"Colère noire", de Frédéric Jouanlong, est à prendre comme une œuvre au noir alliant la beauté convulsive du texte de Brigitte Fontaine - dont s'inspire l'artiste - à une interprétation radicale ne concédant rien aux conditions de réception du public… pouvant être un peu dérouté par la diction pas toujours très audible du performeur. L'essentiel semblant ailleurs : immerger chacun au cœur d'un maelstrom bouillonnant de frustrations rentrées et jaillissant "hors de lui" comme des écholalies en (con)fusion. Car ces mots, ces segments de phrases projetés violemment, d'où proviennent-ils ? Sont-ce les siens propres ou ceux de toutes ces rencontres introjectées et avec lesquelles il a "visiblement" fort à faire ?
Tout encapuchonné de noir, un homme au bord de la crise de nerfs grommelle, éructe sa colère noire. Sur le mur de moellons noircis de l'Atelier des Marches, un trait de lumière blanche, étroite fenêtre ouverte sur un monde clos, balaie l'espace, obsessionnellement. Se retournant pour lui faire face, l'homme brandit un doigt d'honneur rageur accompagnant sa harangue désarticulée dont les mots explosifs sont comme des projectiles lancés à la face d'un monde sourd à ses récriminations. Fuck aux psychiatres délivrant dans leur dictaphone leurs certificats d'(a)normalité, fuck aux autorités de tous poils dictant leurs lois délétères. En finir une fois pour toutes avec le jugement de Dieu, avec tous les jugements…
Tout encapuchonné de noir, un homme au bord de la crise de nerfs grommelle, éructe sa colère noire. Sur le mur de moellons noircis de l'Atelier des Marches, un trait de lumière blanche, étroite fenêtre ouverte sur un monde clos, balaie l'espace, obsessionnellement. Se retournant pour lui faire face, l'homme brandit un doigt d'honneur rageur accompagnant sa harangue désarticulée dont les mots explosifs sont comme des projectiles lancés à la face d'un monde sourd à ses récriminations. Fuck aux psychiatres délivrant dans leur dictaphone leurs certificats d'(a)normalité, fuck aux autorités de tous poils dictant leurs lois délétères. En finir une fois pour toutes avec le jugement de Dieu, avec tous les jugements…
À partir de l'opus éponyme de Brigitte Fontaine, la petite musique sourde de la révolte contenue s'enfle dans la pénombre intense, implose en vagues successives, pour venir se fracasser sur le mur des renoncements avilissants. Le performeur se fait réceptacle de ces tensions qui déchirent "l'égaré" soumis à l'intolérance d'une société normée dont la violence broie impitoyablement ceux et celles qui n'entrent pas dans le moule commun.
Les personnages qui l'habitent tour à tour - il est manifestement plusieurs dans sa tête et il semble que "la lumière" se soit retirée de tous les étages - mènent combat pour leur survie tant physique que psychique. "Je n'irai pas à votre hôpital. Je n'irai pas à votre école, à votre caserne, à votre four crématoire, à votre putain d'amour". On croit entendre l'Ernesto de Marguerite Duras, sauf que, là, il a grandi et est devenu ouvertement l'Homme révolté d'Albert Camus. Comment peut-on désirer un monde qui n'est pas désirable ?
Le propos est aiguisé comme une lame de rasoir, déchirant le tissu des convenances conservatrices. La scénographie, toute de noirs tendus, est aussi parlante que les toiles de Pierre Soulages jouant avec les nuances de ses "Outrenoir". Dommage que subsiste (de façon certes plus atténuée) la réserve émise lors de la présentation de la "saison froide" du festival : la diction qui - si on peut en "entendre" les justifications conceptuelles - prive parfois du plaisir intense de ressentir la brûlure des mots incandescents.
Les personnages qui l'habitent tour à tour - il est manifestement plusieurs dans sa tête et il semble que "la lumière" se soit retirée de tous les étages - mènent combat pour leur survie tant physique que psychique. "Je n'irai pas à votre hôpital. Je n'irai pas à votre école, à votre caserne, à votre four crématoire, à votre putain d'amour". On croit entendre l'Ernesto de Marguerite Duras, sauf que, là, il a grandi et est devenu ouvertement l'Homme révolté d'Albert Camus. Comment peut-on désirer un monde qui n'est pas désirable ?
Le propos est aiguisé comme une lame de rasoir, déchirant le tissu des convenances conservatrices. La scénographie, toute de noirs tendus, est aussi parlante que les toiles de Pierre Soulages jouant avec les nuances de ses "Outrenoir". Dommage que subsiste (de façon certes plus atténuée) la réserve émise lors de la présentation de la "saison froide" du festival : la diction qui - si on peut en "entendre" les justifications conceptuelles - prive parfois du plaisir intense de ressentir la brûlure des mots incandescents.
"Cuir", de la Cie Un loup pour l'homme, réunit dans l'arène du Marché de Lerme deux circassiens, méritant l'adjectif de magnifiques et partageant une connivence sans égal. C'est cette complicité palpable qui va leur permettre de s'épauler et de s'affronter sans retenue aucune… si ce n'est la minutieuse attention que chacun porte à son partenaire dont la seule présence est le gage de son existence à lui. Un combat sans merci mais non sans humanité, réglé au millimètre où l'extrême dureté et l'infinie tendresse s'étayent.
L'existence est un sport de combat ; être, c'est se cogner à l'autre pour éprouver les limites de son enveloppe corporelle (et psychique). Dès leur apparition, ces durs à "cuir" à moitié nus, ceints du harnais faisant ressortir leurs muscles saillants, dégagent une force dantesque. Une force bestiale, au noble sens du terme. Porteur et voltigeur juchés sur ses épaules partagent sans conteste la même puissance athlétique, dont ils vont jouer et rejouer pour se lancer dans des joutes dignes de celles des gladiateurs antiques.
Se lançant dans un trot étudié, la monture permet initialement au cavalier de parader en faisant mine de décocher une flèche d'un regard volontairement altier. Très vite, en tant que prétendu dominant, il va exercer sur sa monture des équilibres en tous sens contraignant l'autre à faire montre d'abnégation et d'incroyable force pour accueillir le corps rudoyant le sien, aire de jeux d'agrès mis gracieusement à disposition. Jusqu'à épuisement.
L'existence est un sport de combat ; être, c'est se cogner à l'autre pour éprouver les limites de son enveloppe corporelle (et psychique). Dès leur apparition, ces durs à "cuir" à moitié nus, ceints du harnais faisant ressortir leurs muscles saillants, dégagent une force dantesque. Une force bestiale, au noble sens du terme. Porteur et voltigeur juchés sur ses épaules partagent sans conteste la même puissance athlétique, dont ils vont jouer et rejouer pour se lancer dans des joutes dignes de celles des gladiateurs antiques.
Se lançant dans un trot étudié, la monture permet initialement au cavalier de parader en faisant mine de décocher une flèche d'un regard volontairement altier. Très vite, en tant que prétendu dominant, il va exercer sur sa monture des équilibres en tous sens contraignant l'autre à faire montre d'abnégation et d'incroyable force pour accueillir le corps rudoyant le sien, aire de jeux d'agrès mis gracieusement à disposition. Jusqu'à épuisement.
Mais le cavalier, faisant de plus en plus corps avec sa monture, va progressivement se découvrir avec elle des affinités électives. Et vice-versa. La fantaisie n'étant aucunement absente de ce contrepied des attendus ordinaires, cavalier et monture vont tomber dans les bras l'un de l'autre pour danser un slow sur les airs de "Tombe la neige"… chanté en japonais par Salvatore Adamo, star yéyé des années soixante. Leur étreinte amoureuse va changer la donne jusqu'au final qui réservera lui aussi un renversement par rapport à la situation de départ.
Si la performance séduit, c'est d'abord par l'engagement physique de ces deux athlètes de la piste dont la plastique et le jeu font d'eux des artistes de haut vol. Mais si l'enchantement est porté à ce niveau, c'est tout autant parce qu'ils ont su convoquer une histoire, parlant à tous et servant de trame à leurs évolutions. En effet, ce qui est en jeu de manière plus ou moins subliminale, c'est le rapport de chacun au mythe de sa propre puissance éprouvée dans sa relation à l'autre. Comme Janus, dieu des commencements et des fins réunis dans le même visage, force et tendresse sont deux directions se superposant au lieu de s'opposer.
Si la performance séduit, c'est d'abord par l'engagement physique de ces deux athlètes de la piste dont la plastique et le jeu font d'eux des artistes de haut vol. Mais si l'enchantement est porté à ce niveau, c'est tout autant parce qu'ils ont su convoquer une histoire, parlant à tous et servant de trame à leurs évolutions. En effet, ce qui est en jeu de manière plus ou moins subliminale, c'est le rapport de chacun au mythe de sa propre puissance éprouvée dans sa relation à l'autre. Comme Janus, dieu des commencements et des fins réunis dans le même visage, force et tendresse sont deux directions se superposant au lieu de s'opposer.
Vu dans le cadre du Festival Trente Trente de Bordeaux-Métropole (du 8 juin au 3 juillet 2021), à l'Atelier des Marches du Bouscat-Bordeaux, lors de la soirée du vendredi 25 juin à 20 h 30 pour "Colère noire" et à 22 h au Marché de Lerme à Bordeaux pour "Cuir".
"Colère noire"
Création de Frédéric Jouanlong.
Textes : Brigitte Fontaine.
Conception, interprétation : Frédéric Jouanlong.
Durée 35 minutes.
"Cuir"
Création 2020.
Par la Cie Un loup pour l'homme.
Créateurs et interprètes : Arno Ferrera et Mika Lafforgue (ou Gilles Polet).
Porteur de projet : Arno Ferrera.
Regard extérieur : Paola Rizza.
Regard chorégraphique : Benjamin Kahn.
"Colère noire"
Création de Frédéric Jouanlong.
Textes : Brigitte Fontaine.
Conception, interprétation : Frédéric Jouanlong.
Durée 35 minutes.
"Cuir"
Création 2020.
Par la Cie Un loup pour l'homme.
Créateurs et interprètes : Arno Ferrera et Mika Lafforgue (ou Gilles Polet).
Porteur de projet : Arno Ferrera.
Regard extérieur : Paola Rizza.
Regard chorégraphique : Benjamin Kahn.
Regard sonore : Amaury Vanderborght avec la complicité d'Alexandre Fray.
Création lumière : Florent Blanchon.
Régie lumière et son : Pierre-Jean Faggiani.
Artisan sellier : Jara Buschhoff.
Conception costumes : Jennifer Defays.
Durée : 35 minutes.
Dates à venir pour "Cuir"
10 et 11 juillet 2021 : Festival de la Cité, Lausanne (Suisse).
13 juillet 2021 : Festival Jogging , Le Carreau du Temple, Paris.
Création lumière : Florent Blanchon.
Régie lumière et son : Pierre-Jean Faggiani.
Artisan sellier : Jara Buschhoff.
Conception costumes : Jennifer Defays.
Durée : 35 minutes.
Dates à venir pour "Cuir"
10 et 11 juillet 2021 : Festival de la Cité, Lausanne (Suisse).
13 juillet 2021 : Festival Jogging , Le Carreau du Temple, Paris.