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Avignon 2024

•In 2024• "Quichotte" Le chevalier à la triste figure, égaré là dans des bouffonneries un tantinet ahanantes

Pourtant, cette forme cochait sur le papier toutes les cases… "Le" roman picaresque par excellence, celui de Cervantes, terreau de l'adaptation ; la fougue généreuse de son metteur en scène, Gwenaël Morin, adepte expert en théâtre de tréteaux (sans tréteaux) ; l'interprète du héroïssime hidalgo Alonso, la truculente Jeanne Balibar ; son écuyer en la personne de Thierry Dupont, musicien entretenant avec son personnage une bonhomie physique de bon aloi ; et enfin, dans le rôle de la récitante décalée et de Rossinante, la monture du chevalier errant, Marie-Noëlle Genod au magnétisme troublant… Cependant, malgré cette distribution à la hauteur de l'"enjeu", on ressort de cette chevauchée ahanante avec un goût d'inachevé…



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Dans le Jardin de la rue de Mons jouxtant la Maison Jean Vilar, chantre du théâtre populaire (TNP), non loin des gradins dressés pour l'occasion, une méchante toile tendue au-dessus d'un clavier électronique, des feuillets imprimés du livre culte de Cervantes tapissant une palissade, quelques cartons entreposés qui serviront à l'accoutrement du chevalier errant, plantent le décor de l'épopée héroïque qui se prépare. Un théâtre épique qui, en accord avec les prescriptions du "théâtre pauvre" de Jerzy Grotowski, reposera entièrement sur la puissance suggestive du corps de l'acteur… sollicitant à son tour les capacités d'imagination du spectateur-regardeur.

Dans une adresse directe au public inscrit ainsi dans l'histoire, lecture est faite du contexte, comme un rappel "pour les nuls" des folles aventures de cet hidalgo de la Manche, féru de romans de chevalerie au point de vendre ses terres pour acheter des livres. Mais "à force de lire beaucoup et de dormir peu", que pensez-vous qu'il arriva ? Son cerveau se dessécha… L'esprit envolé, l'idéal de chevalerie chevillé au corps, il s'intronisa alors chevalier errant afin d'aller combattre par monts et par vaux l'injustice d'ici-bas… Et tandis que la récitante tente de faire entendre les premières pages du roman, les bruits de marteaux de Quichotte (il a déjà perdu sa particule respectueuse), s'échinant à redresser une vieille armure cabossée s'avérant être deux cartons enfilés par la tête, couvrent sa voix. Armure, heaume, bouclier (en carton recyclable) revêtus et lance (en bois) en main, le furieux chevalier grimaçant à se tordre la mâchoire fait son apparition, prêt à en découdre avec l'injustice du monde cruel.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Dès lors, le public est mis à contribution. Les spectatrices du premier rang deviendront des prostituées au cœur noble, des drôlesses croisées se métamorphosant en gentes dames, et la cour (le Jardin de la rue de Mons), celle d'un imposant château où Quichotte passera la nuit après que son fidèle écuyer, le ventru Sancho Panza (panse en espagnol), lui eut préparé sa couche chevaleresque. Quant au chevalier, fidèle à ses vœux, lorsqu'il entendra au loin les cris "d'un nécessiteux ou d'une nécessiteuse nécessitant sa nécessaire intervention", il revêtira son casque et, lance à la main, s'élancera, de ses petits pas précipités, au galop.

Redresseur de torts, réparateur d'iniquités, qualités qu'il s'empresse de déclamer pour réclamer d'un bon bourgeois qu'il verse son dû à un manant… lequel sera payé en retour de coups de bâtons, dès le chevalier les talons tournés. Et lorsque le narrateur sortira de la réserve livresque à laquelle il est astreint pour oser demander au vaillant chevalier de lui montrer sa Dulcinée, "aurait-elle un œil en moins", ce dernier pète grave les plombs en lui faisant payer ce blasphème par un numéro de lance… le précipitant lui à terre, sonné mais chantant.

Suivront encore des "tableaux vivants" comme celui de l'autodafé des livres du chevalier afin de sauver sa raison délirante mise à l'épreuve par le diable qui se cache entre les lignes. Sous les "oh !" admiratifs de la récitante égrenant les titres, les romans seront jetés en tas pour être brûlés vifs. Ou encore, la séquence où Sancho Panza, très en verve, apprendra au public à bouger en rythme cadencé les bras, levés en l'air comme des ailes de moulins (que son maître prend lui – évidemment – pour des géants démesurés) tout en entonnant à l'appui la chansonnette.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Quichotte, apercevant alors ces géants fondre sur lui, n'écoutant que son courage "démentiel", se précipitera sur eux… pour se retrouver face à nous, la lance brisée et renversé sur les genoux de la récitante… Chute (de l'histoire) ponctuée par ses mots du chevalier sonné : "Je me souviens avoir vu ce Seigneur… Il fut un combattant ardent. On le nomma "L'assommoir" tant il renversa de Mahométans".

Si certains tableaux valent par les mimiques furibardes de Jeanne Balibar interprétant un Quichotte déjanté à souhait et mis en valeur par les protagonistes qui l'accompagnent, on reste toutefois un peu sceptique à plusieurs niveaux… D'une part, le rythme vient à manquer et, entre quelques moments forts, des longs temps de latence créent des failles spatio-temporelles (bref, on décroche…) où l'ennui s'invite. La force du "théâtre pauvre" est de maintenir continuellement l'intérêt par l'attraction exercée par le corps de l'acteur qui, ici, disparaît (au sens propre) à plusieurs "reprises" des radars.

Ensuite le parti pris (certes assumé) de transformer l'anti-héros utopiste, âgé de quatre siècles, en bouffon de premier ordre, sans lui accorder le bénéfice d'être – aussi – un idéaliste, rêveur patenté, s'en prenant à l'ordre décrété par un vieux monde conservateur inapte à satisfaire ses désirs d'élévation généreuse, est une option… Une option artistique qui pourrait paraître céder à l'appel du divertissement "quoi qu'il en coûte", promu par les agents culturels du politiquement correct. Bref, quelle que soit la valeur, elle, incontestable, des participant(e)s, ce projet ne nous semble pas de nature à générer une "folle adhésion".
◙ Yves Kafka

Vu le jeudi 18 juillet 2024 dans le Jardin de la rue de Mons, Maison Jean Vilar à Avignon.

"Quichotte"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
France – Création 2024 Festival d'Avignon.
D'après l'œuvre de Miguel de Cervantes.
Adaptation, mise en scène et scénographie : Gwenaël Morin.
Avec : Jeanne Balibar, Thierry Dupont, Marie-Noëlle, Léo Martin.
Lumière : Philippe Gladieux.
Assistant à la mise en scène : Léo Martin.
Travail vocal : Myriam Djemour.
Costumes : Élsa Depardieu.
Régie générale et lumière : Loïc Even.
Régie plateau : Jules Guittier.
Durée : 2 h.

"Don Quichotte" de Miguel de Cervantes, traduction Jean-Raymond Fanlo, est publié aux Éditions Le Livre de Poche.

•Avignon In 2024•
A été joué du 1er au 20 juillet 2024.
Représenté à 22 h.
Jardin de la rue de Mons, Maison Jean Vilar, Avignon.
>> festival-avignon.com

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Tournée
Du 18 au 21 septembre 2024 : Bonlieu - Scène nationale, Annecy (74).
Du 26 septembre au 12 octobre 2024 : Grande Halle La Villette, Paris 19e.
Du 15 au 18 octobre 2024 : TnBA, Bordeaux (33).
7 et 8 novembre 2024 : Malraux - Scène nationale de Chambéry Savoie, Chambéry (73).
14 et 15 novembre 2024 : Les Salins - Scène nationale, Martigues (13).
Du 20 au 23 novembre 2024 : Théâtre Saint-Gervais, Genève (Suisse).
Du 26 au 28 novembre 2024 : La Filature - Scène nationale, Mulhouse.
Mars 2025 : Théâtre Vidy-Lausanne, Lausanne (Suisse).
Du 18 au 22 mars 2025 : Théâtre Sorano - Scène conventionnée, Toulouse (31).
25 et 26 mars 2025 : La Coursive - Scène nationale, La Rochelle (17).
29 et 30 avril 2025 : Théâtre du Bois de l'Aune, Aix-en-Provence (13).

Yves Kafka
Lundi 22 Juillet 2024

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À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

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Gil Chauveau
26/03/2024