offrir le cirque, concentration de ressentis émotionnels émanant de séquences alternant entre le risque de la chute, de la mort et la transcendance performative ou dramaturgique.

C'est un spectacle très écrit… très bien écrit ! Marie Molliens est largement à la hauteur de sa réputation qui fait d'elle aujourd'hui l'une des meilleures autrices circassiennes contemporaines. La narration est construite sur des tableaux proposant, en plus des performances et numéros de cirque, à chaque fois, des images fortes allant vers des illustrations esthétisantes et poétiques… admirablement réussies.

Prière donc, ici non funèbre, mais poétique, clownesque et salvatrice, à visée cathartique, pour faire renaître un monde meilleur, plus harmonieux, où les clowns auraient à nouveau leur place !

"Oraison"

Écriture, mise en scène, lumière : Marie Molliens.
Assistante à la mise en scène : Fanny Molliens.
Avec : Robin Auneau, Zaza Kuik "Missy Messy", Hélène Fouchères, Marie Molliens.
Regard chorégraphique : Denis Plassard.
Assistant à la chorégraphie : Milan Herich.
Costumes : Solenne Capmas.
Création musicale : Françoise Pierret.
Création sonore : Didier Préaudat, Gérald Molé.
Contributeur en cirque d'audace : Guy Perilhou.
Conseillère à la dramaturgie : Aline Reviriaud.
Assistant à la création lumière : Théau Meyer.
Création d'artifices : La Dame d'Angleterre.
Intervenants artistiques : Delphine Morel, Céline Mouton.
Régie générale : Théau Meyer.
Par la Compagnie Rasposo/Marie Molliens.
À partir de 10 ans.
Durée : 1 h.

Du 9 mars au 9 avril 2023.
Du mercredi au vendredi à 20 h 30, samedi à 18 h, dimanche à 16 h sauf les dimanches 12 et 26 mars à 18 h. Scolaires le jeudi à 14 h 30.
L'Azimut, Espace Cirque, rue Georges Suant, Antony (92), 01 41 87 20 84.
>> l-azimut.fr

À lire aussi : "Balestra"… Maestria ! Écriture et mise en scène de Marie Molliens.

© Ryo Ichii.
© Ryo Ichii.
Tournée
Du 21 au 23 avril 2023 : L'ACB, Scène nationale, Ancerville (55).
Du 28 au 30 avril 2023 : L'ACB, Scène nationale, Commercy (55).
Du 4 au 6 mai 2023 : Communauté d'Agglomération, Saint-Dié-des-Vosges (88).
Du 11 au 13 mai 2023 : L' Archipel, Fouesnant (29).
Du 19 au 21 mai 2023 : TRIO…S, Hennebont (56).
Du 26 au 28 mai 2023 : L'Atelier Culturel, Landerneau (29).
Du 1er au 3 juin 2023 : Théâtre du Pays de Morlaix, Carentec (29).
Du 8 au 11 juin 2023 : Le Carré Magique, PNC Bretagne, Lannion (22).
Du 15 au 18 juin 2023 : La Passerelle, Scène nationale, Saint-Brieuc (22).

Gil Chauveau
Mardi 28 Mars 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024