La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Le triomphe punk de la Mort à Aix-en-Provence

Pour cette 68e édition du Festival lyrique d'Aix-en-Provence, un oratorio rare, "Le Triomphe du Temps et de la Désillusion", conclut le cycle Haendel initié en 2014. Avec une distribution talentueuse et le Concert d'Astrée d'Emmanuelle Haïm, l'oratorio édifiant d'un compositeur de vingt-deux ans se mue grâce au metteur en scène Krzysztof Warlikowski en un tableau acide et punk du mal de vivre.



© Pascal Victor/Artcomart.
© Pascal Victor/Artcomart.
"Il Trionfo del Tempo e del Disinganno" est le premier oratorio (1) composé par Georg Friedrich Haendel, peu après son arrivée à Rome en 1707, sur un livret du cardinal Benedetto Pamphili. Mettant en scène le débat de quatre personnages allégoriques, Beauté et Plaisir d'un côté et de l'autre Temps et Désillusion (2), le message est clair : Beauté doit abandonner le Plaisir et choisir le cloître afin de retrouver Dieu dans la pénitence (en attendant le Salut) puisque "la terre est malade" (3) des passions humaines.

Une révélation ou "désillusion" qui pose question à Krzysztof Warlikowski et au spectateur du XXIe siècle. Comment subvertir ce message idéologique à visée édifiante (dans la Rome de la Contre-Réforme où l'opéra n'a plus droit de cité depuis 1681) que le metteur en scène polonais juge "scandaleux" voire "dangereux" ? Comment transformer cette psychomachie un peu ennuyeuse en un théâtre radical, érotique et mélancolique, au plus près de nos préoccupations ?

© Pascal Victor/Artcomart.
© Pascal Victor/Artcomart.
Krzysztof Warlikowski trouve la bonne formule dans une proposition à la fois ultra contemporaine (avec l'usage de la vidéo, les références aux mythes modernes punk et rock façon Amy Winehouse ou Kurt Cobain (4)) et universelle dans sa façon de déplacer le point de vue moral : ce sera un débat entre Éros et Thanatos, une méditation sur le temps assassin et l'impossibilité de renoncer aux fêtes de la jeunesse, splendides et barbares, amères et condamnées - sous l'emprise de drogues en tout genre. Warlikowski fait le choix d'une vanité théâtralisée à l'esthétique inspirée de l'univers d'un Larry Clark, d'une danse macabre que ne renierait pas Gus Van Sant, période "Drugstore Cowboy".

Beauté danse en boîte avec son petit ami pendant l'ouverture allègre de l'oratorio. Ils avalent des cachets (acides, amphétamines ?) et lui (l'impressionnant Pablo Pillaud-Vivien) s'effondre. Il ne survit pas à cette nuit de plaisir et de défonce. La fête est bien finie, son fantôme viendra hanter Beauté, inconsolable. Prise dans l'étau de ses démons contradictoires, la belle Beauté (Sabine Devieilhe tout simplement sublime) choisira la mort - plutôt que le renoncement et la sagesse que conseillent Temps et Désillusion.

© Pascal Victor/Artcomart.
© Pascal Victor/Artcomart.
Avec sa scénographie superbe, l'aggiornamento passionnant que ce théâtre destroy, réjouissant et triste propose enrichit donc infiniment cette œuvre de jeunesse sous influence italienne du compositeur allemand. Ses airs virtuoses (5), sa partition inventive, son mélange de gaieté et de lyrisme sont magnifiquement servis par un quatuor de chanteurs au top : Sabine Devieilhe (on l'a dit) tragique et fragile, à la vocalité idéale, le Plaisir troublant et sexy de Franco Fagioli, la Désillusion ambiguë de Sara Mingardo et le Temps royal du ténor Michael Spyres - sans oublier le triomphe du Concert d'Astrée, dirigé par Emmanuelle Haïm.

(1) Oratorio pour quatre solistes, sans chœur.
(2) Ou fin de l'illusion, révélation, vérité, sens du mot italien "disinganno".
(3) Chante Beauté dans la deuxième partie.
(4) Warlikowski, quant à lui, a évoqué Sarah Kane, la dramaturge suicidée à vingt-huit ans dans ses notes d'intention.
(5) Haendel en recyclera quelques-uns dans ses opéras futurs, tel le magnifique "Lascia le spine, cogli la rosa".

© Pascal Victor/Artcomart.
© Pascal Victor/Artcomart.
12 et 14 juillet 2016 à 22 h.

Enregistrement disponible sur la chaîne Culturebox.

Théâtre de l'Archevêché.
26 rue Gaston de Saporta, Aix-en-Provence (13).
Tel : 08 20 922 923.

Festival d'Aix-en-Provence
Du 30 juin au 20 juillet 2016.
>> festival-aix.com

"Il Trionfo del Tempo e del Disinganno" (1707).
Oratorio en deux parties.
Musique de Georg Friedrich Haendel (1685-1759).
Livret du cardinal Pamphili.
En italien surtitré en français et anglais.
Durée : 2 h 45 avec entracte.

Emmanuelle Haïm, direction musicale.
Krzysztof Warlikowski, mise en scène.
Malgorzata Szcesniak, décors et costumes.
Christian Longchamp, dramaturge.
Felice Ross, lumières.
Claude Bardouil, chorégraphie.
Denis Guéguin, vidéo.

Sabine Devieilhe, Bellezza.
Franco Fagioli, Piacere.
Sara Mingardo, Disinganno.
Michael Spyres, Tempo.

Le Concert d'Astrée.
Benoît Hartoin, orgue.

Christine Ducq
Lundi 11 Juillet 2016

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024