La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

FAB 2022 "La vie est une fête" L'humour à la kalachnikov des Chiens de Navarre

Ça mitraille sec ce soir-là sur le plateau du Carré, jusque dans la salle qui en est éclaboussée. Les Chiens de Navarre, habitués des lieux, font leur retour fracassant… Devant un public hilare, gagné d'avance à leurs facéties sans frein (quoique les sujets susceptibles de ne pas susciter l'adhésion immédiate soient prudemment squeezés), ils électrisent spectateurs et spectatrices venus participer au délire festif annoncé. Tout le monde en prend pour son grade avec, il est vrai, un super bonus accordé - pour le plaisir de tous - au représentant d'un clone d'extrême droite, encore plus monstrueux que ses modèles originaux.



© Philippe Lebruman.
© Philippe Lebruman.
Tout commence… avant que ça ne commence. En prenant place dans leur fauteuil, les spectateurs (députés anonymes) sont d'emblée immergés dans la cacophonie d'une séance de l'Assemblée Nationale. Sous les incessants rappels à l'ordre d'un Président juché avec un bel aplomb sur le Perchoir, défilent les discours sur le bienfondé ou non de la proposition du jour : le Revenu Universel.

Si à cet exercice les député(e)s de gauche s'en tirent plutôt pas mal sur le fond, par un effet de loupe délibéré, leurs postures, éléments de langage, contradictions entre dires et mode de vie, peuvent délivrer d'eux l'image d'amusants pantins. S'invitent dans le débat l'application de méditation "Petit BamBou" destinée à calmer les ardeurs et, suivant les recommandations de l'association "Tous à poil à la piscine", le burkini version topless. Une députée de droite intervient pour demander quant à elle un geste "pour la cagnotte" afin de rembourser les frais de campagne de leur candidate malheureuse. Un joyeux capharnaüm où l'on reconnaît l'humour mainstream des chroniqueurs engagés par les chaînes publiques.

© Philippe Lebruman.
© Philippe Lebruman.
Pendant que le Président lance "un dernier rappel à destination des députés attardés à la buvette", la parole revient à l'un des élus du RN, sous l'œil d'une Marianne déconfite. Et là, ce qui se déverse, n'est effectivement pas du même tonneau. Des propos marqués du sceau de l'exclusion en tous "genres", des contre-vérités à la pelle sur le danger migratoire, des jugements à l'emporte-pièce sur les chômeurs profiteurs, une attaque "frontale" visant un collègue homosexuel, salmigondis récurrent suscitant - sans trop de risque - le rejet unanime du public d'une scène nationale.

Une belle échauffourée s'en suit dans les travées de l'hémicycle transformé en champ de bataille, l'orateur frontiste étant dare-dare "camisolé". On le retrouve dans la salle des urgences psychiatriques où, face à une psy silencieuse, il déverse décomplexé à souhait son flot nauséabond d'immondices racistes et sexistes. La réponse s'imposait… seule une détonation avait le pouvoir de nous "tirer" d'affaire. Le soulagement ressenti étant redoublé par le fait de retrouver là l'esprit mordant des "Chiens". Dans cette veine, un énergumène sorti d'un film gore s'emploie à redonner de la couleur à l'hémoglobine de théâtre.

© Philippe Lebruman.
© Philippe Lebruman.
Cette introduction "fracassante" dans le milieu des urgences psychiatriques - faisant directement suite à la séance mouvementée de l'Assemblée Nationale, y aurait-il en filigrane une association d'idées ? - ouvre la série des saynètes burlesques de la vie ordinaire d'un hôpital se délitant de partout et recevant des patients cabossés par l'existence. Jeune femme "suicidée" suite à un chagrin d'amour… avec un chanteur rencontré une seule fois, en buvant une bière artisanale à la Fête de l'Humanité. Quadra désorientée ayant l'impression d'avoir raté sa vie… pas de mec, pas d'enfants et, en prime, une silhouette à remodeler de fond en comble grâce au bistouri esthétique d'une professionnelle de haut vol.

Dans la liste des victimes de l'existence, on retrouvera un ancien Directeur Commercial délirant après avoir décompensé grave suite à sa mise au placard par les nouvelles pratiques managériales héritées du modèle états-unien, monde habité par des êtres montés sur roulettes et parlant le franglais. Une infirmière câline réconciliera un garde mobile et un manifestant en leur faisant se donner gentiment la menotte ; main, œil, tête arrachée du côté des forces de l'ordre (sans doute là une inversion des rôles par effet d'antiphrase…).

Le point d'orgue "hospitalier" étant constitué par la visite en grande pompe du ministre de la Santé "venu applaudir ceux qui sont en première ligne", visite quelque peu bousculée par un malade inénarrable lui balançant joyeusement à la figure toutes sortes de matières. Le ministre, rompu à l'exercice, répétant comme un mantra bien appris que cela ne le dérange aucunement…

© Philippe Lebruman.
© Philippe Lebruman.
Ce feu "d'artifices", nourri en amont par une observation des dérives sociétales poussées là à leur point d'ignition, "met le feu à la salle" tant la dérision est une matière hautement inflammable. Le côté régressif de l'écriture de plateau, recomposée par le chef de meute, participe grandement à la libération cathartique vécue en commun.

Cependant, si on rit de bon cœur à cet humour potache - et en des temps moroses, ça soulage ! -, on n'est pas sans se demander si Les Chiens de Navarre, contrairement à leur ambition, ne deviendraient pas au fil du temps les (in)supportables toutous des pouvoirs ayant besoin d'exutoires aux tensions engendrées par les écarts iniques se creusant entre possédants et "possédés", ces cabossés de l'existence. En effet, leur spectacle agit comme une purge salutaire… mais, après une purge, que reste-t-il de vraiment consistant ?

Vu le jeudi 13 octobre 2022 au Carré - Saint-Médard, dans le cadre du FAB - Festival International des Arts de Bordeaux Métropole. A été représenté du 12 au 14 octobre.

"La vie est une fête"

© Philippe Lebruman.
© Philippe Lebruman.
Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse.
Collaboration artistique : Amélie Philippe.
Avec : Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch et Bernie.
Régie générale, décors et construction : François Gauthier-Lafaye.
Chorégraphie : Jérémy Braitbart.
Création et régie lumière : Stéphane Lebaleur.
Création et régie son : Pierre Routin.
Régie plateau : Nicolas Guellier.
Costumes et régie plateau : Sophie Rossignol.
Machiniste : Augustin Grenier.
Par Les Chiens de Navarre.
Durée : 1 h 45.

Tournée
Les 18 et 19 octobre 2022 : Château Rouge, Annemasse (74).
Du 7 au 9 novembre 2022 : TAP, Poitiers (86).
Du 17 au 20 novembre 2022 : Théâtre des Salins - Scène nationale, Martigues (13).
Du 29 novembre au 3 décembre 2022 : La Villette, Paris 19e.
Les 7 et 8 décembre 2022 : Scène nationale 61, Alençon (61).
Du 14 au 18 décembre 2022 : MC93, Bobigny (93).
Du 5 au 7 janvier 2023 : L'Onyx, Saint-Herblain (44).
Les 12 et 13 janvier 2023 : L'Onde, Vélizy (78).
Les 18 et 19 janvier 2023 : Le Rive-Gauche, Saint-Étienne-du-Rouvray (76).
Du 26 au 28 janvier 2023 : MAC, Créteil (94).
Du 2 au 5 février 2023 : Le Volcan, Le Havre (76)
Du 24 au 26 mars 2023 : Le Channel, Calais (62).
Les 30 et 31 mars 2023 : Le Manège, Maubeuge (59).
Les 5 et 6 avril 2023 : Bonlieu - Scène nationale, Annecy (74).
Les 13 et 14 avril 2023 : La Condition publique, Roubaix (59).
Du 20 au 23 avril 2023 : Teatros Del Canal, Madrid (Espagne).
Du 10 mai au 3 juin 2023 : Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e.

FAB - 7e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
A eu lieu du 1er au 16 octobre 2022.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
Billetterie : 06 63 80 01 48.
contact@festivalbordeaux.com

>> fab.festivalbordeaux.com

Yves Kafka
Mercredi 19 Octobre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024