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Festivals

Festival Échappée belle Quand une scène nationale se met au vert…

Pour sa trente-deuxième édition, le Festival du Carré-Colonnes prend ses quartiers dans le cadre verdoyant du Parc Fongravey à Blanquefort. Durant quatre jours (les deux premiers étant consacrés au public scolaire) et après une inauguration circassienne de haut vol ("Clan Cabane" de la Cie La Contrebande), les festivaliers sont invités à découvrir des formes balayant un large spectre de la création. Toutes ces propositions se conjuguent pour faire entendre la petite musique festive des arts partagés en familles et groupes d'amis. Parmi les vingt-trois performances, quelques-unes vues au hasard de la déambulation…



"Psg4Ever" © Jérôme Figea.
"Psg4Ever" © Jérôme Figea.
"PSG4EVER" de la Cie du Terrain (de foot). Un one man show footballistique mettant en jeu les rapports d'une famille ordinaire avec l'équipe star parisienne rachetée par le Qatar en 2011. Au travers de la mémoire vive de ce supporter lambda, se rejouent (maillot et short enfilés) les heurs et malheurs de ce club mythique ayant brillé dans toutes les épreuves, sportives et autres… et se joue parallèlement leur impact sur un clan familial, soudé à la vie à la mort autour du destin de ses idoles, objets d'un culte inconditionnel. Quelques moments (Sócrates, le capitaine brésilien qui n'hésita pas à tacler la dictature militaire de son pays… mais a-t-il joué au PSG ? ) échappent aux attendus d'un récit qui s'essouffle trop vite, les passes – téléguidées à notre goût – manquant d'inventivité dramaturgique pour pouvoir susciter "for ever" la ferveur.

"Couleur Bitume" © Kafar33.
"Couleur Bitume" © Kafar33.
"Couleur bitume" de la Cie La tendresse du Gravier, la bien nommée tant sa performance théâtrale allie la douceur des sentiments à l'aspect rugueux d'une critique sans concession… Deux pauvres hères aux allures clownesques nous font partager de manière joyeusement colorée leurs anecdotes de vie passée à la rue… La rue, leur territoire peuplé d'inventions de survie où se laver, faire ses besoins, mobilise des trésors d'imagination… Ainsi abrités par un parapluie faisant office de toit et d'un caddy servant de carriole, drapés dans leurs costumes en haillons et accompagnés de leur fidèle chien monté sur roulettes, ils vont parcourir de manière immobile leur rêve le plus fou : Aller voir la mer !

Un "sur place" émaillé d'épisodes hauts en couleur composés de tubes entonnés gaiement et de sacs plastiques attachés les uns aux autres afin de créer une robe d'Ariel haute couture… Mais aussi un voyage statique traversé par des remarques (im)pertinentes sur l'accueil réservé aux SDF : "Pour faire disparaître la misère, il suffit de ne pas la regarder… ou de la déplacer" (commentaire résonnant avec l'actualité av. J-O annonçant le "nettoyage social" de l'Île-de-France). D'autres réflexions, empreintes, elles aussi, de bonne humeur clownesque, fusent comme des balles à blanc : "Je remercie ma mère qui se battait pour l'avortement, alors qu'elle me portait", ou encore des jeux de rôle où le couple de déshérités s'amuse à singer les mimiques maniérées, le phrasé pointu et les réflexions hors sol des gens ordinaires.

Et puis, foin de la bêtise environnante, la colère rentrée de ces deux illuminés sans domicile finira par éclater au grand jour, libérant le trop-plein accumulé face à la superbe affichée par "le monde qui va bien". Emprunter les codes du grotesque clownesque pour, en déclenchant les rires, percuter sans en avoir l'air nos (bonnes) consciences de gens (bien) installés… tel est le ressort dramaturgique de cet éblouissant numéro d'artistes accomplis.

"Ce que les dieux nous ont laissé" © Pierre Planchenault.
"Ce que les dieux nous ont laissé" © Pierre Planchenault.
"Ce que les dieux nous ont laissé" du Collectif Kahraba propose une parenthèse enchantée… Celle où deux hommes, l'un jouant divinement de la flûte libanaise, l'autre dansant au rythme des notes suaves libérées par son complice, s'adonnent à une cérémonie envoûtante… Un hymne à l'apesanteur des corps et des âmes. Un éloge de la lenteur… Transportés loin de nous-mêmes dans un espace-temps animé par le seul bruit du vent ou de la mer, bercés par la douceur enivrante qui en émane, nous vivons une expérience sensible de nature à nous faire oublier – un instant – l'agitation du monde.

"Les conférences de poche" © Bertrand Lenclos.
"Les conférences de poche" © Bertrand Lenclos.
"Les conférences de poche/Les mondes possibles" de la Cie Nokill. Un drôle de conférencier, Léo Lenclos, échappe à son nom pour libérer, de la manière la plus sérieuse qui soit (donc hilarante), ses visions du monde sous-tendues par des logiques implacables. Telle l'illusion de l'impossible générée par la célèbre lithographie "Relativité" de l'artiste néerlandais Escher, crayon à la main, le conférencier nous embarque dans des "dé-lires" du monde réel propres à faire vaciller notre raison biberonnée au cartésianisme réducteur de sens.

Construire des ponts entre mondes possibles et impossibles, réinterroger le concept de mensonge à la lumière de celui de vérité est pour le moins aussi déboussolant… qu'exaltant ! Sous nos yeux écarquillés, un empilement de traits donne ainsi naissance à la locomotive des frères Lumière déboulant en gare de La Ciotat sans pour autant effrayer les badauds (ça c'est du cinéma et ils le savaient les bougres de 1895 !), tout le reste étant une légende urbaine transformée en vérité consensuelle…

De même de la Guerre des mondes racontée en direct sur les ondes en 1938 par un certain Orson Welles à partir d'une adaptation du roman éponyme de l'écrivain H. G. Wells. Pour savourer en frissonnant ce canular génial, une suspension de l'incrédulité s'impose tout en sachant que ce que l'on entend n'est pas réel. Et ainsi de suite… À l'heure de l'IA fabriquant des vraies fake news, une immersion hilarante dans les dédales d'une logique apparemment absurde est plus que rafraichissante… pour ne pas dire salutaire !

"Mirage" © Pierre Planchenault.
"Mirage" © Pierre Planchenault.
"Mirage (Un jour de fête)" de la Cie Dyptik. Huit danseurs (quatre hommes et quatre femmes) animés d'une énergie fulgurante vont au rythme de musiques, toutes autant débridées, occuper le centre de l'espace circulaire à la périphérie duquel se presse un public captif… et captivé. Adeptes d'un hip-hop acrobatique, les artistes de haut vol parcourent en 3D l'espace, utilisant les agrès comme des tremplins les soustrayant à la loi de la pesanteur. Quant aux musiques électroniques à fond la caisse, elles prennent corps au travers des soubresauts transperçant de part en part. Un moment super énergisant, tissé autour d'une narration extraite de l'univers festif. À recommander aux adeptes, sans modération aucune.

"Les Misérables" © Kalimba.
"Les Misérables" © Kalimba.
"Les Misérables" de la Cie Les Batteurs de Pavés. Brandissant à bout de bras deux épais volumes de la collection Folio regroupant l'intégrale de l'œuvre de Victor Hugo, l'un des acteurs de rue interpelle malicieusement le public massé à ses pieds… "Tous les personnages sont là, mis à plat dans les pages. Au début on est deux, après…". Après, effectivement, au fur et à mesure du déroulement de l'action, des spectateurs judicieusement choisis sont invités à les rejoindre. Figurants d'un casting improvisé, ils viendront compléter avec grand bonheur la "distribution"…

L'épopée des "Misérables" prend ainsi corps de manière totalement débridée… Une adorable petite fille toute frêle deviendra l'affreux garde national, tirant le bras dressé devant elle sur les insurgés lors des barricades de juin 1832. Un motard en combinaison noire incarnera lui l'affreux inspecteur Javert disposant de deux seuls mots répétés à l'envi : "Police ! Prison !". Le tout aussi affreux tenancier Thénardier grognera lui dès que son nom sera cité…

Ainsi incarné par des figurants en liesse et passé à la moulinette par les deux complices très en verve, le récit progresse jusqu'à l'épiphanie de son dénouement, voyant Jean Valjean rendre l'âme (qu'il a bonne) sous le regard empli de bonté filiale de Cosette et de Marius unis grâce à lui… Cette fin mélodramatique en diable nous étant délivrée par la lecture d'une spectatrice ayant récupéré au passage le folio du début… Une fête des sens, ludique et intelligente, dynamitant l'idée répandue par certains que la saga monumentale de près de mille cinq cent pages serait de nos jours indigeste… Les deux compères suisses nous ont fait la démonstration in vivo que ces misérables-là se fourrent le doigt dans l'œil jusqu'au coude…

Vu samedi 1er juin 2024 lors du festival Échappée Belle, dans le Parc de Fongravey à Blanquefort (33).

"Couleur Bitume" © Kafar33.
"Couleur Bitume" © Kafar33.
"PSG4EVER"
La Compagnie du Terrain - Île-de-France.
Écriture et jeu : Julien Prevost.
Co-mise en scène : Mathilde Carreau.
Aide à l’écriture : Alexis Nys.
Durée : 1 h.

"Couleur bitume"
La Tendresse du Gravier - Nouvelle-Aquitaine (Blanquefort).
De et avec : Eve Martin et Luc Auriol.
Regard extérieur, écriture et mise en scène : Louis Grison, Cie L'Arbre à Vache.
Création costumes : Anne Vergeron.
Durée : 1 h.

"Ce que les dieux nous ont laissé"
Le Collectif Kahraba - Liban.
Conçu et interprété par Aurélien Zouki et Éric Deniaud.
Durée : 15 minutes.

"Les conférences de poche/Les mondes possibles"
Nokill - Occitanie.
Auteur et interprète : Léon Lenclos
Production NOKILL
Créations : "Comment ça va", créée en octobre 2023 sur invitation du Trédunion (GEM de Gaillac) et de la ville de Gaillac dans le cadre des SISM ;
"De ce qui provoque l’étonnement à ce que l’étonnement provoque", créée en septembre 2023 sur invitation des Scènes Croisées de Lozère ;
"Le changement climatique", créée en mai 2024 sur invitation du PNR Millevaches.
Durée : 20 minutes.

"Mirage" © Pierre Planchenault.
"Mirage" © Pierre Planchenault.
"Mirage (Un jour de fête)"
Compagnie Dyptik - Auvergne-Rhône-Alpes.
Direction artistique et chorégraphie : Souhail Marchiche et Mehdi Meghari.
Interprétation : Anabella Pirosanto, Alexandra Jezouin, Carla Munier, Yohann Daher, Charly Bouges, Camilla Melani, Konh Ming Xiong, Santiago Codon Gras.
Création musicale : Patrick De Oliveira.
Scénographie : Charles Boinot.
Costumes et univers visuel : Julie Cherki.
Durée : 50 minutes.

"Les Misérables"
Les Batteurs de Pavés - Suisse.
D'après Victor Hugo.
Conception et jeu : Emmanuel Moser et Laurent Lecoultre
Production, administration : Julie Bloch.
Graphisme : Alex-B.
Durée : 1 h.

Festival Échappée Belle
A eu lieu du 30 mai au 2 juin 2024 à Blanquefort Bordeaux Métropole (33).
>> carrecolonnes.fr

Yves Kafka
Mardi 11 Juin 2024

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© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024