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Théâtre

"Gros Câlin" Une adaptation vive et intelligente pour exprimer encore et encore l'isolement et la solitude de l'homme aujourd'hui

Remailler culturellement, théâtralement le tissu rural. Agir et intervenir au cœur des territoires agricoles, souvent les grands oubliés de la décentralisation théâtrale… c'est le choix qu'on fait, en 2014, deux artistes à leur sortie du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris. Ainsi, nouveaux enfants de la décentralisation, Julie Roux et Étienne Durot vont créer, à Toulon-sur-Arroux (Saône-et-Loire), la compagnie Cipango et investir un lieu municipal avec l'objectif de pratiquer le partage de la culture sous ses différentes formes artistiques et instiller une forme nouvelle de la culture du partage.



Vue de la salle durant les répétitions © Cie Cipango.
Vue de la salle durant les répétitions © Cie Cipango.
Julie Roux (autrice, metteuse en scène et actrice) et Étienne Durot (acteur et metteur en scène), codirigeants de Cipango, vont être rapidement rejoints par Yeelem Jappain (autrice, metteuse en scène et actrice). Ensemble, depuis 2015, ils programment, accueillent et organisent des résidences artistiques au Moulin des Roches à Toulon-sur-Arroux dans le cadre du Contrat Local d'Éducation Artistique.

Cet équipement, mis à leur disposition par la commune, comprend une salle confortable d'environ une cinquantaine de places ainsi qu'un appartement de quatre chambres pouvant loger jusqu'à huit personnes. Soutenus notamment par le département, ils vont acquérir petit à petit le matériel technique nécessaire permettant aux compagnies accueillies de soulager leur budget, sachant qu'un régisseur général permanent est également à leur disposition.

En plus de la présentation publique du travail de ces dernières (sorties de résidence, concerts, représentations classiques dans le cadre d'une programmation annuelle), des interventions d'éducation artistique et culturelle dans les écoles primaires partenaires, la Cie Cipango propose ses propres créations au Moulin des Roches, mais sait aussi se confronter à la multiplicité des propositions parisiennes. C'est le cas en ce mois de février avec "Gros-Câlin" et "Quentin et Jérémie"* présentés au Théâtre du Chariot dans le 11ᵉ.

© Lionel Souci.
© Lionel Souci.
Un python pour ami
"Lorsqu'on a besoin d'étreinte pour être comblé dans ses lacunes, autour des épaules surtout, et dans le creux des reins, et que vous prenez trop conscience des deux bras qui vous manquent, un python de deux mètres vingt fait merveille. Gros-Câlin est capable de m'étreindre ainsi pendant des heures et des heures."

En quête d'amour, mais sans succès, M. Cousin, un jeune statisticien, ramène d'Afrique un python qu'il nomme Gros-Câlin… Cela afin de lui procurer une quotidienne compagnie qui lui fait défaut, le reptile ayant la capacité de l'illusion affectueuse en l'enlaçant, l'enroulant, tendrement ou pas, dans une puissante étreinte. Mais la vie parisienne pour un serpent n'est pas simple et ne va pas sans tracas. Objet de curiosité pour certains et repoussoir pour d'autres, Gros-câlin devient vite un obstacle supplémentaire dans la recherche de l'urbain Cousin d'une réelle âme sœur. De cette aventure reptilienne, l'humain n'en sortira pas totalement indemne.

Entrée au ralenti sur fond d'opéra. Présentation de Gros-Câlin, puis de Blondine, la souris blanche, et de sa solitude dans un appartement parisien. Parler de la solitude du petit rongeur blanc est bien sûr une façon à peine détournée de parler de sa propre solitude. Puis cela va plus vite. Le récit s'accélère et les situations ou anecdotes s'enchaînent rapidement. Étienne Durot insuffle une rythmique particulière au texte de Romain Gary, avec une musicalité pleine de reliefs, avec des emballements de la cadence verbale, avec, parfois, une sorte de folie démesurée des propos.

© Lionel Souci.
© Lionel Souci.
L'adaptation de Julie Roux est vive, énergique, tant dans les séquences humoristiques, parfois condensées, parfois amplifiées, mais toujours subtilement bien mises en valeur, que dans la folie narratrice de certains passages du roman. Sa mise en scène est au diapason, dynamique et inventive, laissant au comédien exprimer une grande amplitude de jeu, celui-ci usant d'une palette d'émotions, de phrasés et d'une gestuelle parfaitement adaptés aux différents moments de cette fable tragi-comique.

En miroir à la notion d'isolement et de solitude, point central du roman de Gary, Aurélie Lemaignien crée une scénographie relativement épurée avec peu d'éléments de décor (fauteuil-lit, table de cuisine, bidet, portant, etc.), illustration d'un espace qui représenterait un tout petit appartement. Le fond de scène est, quant à lui, doté d'une "cloison" en toile marquée d'une fenêtre aveugle dont le store est habillé parfois d'images projetées, seule ouverture sur le monde extérieur et permettant au personnage de nous entraîner avec lui dans les méandres de sa pensée.

"… j'ai souhaité transmettre la force humoristique du texte. La langue de Romain Gary est inventive, percutante et extrêmement fluide. Nous avons voulu, le comédien et moi, restituer avec précision cette langue, son rythme, son intelligence et son humour. Enfin, ce qui m'a frappée et qui me semble extrêmement visionnaire dans ce texte de Gary, c'est qu'il est un véritable plaidoyer pour le retour à la nature… "

Le choix de Julie Roux est clairement de nous transporter au cœur de la solitude de l'homme moderne, de la déshumanisation croissante de nos sociétés. Elle traite ici avec sensibilité et lucidité de sujets difficiles – extériorisés avec finesse et vivacité par Étienne Durot – tels que l'isolement, la xénophobie, la solitude, la souffrance au travail et l'appauvrissement des relations humaines. À cela, vient se greffer la mise en valeur du final écologique du texte de Gary qui s'inscrit dans notre actualité brûlante où nous voyons le résultat de nos modes de vie toxiques pour la planète, nous confirmant de plus en plus comme une espèce en voie d'extinction…

… Et c'est en cela que la proposition de la Cie Cipango est une vraie réussite !
◙ Gil Chauveau

* Le spectacle "Quentin et Jérémie" fera l'objet d'un autre article mi-février.

"Gros Câlin"

Entrée du Moulin des Roches © Cie Cipango.
Entrée du Moulin des Roches © Cie Cipango.
D'après le roman de Romain Gary (Émile Ajar).
Adaptation : Julie Roux.
Mise en scène : Julie Roux.
Avec : Étienne Durot.
Musique : The Mothers of Love.
Création lumière : Thomas Rizzotti.
Création vidéo : Clément Chebli.
Scénographie : Aurélie Lemaignen.
Par Compagnie Cipango.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 05.

A été représenté du 17 au 19 janvier 2025 au Moulin des Roches, Toulon-sur-Arroux (71).

Du 23 janvier au 16 février 2025.
Du jeudi au dimanche à 19 h.
Théâtre du Chariot, 77 rue de Montreuil, Paris 11e, 01 48 05 52 44.
>> theatreduchariot.fr

Gil Chauveau
Mercredi 29 Janvier 2025

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© PKL.
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Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
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© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

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© DR.
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