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Avignon 2024

•Off 2024• "Larzac !" Un cri de ralliement autour d'une utopie qui vit et fait vivre toute une communauté sous des lois différentes

Il serait vain de vouloir résumer, raconter, ici, la trame et les personnages qui font vivre ce spectacle. Une page ne suffirait pas à en contenir une infime partie qui, donnée ainsi hors de son contexte, hors de sa forme, hors de l'univers et de l'histoire dont elle dépend, serait incompréhensible. Un univers parfaitement concret, historique avec un grand H même. Le Larzac. Un bout de terre au sud du Massif central, un haut-plateau peuplé seulement de paysans et d'une base militaire.



© Compagnie 13.36.
© Compagnie 13.36.
L'histoire commence bien avant nos jours, bien avant ce qui va nous être dévoilé dans le spectacle. Elle débute en 1902, lorsque l'État français crée un camp militaire dans le Larzac-nord (au sud de Millau). Elle se poursuit en 1971 lorsque l'État annonce le projet d'extension de la base militaire (une superficie multipliée par six). Six mois plus tard, 103 paysans touchés par les expulsions publient le "serment des 103". Ils y annoncent leur intention de ne pas quitter leurs terres. Un appel qui déclenchera un mouvement de désobéissance civile parmi la population française, surtout des jeunes, qui mobilisera près de 100 000 personnes durant la décennie qui suivit. Une mobilisation qui repoussera le projet jusqu'en 1981, date à laquelle François Mitterrand y mit fin.

Voici donc le contexte de "Larzac !". Un contexte qui va engendrer la création d'un collectif original, sans doute unique au monde, qui a inventé et continue d'inventer une nouvelle organisation de la vie paysanne. C'est de cela dont il est question dans le spectacle de Philippe Durand : l'histoire de ce collectif qui a arraché son existence à l'État français par une volonté farouche et déterminée de garder la main sur l'avenir et préserver un territoire.

© Compagnie 13.36.
© Compagnie 13.36.
Le premier acte fut de négocier avec l'État un bail emphytéotique avec la Société Civile des Terres du Larzac (la SCTL, détentrice du bail jusqu'en 2085). C'est sous cette forme, la SCTL, que vont être créées ces nouvelles organisations sociales, paysannes qui perdurent aujourd'hui, et même s'agrandissent et prospèrent. Philippe Durand s'est longuement rendu sur le plateau du Larzac, il y a rencontré des dizaines d'habitants qui font partie de ce projet. Certains y vivent depuis quarante ans, ils ont participé à l'invention de la SCTL et de sa philosophie communautaire. Ce sont ces personnages, tous incarnés avec une force narrative fascinante par Philippe Durand, qui vont nous ouvrir une fenêtre sur leur manière de vivre.

Oui, il y a un souffle d'utopie dans les vies de ces personnages. Un ordre différent règne. Des règles qui paraissent bizarres, étranges, presque impossibles et qui pourtant sont la source d'une réelle sécurité, d'une réelle implication dans les règles communes. Ici, personne n'est propriétaire, ni de sa maison, ni de ses terres. Pas de spéculation. Lorsque l'un d'entre eux part à la retraite, il laisse sa ferme au suivant, (sans contrepartie sinon une valeur d'usage) un suivant choisi par le conseil de gérance sur audition, car il s'agit d'un véritable choix de vie. Bref, l'organisation du territoire n'est pas juste un assemblage de règles différentes des règles usuelles dans le reste du pays, mais d'un esprit d'implication dans le travail et de partage de l'outil de travail différent.

© Compagnie 13.36.
© Compagnie 13.36.
En un peu moins d'une heure trente, Philippe Durand campe plusieurs dizaines de ces habitants des hauts-plateaux du Larzac. Des témoignages, tous, particuliers, personnels, emprunts de gouaille, d'accents forts comme ceux de l'Aveyron, de points de vue différents. Voilà la force et l'honnêteté que développe l'auteur-comédien dans cet exercice. Rien de manichéen. Son texte (édité chez Libertalia) se veut autant chair qu'esprit, il recèle un langage rugueux et poétique qui donne, avec son interprétation, une vibrante incarnation de chacun de ces personnages.

Ce que réalise là Philippe Durand est du pur miel, du souffle chaud, de l'abondance intelligente, du sensible, du vrai, et une tonne et demie de connaissances révélées à la plupart d'entre nous. On y apprend, on y goûte les accents, on y savoure les émotions sensibles, on y aime tous ces personnages qui prônent l'intelligence collective plus que l'individuelle, et cela fait du bien.

Il n'en est pas à son coup d'essai, Philippe Durand. Il y a quelques années, il avait déjà créé un spectacle à partir d'éléments recueillis dans une autre sphère de nos sociétés, l'industrie. Cela s'appelait 1336 (Parole de FRALIB). Déjà une expérience d'autogestion qui, cette fois, avait opposé les ouvriers d'une usine de fabrique de Thé Éléphant à la direction du groupe (UNILEVER), et la victoire du collectif (une reprise de l'outil de production qui continue encore sous l'excellente marque de thé et d'infusion 1336 – le nombre de jours de grèves…).
◙ Bruno Fougniès

"Larzac !"

© Compagnie 13.36.
© Compagnie 13.36.
Texte : Philippe Durand.
Mise en scène : Philippe Durand.
Interprétation : Philippe Durand.
À partir de 13 ans.
Compagnie 13.36.
Durée : 1 h 25.

•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 18 h 45. Relâche le mercredi.
Théâtre des Halles, La Chapelle, 22, rue du Roi René, Avignon.
Réservations : 04 32 76 24 51.
>> theatredeshalles.com

Bruno Fougniès
Jeudi 11 Juillet 2024

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Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
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© Philippe Hanula.
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Brigitte Corrigou
09/10/2024
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© Pierre Gondard.
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© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024