La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

FAB 2022 "Quand ça commence" et "Habiter n'est pas dormir", visite non guidée de deux installations insolites à l'abri de l'ordinaire

Au travers d'une immersion solitaire dans les pièces d'une maison en vente, successivement habitée par des occupantes ayant abandonné là des bribes de leur passé, et, d'une structure à ciel ouvert d'une maison posée en plein centre-ville, où, à la vue de tous, une communauté de joyeux drilles vit sa soirée plutôt festive, le visiteur curieux découvre ce qu'habiter veut dire… Deux compagnies de Nouvelle Aquitaine - Cie De chair et d'os et Cie Volubilis - chacune dans le registre qu'est le sien, proposent ces très étonnantes performances dont le sujet pourrait se situer entre l'approche de l'intime et son effraction dans le paysage public.



"Quand ça commence" © Jonathan Macias.
"Quand ça commence" © Jonathan Macias.
"Quand ça commence", de Camille Duvelleroy et Caroline Melon (Cie De chair et d'os), donne rendez-vous au 30, place de La République à Saint-Médard, rendez-vous tenu secret jusqu'au dernier moment, chaque visiteur (un tous les quarts d'heure) étant prévenu par SMS. Là, sans frapper, on est invité à pousser solitairement la porte d'entrée du pavillon donnant accès aux pièces distribuées de part et d'autre d'un couloir central. Plan de visite à la main, on a tout loisir de découvrir une à une les six pièces, silencieuses, quoique bruissant de la présence de leurs habitantes ayant tour à tour quitté les lieux.

La visite commence par une pièce quasi-nue, celle attribuée à la plus ancienne habitante, Marie-Claude, vieille dame de 89 ans. Elle a rédigé les feuillets manuscrits où elle s'autorise pour la première fois peut-être à naître à sa parole, le lendemain on viendra la chercher pour la conduire en maison de retraite… Témoignage édifiant d'une femme d'origine modeste ayant traversé le XXe siècle, avec son lot de joies (l'amour des premiers temps, les enfants), et d'épreuves (l'avortement sur la table de cuisine, puis, au bureau, les jambes ouvertes de force par le chef prédateur, et puis, plus tard encore, l'infidélité du mari). Une vie (cf. Maupassant) où les aspirations féminines étaient rangées sous la coupe d'un patriarcat triomphant. Elle part, confiant son citronnier aux futures occupantes, soulagée d'avoir osé les mots.

Cinq autres pièces attendent, contenant chacune une histoire de femme qui se découvre au travers de livres et magazines entassés, de valises ouvertes, d'un répondeur téléphonique délivrant ses messages, d'un minitel orné d'un Post-it, d'une liste collée sur le frigo, d'un vase de fleurs accompagné d'un mot d'amour, de mèches de cheveux coupés dans un lavabo voisinant avec des sextoys, un mobile de constellations… Des objets qui délivrent dans le grain de leur matière exposée ce que les feuillets rédigés par leurs propriétaires articulent avec leurs mots, ceux de l'amour désirant, de la solitude endurée, des aspirations vécues.

Ainsi, on découvrira l'univers de l'occupante suivante, Anouk, la cadre indépendante, refusant de s'en laisser compter par les hommes, soumise à son seul désir de femme. Celui de Blanche qui lui succéda avec Jasmine, sa compagne, et leur enfant conçu aux Pays-Bas, des amours lesbiennes aussi intranquilles que celles des hétéros. Celui d'Azra, la femme quittée réapprenant à jouir d'elle-même, se libérant de sa dépendance à l'homme pour devenir ce qu'elle est, puissante et désirante. Celui de Myriam, la jeune femme bling-bling enfermée dans ses images de magazine, et entendant s'en échapper. Enfin, celui de la dernière occupante, Jeanne Gloria Adjovi, une lycéenne fugueuse dont les rêves de grand espace ne peuvent supporter le projet terre à terre de sa mère, flanquée de son gentil nouveau mec.

Six univers (des mondes en soi) de femmes de tout âge et de toute condition à découvrir in situ au travers de minutieuses installations révélant comment les femmes "habitent" ce monde. Immersion grandeur nature dans l'intimité d'existences féminines singulières, porteuses chacune des échos de la grande Histoire, à vivre comme une sociologie vivante du XXe siècle et du début du suivant. Une expérience sensorielle propre à bouleverser "les sens", en redonnant à celui du mot femme ses lettres de liberté.

"Habiter n'est pas dormir" © Alex Giraud.
"Habiter n'est pas dormir" © Alex Giraud.
"Habiter n'est pas dormir", d'Agnès Pelletier (Cie Volubilis), invente une chorégraphie délicieusement déliée investissant avec un naturel assumé les différents lieux urbains avant de trouver un refuge : une structure sans toit ni murs, un bâti à ciel ouvert posé sans complexe face à l'Hôtel de Ville de Bordeaux. Tout autour, le public est convié à découvrir la vie animée d'une maison, une demeure "commune" habitée par sept comédiens danseurs en quête d'"extravagances ordinaires".

On les a vus d'abord à Saint-Médard installer leur meuble de salle de bain à un carrefour et, une serviette ceinte autour des reins, une autre en turban autour de leur tête, se glisser dans leur baignoire sur roulettes. Sous les yeux d'automobilistes quelque peu surpris, imperturbable, une femme se brosse les dents en gratifiant les conducteurs de petits signes amicaux. La vie quotidienne d'un début de journée ressemblant somme toute à beaucoup d'autres, si ce n'est peut-être le lieu des ablutions…

Leur transhumance urbaine les conduit jusqu'à la grand ville de la Métropole où ils vont réintégrer leur camp de base dressé entre Cathédrale et Hôtel de Ville, lieu de choix où le foncier prend de la valeur... Ils y vivront la journée sous les yeux de la colossale statue de Chaban Delmas, invitant les passants à se joindre "naturellement" à eux. Et le soir venu, au vu et au su de tous les pèlerins et laïcs, touristes en goguette et travailleurs attardés, ils vont livrer un happening alliant les figures dansées aux interprétations théâtrales.

"Habiter n'est pas dormir" © Pierre Planchenault.
"Habiter n'est pas dormir" © Pierre Planchenault.
Dans un fondu enchaîné, les situations extraites de la vie ordinaire recomposées par le biais de leur fantaisie sans frein vont se précipiter. Apéro convivial, hommes au bain pendant que les femmes rigolent au salon, ballet des légumes à préparer, repas à la Charlot, conciliabules joyeux, changement de tenues à vue, meubles poussés pour libérer un dancefloor, le tout entrecoupé de pauses sur images… et d'un mystérieux coup de sonnette.

Oser habiter le monde de manière inattendue… Tel pourrait être le généreux message délivré de manière subliminale par ces sept complices animés par le plaisir palpable de jouer l'existence ordinaire. En déjouant ce qu'elle peut avoir de terne, la Cie Volubilis lui redonne de la couleur. L'espace public s'en trouve soudain illuminé, entrouvrant les portes d'un rêve éveillé propre à réenchanter le quotidien…

"Quand ça commence"vu le mercredi 5 octobre 2022 au 30, place de la République à Saint-Médard, dans le cadre du FAB - Festival International des Arts de Bordeaux Métropole. Les visites ont eu lieu du mercredi 5 au dimanche 9 octobre, de 10 h à 20 h à raison d'un départ toutes les quinze minutes.

"Habiter n'est pas dormir" a été vu le vendredi 7 octobre 2022 place Pey-Berland à Bordeaux, dans le cadre du FAB - Festival International des Arts de Bordeaux Métropole. Ce spectacle a été joué du 5 au 8 octobre.

"Quand ça commence" © Jonathan Macias.
"Quand ça commence" © Jonathan Macias.
"Quand ça commence"
Création 2022 Cie De chair et d'os.
Conception, écriture, réalisation et mise en espace : Camille Duvelleroy et Caroline Melon.
Adaptation et mise en jeu : Caroline Melon.
Co-écriture : Aïcha Euzet et Haïla Hessou.
Regards extérieurs : Yan Duyvendak et Nicolas Peufaillit.
Scénographie : Jonathan Macias.
Conduite : Christophe Andral.
Rôle de Mehdi : Denzel Benac.
Rôle de Myriam : Nola Jolly.
Rôle d'Alexis: Fabrice Nzamba.
Conseiller réseau et logiciel libre : Sacha Borrut/Aquilenet.
Cheffe décoratrice : Clémence Duran.
Graphiste Tchat : Benoît Etcheverry.
Dessin et confection du carnet d'Azra : Caroline Granier.
Conseiller informatique : Mehdi Lauters.
Atelier Franck Tallon Graphisme : Emmanuelle March.
Assistante mise en scène tournage : Charlotte Marrel.
Photographe : Ivan Mathie.
Monteuse : Bérénice Meinsohn.
Photographe de plateau tournage : Colas Michard-Melon.
Rédactrice : Stéphanie Pichon.
Durée 1 h.

Tournée
Du 16 au 22 janvier 2023 : La Coupe d'Or - Scène conventionnée, Rochefort (17).
2023 : L'Avant-Scène, Cognac (16).

"Habiter n'est pas dormir" © Alex Giraud.
"Habiter n'est pas dormir" © Alex Giraud.
"Habiter n'est pas dormir"
Création 2022 Cie Volubilis.
Conception chorégraphie : Agnès Pelletier.
Danseurs interprètes : Christian Lanes, Vincent Curdy, Lisa Guerrero, Raphael Dupin, Laurent Falguiéras, Agnès Pelletier, Matthieu Sinault.
Conception architecture de la maison et de son mobilier : Chloé Bodart.
Assistante dramaturgie : Mia Fradin.
Agitateurs de conscience : Sonia Lavadinho, Pascal le Brun Cordier, Pascal Servera, Stéphane Jouan et Sylvie Violan.
Création bande-son : Yann Servoz.
Construction de la maison et du mobilier : Julien Lett assisté de Michel Munier.
Costumes : Catherine Sardi et Tezzer.
Régisseurs : Stéphane Benallal et Guénael Grignon.
Durée spectacle : 1 h 05.

"Habiter n'est pas dormir" © Alex Giraud.
"Habiter n'est pas dormir" © Alex Giraud.
Tournée
26 novembre 2022 : La Gràànde Finàle - Espace Agapit, Saint-Maixent-l'École (79).
Du 2 au 4 décembre 2022 : Vitrines en Cours (option) - Lieux public, Centre National et pôle Européen de création pour l'espace Public, Aix-en-Provence (13).
9 décembre 2022 : La Gràànde Finàle - L'Arc - Scène nationale, Le Creusot (71).

FAB - 7e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
A eu lieu du 1er au 16 octobre 2022.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
Billetterie : 06 63 80 01 48.
contact@festivalbordeaux.com

>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Mardi 25 Octobre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024