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Avignon 2024

•Off 2024• "Mon père (pour en finir avec)" Reçu pour solde de tout compte…

La famille, nid de prédilection de toutes les névroses, constitue une source inépuisable d'inspiration pour les dramaturges avides d'explorer la veine des joutes intrafamiliales. Pierre Notte, dont le goût pour le cabaret, le boulevard et les comédies est (re)connu, signe ici une comédie aux parfums entêtants sur un clan au bord de l'implosion lorsque, à l'initiative de leur mère, les deux frères et la sœur se trouvent réunis par surprise sous le toit commun, le patriarche quant à lui étant occupé à agoniser à l'étage… En proie aux fantômes de leur passé qui implose, une déferlante va envahir le plateau.



© Éric Schoenzetter.
© Éric Schoenzetter.
La psychologie collective nous a appris que le sujet se construit à partir du modèle familial qui l'a façonné (là, un pater familias aux mœurs des plus avariées et une mère gentiment détraquée) et vis-à-vis duquel il se sent redevable en faisant symptôme. Ainsi les héritiers présents sont-ils tributaires, chacun à sa façon, de leur roman familial, la réalité n'étant qu'un mythe à géométrie variable. Pas étonnant alors que les rejetons regroupés autour d'une mère truculente aient bruyamment à "donner du je", du grand fils souffrant du complexe d'être le non-aimé, au frère adopté occupant la place du "fils préféré", en passant par la sœur ainée obsédée par l'idée partagée avec le père de descendre à la cave pour y chercher une bouteille.

Après avoir ouvert la séance par un petit précis de théâtre (tiré de son opus "L'effort d'être spectateur") magnifiant l'imaginaire de celui qui regarde, et cité à l'appui Marguerite Duras ("C'est le manque qui donne à voir"), le deus ex machina en la personne de leur metteur en scène présent sur le plateau va tirer les fils de chacun des personnages pour mieux faire entendre le concert des frustrations héritées. La cacophonie de révélations abracadabrantesques se succédant à la vitesse du son, comme les tirs d'une sulfateuse endiablée, crée une tornade d'effets dont le parti pris assumé vise à déclencher le rire, fût-il grinçant.

Ainsi, venant hanter le calvaire des vivants, défileront les confessions des fantômes convoqués par ces âmes en peine. En particulier les révélations des victimes des frasques du "pas encore disparu", réapparu là pour rendre l'âme après dix ans d'éclipse… Dans un maelström se mêlent pêle-mêle le clitoris de la jeune tante(atrice) et son petit sac à main rose passant de main en main, "organe vital" vivant son existence de substitut freudien du vagin visité naguère par le père à peine pubère. Puis viendra le temps du fantôme de sa première aimée éconduite, s'étant échinée sa vie durant à vouloir "donner son amour à quelqu'un qui n'en veut pas" (clin d'œil à la définition "d'aimer" du psychanalyste Jacques Lacan)… Ajoutons à ce début d'inventaire "fantomatique", l'apparition de la séduisante jeune fille en rouge, séduite à quatorze ans par le patriarche, et avortée au sécateur par le fantôme du jardinier repentant.

© Éric Schoenzetter.
© Éric Schoenzetter.
Autre tableau et même procédé à visée comique lorsque l'auteur place dans la bouche du banquier venu solder la succession : "Il y a des héritiers, mais aucun testament". Cette fois-ci, le clin d'œil est adressé au poète René Char – "Notre héritage n'est précédé d'aucun testament" – dont la pensée est accommodée à la sauce de l'auteur en veine d'inspiration… "C'est comme un pudding, on peut mettre n'importe quoi", saillie synthétique du concepteur du projet artistique sentant, qu'à toutes fins utiles, il serait bon de rappeler une fois pour toutes – par le biais de l'un de ses personnages – que l'on est bien là dans un second degré manifeste.

Le portrait de ce père, alcoolique, sans foi ni loi, sera encore complété par une révélation dévoilant pourquoi le fils adopté est devenu ipso facto "le fils préféré". En effet, lorsque le fantôme du psychiatre avance au "petit métis des colonies" venu le consulter : "La crème de votre père, matière blanche et liquide sur votre bouche, vous empêche de crier…", il n'y a plus guère d'équivoque sur la nature de la préférence que lui accordait son père adoptif.

Le côté hard de la peinture de ce père abuseur se double de la hardiesse se voulant décomplexée des registres de langue s'entrecroisant comme les vivants et les morts se croisent dans un flux et reflux donnant le tournis. Pour exemple, on citera le jeu de mots à faire s'étrangler la plus austère des bigotes ("avec plus que lisieux pour pleurer") ou le langage cru brandit comme un doigt d'honneur adressé à qui le prendra pour lui ("tu te mets le doigt dans l'œil, ça le changera des fesses").

Quant à la chute – c'est une comédie, humaine… –, elle célébrera la mort du père par une réconciliation des frères, de la sœur et de la mère, tous réunis autour de la dépouille pas encore refroidie, dont on aura pris soin de brûler les carnets pour réduire en cendres les traces écrites à haute valeur toxique… Le temps est enfin venu de recomposer de toutes pièces un autre récit du patriarche, un récit… "aimable".

Au terme de cette représentation, menée tambour battant par des comédiennes et comédiens au-dessus de tous soupçons (de belles performances sont à mettre à leur actif), on n'est pas cependant sans ressentir une certaine insatisfaction… Sans nier aucunement l'intérêt des intentions nourrissant ce projet – déglinguer la figure du patriarche, engendreur de névroses familiales –, on se demande si mêler autant d'ingrédients de natures opposées (bouffonneries, arlequinades, drames et abjections) dans la même proposition est une bonne idée dramaturgique, "l'effet non désiré" se soldant par une confusion assourdissante. La comédie, y compris grinçante, exige sans doute plus de rigueur dans son traitement et son écriture, moins de surcharges, les ficelles utilisées là pouvant parfois prendre allure de cordes.

"Mon père (pour en finir avec)"

© Éric Schoenzetter.
© Éric Schoenzetter.
Texte : Pierre Notte, édité aux éditions L'avant-scène théâtre.
Mise en scène : Pierre Notte.
Avec : Muriel Gaudin, Benoît Giros, Silvie Laguna, Pierre Notte, Shékina, Clyde Yeguete.
Collaboration artistique : Éric Schoenzetter.
Lumières : Éric Schoenzetter.
Costumes : Sarah Leterrier.
Production : Compagnie Les Gens qui tombent.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 30.

•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 21 h 30. Relâche le mercredi.
Théâtre des Halles, Jardin, 22, rue du Roi René, Avignon.
Réservations : 04 32 76 24 51.
contact@theatredeshalles.com
>> theatredeshalles.com

Yves Kafka
Mercredi 24 Avril 2024

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024