Seul en scène (mais pas dans sa tête), l'acteur catalan Joan Carreras excelle dans ce rôle taillé à sa (dé)mesure. À tel point que, plus le spectacle progresse, plus lui semble régresser de quelques siècles pour se confondre avec le personnage shakespearien. Comme si pour réussir (enfin !) à endosser correctement un rôle, il avait fallu qu'il se découvre des correspondances électives avec ce personnage, relations si fortes qu'il en a perdu les esprits.
Sa présence sur la scène avant que tout ne commence, le découvre en costume de ville, jouant l'histrion, buvant un thé dans une pause étudiée, battant la mesure négligemment ou encore exerçant les muscles de la bouche afin de délivrer son monologue. Et, soudain, surgissant de lui-même, il se lance dans une déclamation pleine de colère commençant par : "Moi Richard d'York, quelque chose sent le pourri…". Puis, stoppant net sa tirade, reprenant son statut d'acteur, statut acté par une adresse directe au public, il lance : "Voici les paroles, elles sont là… Il reste à les manger !". Submergé par l'excitation qui l'envahit, il part dans une logorrhée vindicative charriant ses failles. Lui, le pas beau, le déshérité sur lequel aucun regard admiratif ne s'est jamais posé, se sent soudain devenir celui que tout le monde va bader tant son interprétation de Richard III sera d'une ressemblance confondante…
Sa présence sur la scène avant que tout ne commence, le découvre en costume de ville, jouant l'histrion, buvant un thé dans une pause étudiée, battant la mesure négligemment ou encore exerçant les muscles de la bouche afin de délivrer son monologue. Et, soudain, surgissant de lui-même, il se lance dans une déclamation pleine de colère commençant par : "Moi Richard d'York, quelque chose sent le pourri…". Puis, stoppant net sa tirade, reprenant son statut d'acteur, statut acté par une adresse directe au public, il lance : "Voici les paroles, elles sont là… Il reste à les manger !". Submergé par l'excitation qui l'envahit, il part dans une logorrhée vindicative charriant ses failles. Lui, le pas beau, le déshérité sur lequel aucun regard admiratif ne s'est jamais posé, se sent soudain devenir celui que tout le monde va bader tant son interprétation de Richard III sera d'une ressemblance confondante…
Dans sa rage de clown grotesque, il se déboite l'épaule. Se saisit des cordes de la Tour de Londres et se blesse à nouveau. N'importe, l'essentiel n'est-il pas d'être Richard III, d'épouser ses fureurs pour, au travers du personnage, dire des choses encore plus profondes sur l'existence. Et si Richard III est plus que Richard III, il peut donc être lui… Pour ce faire, il lit une note aide-mémoire qu'il a glissée dans sa poche : "Jouer avec l'idée du sanglier". Ainsi l'image de l'animal brutal intégrée, ingérée, il ne jouera pas… mais sera le roi tyran.
Se mettant à résumer à la vitesse d'une mitraillette enrayée la pièce de Shakespeare, il s'arrête sur "la dispute familiale" initiale mettant en jeu la reine Marguerite, veuve d'Henry VI, revenue à la Cour dont elle est bannie, son époux et son fils étant eux occis par le tyran. La représentant sous la forme d'une perruque-serpillière, il cite ses propos hourdés d'imprécations virulentes contre Richard III, la trouvant cette tirade haineuse… d'une facture merveilleuse… et en profite au passage pour reprendre vertement un spectateur qui semblait douter de la beauté exquise de l'iambe shakespearien… La présentation de la famille royale étant faite, il lui reste à passer à la présentation de sa propre lignée – moins prestigieuse, certes ! – mais non moins valeureuse… Un château familial sera bâti, auquel il donnera tout naturellement le nom de Joan III…
Se mettant à résumer à la vitesse d'une mitraillette enrayée la pièce de Shakespeare, il s'arrête sur "la dispute familiale" initiale mettant en jeu la reine Marguerite, veuve d'Henry VI, revenue à la Cour dont elle est bannie, son époux et son fils étant eux occis par le tyran. La représentant sous la forme d'une perruque-serpillière, il cite ses propos hourdés d'imprécations virulentes contre Richard III, la trouvant cette tirade haineuse… d'une facture merveilleuse… et en profite au passage pour reprendre vertement un spectateur qui semblait douter de la beauté exquise de l'iambe shakespearien… La présentation de la famille royale étant faite, il lui reste à passer à la présentation de sa propre lignée – moins prestigieuse, certes ! – mais non moins valeureuse… Un château familial sera bâti, auquel il donnera tout naturellement le nom de Joan III…
Se prenant au jeu, l'acteur met en scène ses propres "désirs de réparation" en accueillant en lui le tyran, le personnage ignoblement fort qu'il aspire à être. Outre l'absence de sens moral, le cynisme, l'insolence (il s'en prend aux spectateurs !), il va partager son ambition démesurée, personne et personnage ne feront désormais plus qu'un.
Le problème qu'il rencontrera dans la voie de son ascension irrésistible n'est pas l'adhésion – on l'aura compris – à son personnage… Le problème, c'est la réalité qui lui résiste, celle des subventions qui font défaut, celle de la troupe pas au niveau et celle de ce metteur en scène qui n'a rien compris à Shakespeare… Sortant de ses gonds, il détruira le décor et renverra paître, dans une crise démentielle digne de Richard III, scénographe et metteur en scène. Lui, seul, à l'instar de son double théâtral, sait, a le pouvoir de savoir, ce que théâtre veut dire… Il recherchera alors désespérément dans la salle quelqu'un qui pourrait venir à son secours, un spectateur, un seul, qui le comprenne dans son combat contre l'ignorance généralisée, contre la méconnaissance crasse du théâtre, de son théâtre.
Le problème qu'il rencontrera dans la voie de son ascension irrésistible n'est pas l'adhésion – on l'aura compris – à son personnage… Le problème, c'est la réalité qui lui résiste, celle des subventions qui font défaut, celle de la troupe pas au niveau et celle de ce metteur en scène qui n'a rien compris à Shakespeare… Sortant de ses gonds, il détruira le décor et renverra paître, dans une crise démentielle digne de Richard III, scénographe et metteur en scène. Lui, seul, à l'instar de son double théâtral, sait, a le pouvoir de savoir, ce que théâtre veut dire… Il recherchera alors désespérément dans la salle quelqu'un qui pourrait venir à son secours, un spectateur, un seul, qui le comprenne dans son combat contre l'ignorance généralisée, contre la méconnaissance crasse du théâtre, de son théâtre.
Son dernier combat, un acteur (lui !) pour un spectateur intelligent… "Mon royaume pour un spectateur intelligent !", telle sera en effet, avant que le noir du théâtre ne l'ensevelisse, la dernière parole de celui qui épousera jusqu'à en mourir (de rire) le destin de son illustre personnage… lequel, se sentant perdu, s'était écrié sur le champ de bataille : "Un cheval pour mon royaume !"… Ainsi en va-t-il de l'acteur et de son double, s'épaulant mutuellement pour délivrer, tambour battant et humour en étendard, une fable enjouée sur le théâtre dans le théâtre.
◙ Yves Kafka
Vu le samedi 20 juillet 2024 au Théâtre Benoît XII à Avignon.
◙ Yves Kafka
Vu le samedi 20 juillet 2024 au Théâtre Benoît XII à Avignon.
"Història d'un senglar (o alguna cosa de Ricard)"
Uruguay - Espagne (Catalogne).
Spectacle en catalan surtitré en français et anglais.
D'après "Richard III" de William Shakespeare.
Texte : Gabriel Calderón.
Mise en scène : Gabriel Calderón.
Assistante à la mise en scène : Olivia Basora.
Traduction : Joan Sellent.
Avec : Joan Carreras.
Traduction pour le surtitrage : Laurent Gallardo (français), Ailish Holly, Eulàlia Morros (anglais).
Scénographie : Laura Clos "Closca".
Lumière : Ganecha Gil.
Costumes : Sergi Corbera.
Conception personnage et assistant costumes : Núria Llunell.
Régie général : Roser Puigdevall.
Régie son : Ramón Ciércoles.
Durée : 1 h 10.
•Avignon In 2024•
A été joué du 12 au 21 juillet 2024.
Représenté à 19 h.
Théâtre Benoît XII, Avignon.
>> festival-avignon.com
Spectacle en catalan surtitré en français et anglais.
D'après "Richard III" de William Shakespeare.
Texte : Gabriel Calderón.
Mise en scène : Gabriel Calderón.
Assistante à la mise en scène : Olivia Basora.
Traduction : Joan Sellent.
Avec : Joan Carreras.
Traduction pour le surtitrage : Laurent Gallardo (français), Ailish Holly, Eulàlia Morros (anglais).
Scénographie : Laura Clos "Closca".
Lumière : Ganecha Gil.
Costumes : Sergi Corbera.
Conception personnage et assistant costumes : Núria Llunell.
Régie général : Roser Puigdevall.
Régie son : Ramón Ciércoles.
Durée : 1 h 10.
•Avignon In 2024•
A été joué du 12 au 21 juillet 2024.
Représenté à 19 h.
Théâtre Benoît XII, Avignon.
>> festival-avignon.com