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Avignon 2024

•In 2024• "Qui som ?" Non plus "être ou ne pas être", mais recolorer la vie en explosant les disciplines…

Comme un ovni venu de quelque planète facétieuse, l'énergie fabuleuse de Baro d'evel, troupe franco-catalane, fait voler en éclats les cadres contraignants des disciplines, de la discipline ! Une cohorte d'artistes aux allures faussement sages, venus indifféremment du cirque, de la danse, de la musique, des arts plastiques et artisanaux pour former communauté artistique, conjuguent à l'envi leurs talents sur un plateau bientôt transfiguré par leur présence atypique. L'effet rendu par cette déferlante hybride est "plastiquement" impressionnant… Un peu moins peut-être le sont quelques passages parlés où des éléments de langage fleurent le trop-plein d'évidences humainement compatibles.



© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Accueillis par les comédiens postés droits comme un "i" dans les galeries peuplées de poteries artisanales menant aux gradins du Lycée Saint-Joseph, les spectateurs deviennent eux-mêmes figurants du spectacle… Ce qui se confirmera à la toute fin, lorsque le public sera invité à suivre les artistes dans la cour du Lycée. Là se conclura le spectacle par un concert gratuit improvisé, agrémenté, bonus, de la fabrication en direct de poteries artisanales (vendues un peu chero, l'art a un coût…).

En ouverture, deux musiciens, dont l'un muni d'un énorme tuba, franchiront à plusieurs mètres de hauteur l'encadrement d'une fenêtre pour, en équilibre sur une corniche étroite, donner "de la voix". Un de leurs complices, plus "terre à terre", lui, bousculera maladroitement (!) une poterie qui se brisera en bord de plateau, tentera de faire disparaître les morceaux, et se mettra en peine d'en fabriquer une autre en plaquant un pain d'argile sur un tour de potier. Numéro burlesque se prolongeant par des catastrophes en chaine commentées de manière décalée…

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Suivra une musique discordante accompagnant les comédiens choristes, les pieds plantés dans une flaque d'eau blanchâtre. Le noir immaculé de leurs tenues bientôt sera souillé par les éclaboussures héritées de fabuleuses glissades et chutes les précipitant nez et ventre contre sol, bras écartés, pendant que la cheffe de chœur, imperturbable, fera résonner sa puissante et belle voix dans l'enceinte de la cour. Chorégraphie millimétrée d'une hécatombe annoncée prenant valeur d'un tableau de maître, "Le Radeau de la Méduse" version animée.

Plongée dans l'univers surréaliste offerte par la saynète suivante, découvrant des créatures "humaines" dont la tête a été remplacée par des poteries. Poteries bientôt trouées au niveau des yeux et maculées de sang, avant que, trinquant entre elles, un liquide noir ne s'écoule de l'emplacement de leur bouche. Cérémonie énigmatique résonnant comme un rituel de sorcellerie vaudou.

"Délire" haut en couleur présentant ainsi les multiples facettes d'une boule-miroir reflétant des images (à peine) déformées des humains dans tous leurs états… "Qui sommes-nous ?", questionnait le titre… Voici quelques (d)ébauches de réponses… complétées par d'autres tableaux tout autant décalés, au rang desquels on citera un chien traversant le plateau, une montagne se déplaçant, un plancher recouvert d'impressionnants monceaux de bouteilles plastiques roulant sous les pieds des protagonistes, etc. Un inventaire à la Prévert n'y suffirait pas pour évoquer les richesses de créativité "plastique" mises à l'œuvre.


© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Quand, au final, il s'agira de s'adresser à la foule pour dispenser un message de concorde générale en apprenant à aimer inconditionnellement les autres – "morale" du spectacle, en avait-il vraiment besoin ? – l'adhésion sera moins évidente. En effet, même si le ton se voudra raccord avec les superbes tableaux décalés précédents, l'esprit de sérieux dénotera. Cependant, à cette remarque près, on ne peut que se réjouir de ces superbes performances de haut vol, de nature à recolorer une époque morose.
◙ Yves Kafka

Vu le mardi 9 juillet 2024 dans la Cour du Lycée Saint-Joseph d'Avignon.

"Qui som ?"

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
France - Espagne (Catalogne) - Création 2024.
Conception et mise en scène : Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias.
Collaboration à la mise en scène : Maria Muñoz, Pep Ramis (Mal Pelo).
Collaboration à la dramaturgie : Barbara Métais-Chastanier.
Avec : Lucia Bocanegra, Noëmie Bouissou, Camille Decourtye, Miguel Fiol, Dimitri Jourde, Chen-Wei Lee, Rita Mateu Trias en alternance avec Amir Ziegler, Yolanda Sey, Julian Sicard, Marti Soler, Maria Carolina Vieira, Guillermo Weickert, Blaï Mateu Trias.
Collaboration musicale : Pierre-François Dufour.
Scénographie et costumes : Lluc Castells.
Lumière : María de la Cámara, Gabriel Paré.
Son : Fanny Thollot.
Recherche des matières et des couleurs : Benoît Bonnemaison-Fitte "Bonnefrite".
Ingénieur percussions céramiques : Thomas Pachoud.
Céramiste : Sébastien De Groot.
Régie générale : Samuel Bodin, Romuald Simonneau.
Régie plateau : Mathieu Miorin.
Régie plateau céramiste : Benjamin Porcedda.
Régie son : Chloé Levoy.
Régie lumière : Enzo Giordana.
Habillage : Alba Viader.
Durée : 2 h 30.

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
•Avignon In 2024•
Du 3 au 14 juillet 2024.
Représenté à 22 h.
Cour du Lycée Saint-Joseph, Avignon.
Réservations : 04 90 14 14 14, tous les jours de 10 h à 19 h.
>> festival-avignon.com

Tournée
19 et 20 juillet 2024 : Festival les Nuits de Fourvière, Lyon (69).
Du 25 au 27 juillet 2024 : Grec Festival de Barcelona, Barcelone (Espagne).
Du 2 au 4 août 2024 : Festival La Strada, Graz (Autriche).
Du 26 au 28 septembre 2024 : Romaeuropa Festival, Rome, (Italie).
Du 2 au 4 octobre 2024 : Théâtre 71 Scène nationale Malakoff avec Théâtre Châtillon Clamart, Les Gémeaux Scène nationale, Sceaux (92).
Du 11 au 13 octobre 2024 : Théâtre de Liège (Belgique).
Du 31 octobre au 2 novembre 2024 : Halles de Schaerbeek, Bruxelles(Belgique).
Du 13 au 16 novembre 2024 : Tandem - Scène nationale d'Arras-Douai, Douai (59).

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Du 2 au 22 décembre 2024 : ThéâtredelaCité - CDN Toulouse Occitanie, Toulouse (31).
Du 10 au 12 janvier 2025 : Le Parvis - Scène nationale Tarbes-Pyrénées, Ibos (65).
Du 22 janvier au 1er février 2025 : MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny (93).
Du 18 au 22 février 2025 : La Comédie, Genève (Suisse).
Du 18 au 21 mars 2025 : Théâtre Dijon Bourgogne - CDN, Dijon (21).
27 et 28 mars 2025 : Théâtre des Deux rives - CDN, Rouen (76).
1er et 2 avril 2025 : Le Volcan - Scène nationale, Le Havre (76).
24 et 25 avril 2025 : Équinoxe - Scène nationale, Châteauroux (36).
Du 6 au 9 mai 2025 : Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne (64).
14 et 15 mai 2025 : Le Grand R - Scène nationale, La Roche-sur-Yon (85).

Yves Kafka
Vendredi 12 Juillet 2024

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À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024